Chapitre 3

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La Bête et Jefferson apparurent au manoir en une fraction de seconde. Elle se regarda un instant dans son miroir, celui qui lui avait permit de se déplacer et, ainsi, de pouvoir accomplir sa vengeance. Son coeur se serra ; étrangement, elle ne se sentait pas satisfaite. Le courant d’excitation et l’adrénaline qui la tiraillaient avaient disparu lorsqu’elle était revenue chez elle. Elle pensa alors qu’elle serait pleinement satisfaite lorsqu’elle verrait le nom de son ennemi gravé sur une tombe. Quoi qu'il en soit, elle n’avait nul autre choix que celui d’attendre. 

Lorsqu’elle se retourna, elle se rappela qu’elle devait maintenant s’occuper du prince. Elle grimaça de dégoût. La pensée de devoir le garder quelques temps s’apaisa quand elle se souvint qu’elle allait enfin accomplir sa vengeance. Et Jefferson ? Qu’est-ce qu’il deviendrait ensuite ? Elle le regarda un instant, couché sur le parquet, dans les vapes. 

Il n’a aucune importance, se dit-elle finalement. 

Étalé sur le sol vernis, Jefferson commençait à reprendre doucement ses esprits, et sa vision lui revint petit à petit. Un monstre semblait vouloir sortir de son estomac tant il avait mal, et une terrible boule de panique l’empêchait de respirer correctement ; il aurait volontier dégobillé ses tripes si la Bête ne l’avait interrompu : 

- '' Évite de gerber sur mon parquet, je t’en serais reconnaissante. ''

Il recula en sursautant de peur et se cogna contre une table, sous le regard dédaigneux, presque intrigué, de la Bête. La mémoire lui revint. Un mélange d’angoisse, de colère et de chagrin se dessina dans le regard profond de Jefferson. 

Il se perdit quelques instants dans le flot tourmenté de ses pensées, et Calypso en profita pour l’observer, de la même manière qu’on observe une créature légendaire, tête penchée, s’avançant doucement, comme par peur de le faire fuir. Elle observa les moindres détails de son visage - son teint livide, ses sourcils bruns, ses lèvres pâles, son nez droit, ses cheveux châtains, que le soleil rendaient blonds, et les quelques mèches rebelles qui tombaient délicatement sur son front lisse ; mais ce qui l'attirait plus que tout, étaient ses grands yeux couleur de glace, étincelants, qui lui faisaient penser à ces diamants bleutés, incrustés dans le bois de sa bibliothèque.

Même si son miroir lui permettait de voir d’autres paysages, il posait constamment comme un fin voile transparent sur son regard, l’empêchant de voir toutes ces petites choses, ces petits détails, qui sont si beaux.

Perdue dans sa contemplation, elle ne s'aperçut même pas de sa proximité avec Jefferson, agenouillée à quelques centimètres de lui. Celui-ci reculait la tête à mesure qu’elle approchait ; et lorsqu’il croisa son regard, il se surprit à le voir étrangement plus humain que ce qu’il pensait avait vu. 

- '' Tu es quoi, toi, comme genre de créature ? '' murmura-t-il, méfiant, la voix masquée pour éviter de trembler.

Expulsée de ses pensées, Calypso écarquilla les yeux ; puis, l’air détaché, elle déclara, sur le ton d’une évidence : 

- '' Une Bête. ''

Elle se redressa et ordonna à Jefferson d’en faire autant. Son esprit s’étonna aussitôt lorsqu’elle remarqua que, pour la première fois depuis bien longtemps, on la dépassait : Jefferson avait quelques centimètres de plus qu’elle.

Vacillant, il dut s’appuyer sur la table pour ne pas retomber - renversant un pauvre vase, qui explosa au sol dans un fracas de verre. Le Bête leva les yeux au ciel et lâcha, nonchalante :

- '' Te voilà à peine arrivé que tu casses mes affaires… ''

La main sur le crâne et les yeux fermés, tentant de chasser l'horrible migraine qui s’installait et la nausée qui le prenait, Jefferson soupira qu’il ne comprenait rien à cette histoire et demandait une explication. Simplement, Calypso expliqua en quelques mots brutaux que son père l’avait échangé contre une information qu’il considérait comme plus important. 

Dark RoseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant