Calypso émergeait lentement. Un terrible mal de crâne aplatissait son front et lui compressait les tempes à la seconde-même où elle ouvrit les yeux. Elle s'empressa de les refermer, mais même ainsi, des points lumineux, semblables à d'affreux feufollets, dansaient devant elle et aveuglaient sa vision.
Oh non… Pitié, pas encore…
Elle ne connaissait que trop bien cette douleur insupportable et elle se maudit d'y avoir encore succombé. Elle tenta d'ouvrir et de fermer successivement les paupières pour chasser les feufollets, mais s'arrêta quand cet exercice vint tirailler ses entrailles d'horribles spasmes. Elle se pencha soudainement, pensant qu'elle allait dégurgiter l'alcool de la veille, mais, après d'interminables minutes, la nausée passa. Ses sens lui revenaient peu à peu ; elle commença par sentir la douceur et la chaleur de son lit, et, son esprit encore endormi, se demanda comment elle avait eu la présence d'esprit d'aller se coucher dans sa chambre. Son nez senti une odeur qu'elle connaissait, sans savoir vraiment d'où, un mélange de pétales de rose et de citron. Les feufollets disparaissaient un à un, lui laissant le plaisir de retrouver la vue. Mais cet instant de renouveau s'effaça quand son regard se posa sur Jefferson, endormi, à même le sol, adossé au mur, la tête branlante.
Des brides de la soirée de la veille lui revinrent alors, et son coeur penchait entre le dégoût qu'elle avait pour elle-même et l'étrange plaisir qu'elle avait ressenti lorsque son corps avait frôlé celui de Jefferson. Elle se redressa doucement, dut marquer une pause quand sa tête se mit à tourner, puis se leva silencieusement. Elle se figea de stupeur à la vue du papier que tenait Jefferson dans sa main droite.
Le parchemin des gardes.
Il sait.
Une tornade de sentiments consummait son esprit et son coeur, la paralysant sur place, et elle regretta jusqu'au plus profond de son âme de le lui avoir cacher. Quelle idiote ! Comment avait-elle pu croire qu'elle le lui mentirait plus longtemps ? Comment avait-elle pu se montrer si cruelle, si mauvaise, si égoïste comme….
Comme Stephen.
Il lui sembla entendre son coeur être piétiné, dépecé, brisé en mille morceaux, dans un bruit assourdissant similaire à celui d'une vitre qu'on éclate.
Le parchemin annonçait l’état mourant du roi Stephen, assurant qu'il n'en avait plus que pour quelques jours, et demandant au peuple de Génésis leur venue pour élir leur prochain Souverain.
Une voix claqua l'air et l'éjecta de ses pensées.
- '' Comment tu te sens ? ''
Elle baissa la tête vers Jefferson, son regard clair noirci plus par la fatigue que par le charbon qui s'était effacé. Son coeur loupa un battement. Elle lui avait menti, elle avait brisé ce semblant de confiance et d'affection qu'il avait pour elle, elle l'avait déçu, menacé, emprisonné, et la prochaine chose qu'il voulait savoir était si elle allait bien ?
Elle vint près de lui après un long instant d'hésitation, et se laissa glisser le long du mur pour s'asseoir à ses côtés. Par sa fenêtre, elle voyait le soleil percer les ténèbres nocturnes, et elle entendait les premiers chants matinaux des oiseaux.
Ne sachant que trop répondre, elle se contenta d'un : "Vivante". C'était le principal. Il tourna la tête vers elle, et une pointe d'agacement - ou de désespoir - teintait sa voix rauque.
- '' Tu comptais me le dire ? ''
Il était rare que Calypso ressente de la honte pour quoi que ce soit. Pourtant, face à l'accusation que cachait la question de Jefferson, elle baissa les yeux.
- '' Je…. Oui, probablement… '' lâcha-t-elle.
Il eut un mouvement de recul.
- '' Probablement ? s'écria-t-il d'une voix amère.
- Je voulais te le dire, rectifia rapidement Calypso. Je ne savais juste pas… comment. ''
Son regard semblait la percer de couteaux de glace tant elle avait mal en le regardant.
- '' Seigneur, Calypso ! On parle de la mort de mon père ! ''
Il se reprit, passa ses mains sur son visage en étirant ses traits, peinant à garder son calme, étourdi par les multiples pensées et émotions qui le possédait. Il ne savait pas s'il devait s'attrister de la mort d'un père qui n'en avait jamais vraiment été un ou se réjouir d'être libéré d'un tel fardeau. Il essayait d'en vouloir à Calypso, mais il ressentait encore le frisson qui lui avait parcouru l'échine lorsqu'elle avait glissé son doigt le long de son ventre. Il chassa cette pensée.
Un ange passa. Calypso n'osait plus relever les yeux, et entendit Jefferson pousser un long soupir avant de venir caler sa tête contre le mur.
- '' Tu sais, Calypso, je crois que j'ai compris ton histoire… Enfin, au moins une partie '', ajouta-t-il.
Son sang se glaça, mais elle ne l'interrompit pas.
- '' D'une manière ou d'une autre, mon père a joué un rôle capital dans ta transformation en Bête. C'est pour cela que tu le hais, et que tu veux te venger. Pourtant, te pourrais te libérer de ce corps, mais tu as peur de ce qu'il se passerait si tu le faisais. ''
Il lui jeta un furtif coup d'oeil, et, à son air ahuris, comprit qu'il n'avait peut-être pas tort. Il continua.
- '' Tu étais une princesse, avant. J'ai vu ta couronne. Mais je m'en doutais bien avant ; ta fierté ne laisse aucun doute quant à ton sang noble. ''
Il baissa la tête pour se frotter les tempes, tentant de chasser un mal de crâne naissant.
- '' Mais j'ai encore du mal à comprendre certaines choses... ''
Calypso se mit à rire nerveusement, surprise par ses observations. Elle sentait même ses mains trembler.
- '' Jefferson, j'en ai assez que tu déduises autant de choses avec le peu d'informations que tu as. ''
Il est vrai que ce n'était pas la première fois qu'il devinait quelque chose sur elle sans même qu'elle n'ouvre la bouche. Un demi-sourire étira ses lèvres fines.
- '' Non, tu en as assez que mes déductions soient vraies. ''
Elle lui rendit son sourire. Puis, un long silence s'abatit. Elle ne savait pas si elle voulait revenir sur la mort imminente de Stephen, mais elle ne pouvait pas faire comme s'il ne s'était rien passé. Elle fixa Jefferson. Que devait-elle faire ? Le renvoyer chez lui ? Le garder ici ? Comme s'il lisait dans ses pensées, il souffla, d'une voix fatiguée :
- '' Je ne veux pas aller le voir. ''
Il serra un peu plus fort le parchemin sans le regarder et tourna la tête vers Calypso.
- '' Mais je veux que tu m'expliques pourquoi tu ne me l'as pas dit. ''
Elle détourna le regard. Pourquoi ? Même elle n'en savait rien. Par lâcheté, probablement, n'ayant pas le courage de supporter le regard accusateur de Jefferson. Ou par amour, meurtrie par l'idée de voir celui qui lui avait volé son coeur souffrir. Peut-être par peur, aussi, de ce qui se serait passé s'il l'avait su plus tôt. Parmi toutes ses pensées, une refaisait constamment surface.
La culpabilité.
Elle savait qui était la véritable responsable de la mort du roi.
- '' Parce que c'est ma faute. En signant le pacte dans lequel il t'a échangé, il a signé son arrêt de mort. ''
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Dark Rose
FantasyIl était une fois, dans un royaume appelé Génésis, une Bête, condamnée à rester le monstre qu'elle était devenue. Mais un jour, le roi de Génésis - l'homme qui l'avait maudite - lui demanda un service. Pour enfin tenir sa vengeance contre celui qui...