Calypso marqua un temps d'arrêt, puis écarquilla des yeux stupéfaits et manqua de s'étouffer.
- '' Pardon !? '' s'étrangla-t-elle.
Jefferson vit des ombres noires tenter de s'emparer des prunelles vertes de ses yeux, comme les longues griffes de monstres sachant pertinemment qu'ils perdaient le contrôle. C'était la première fois qu'il la voyait paniquer ainsi, et il s'étonna de la voir inquiète à ce point pour une simple danse. Il souffla, fatigué, et tendit une main douce vers Calypso.
- '' Juste une fois, s'il te plaît, murmura-t-il, son regard plongé dans le sien. Danse avec moi.
Elle fixa sa main, interdite. Danser avec lui ? Quelle étrange requête... Elle plissa les yeux, tenta de percer l'objectif et la raison que cachait cette demande ; mais, suffisamment troublée pour ne pas parvenir à se concentrer, elle abandonna et cacha lâchement ses bras derrière son dos. Elle pencha la tête.
- '' Je ne sais pas danser, lâcha-t-elle.
- C'est faux. ''
Elle haussa un sourcil, attendant l'explication de cette affirmation. Il se justifia rapidement :
- '' J'ai eu le temps de fouiller dans ton manoir… ''
Il prit un air plus amusé que gêné devant le regard assassin de Calypso.
- '' … et j'ai vu les robes que tu caches. ''
Elle laissa échapper un juron qui surpris Jefferson, puis siffla entre ses dents, affichant une mine qui recouvrait son sentiment d'être mise à nue devant son regard perçant. Elle leva les yeux au ciel, mais sa nervosité, loin de cacher son état, révélait son trouble.
'' - Et parce que j'ai des robes, tu penses que je sais danser ?
- Oui, parce que ce sont des robes de bal.
- Et alors ? répliqua-t-il en haussant les épaules. Je les ai volé, ou échangé, comme beaucoup de choses ici. ''
Il esquissa un demi-sourire, en pensant qu'elle était impitoyable,
- '' Non, ce sont les tiennes.
- Et pourquoi cela ?
- Parce qu'elles n'iraient qu'à toi. ''
Elle demeura figée, luttant corps et âme pour faire redescendre la température de son visage. Un léger silence s'installa. Elle savait pertinemment que Jefferson adorait jouer à ce jeu - et surtout, elle reconnaissait qu'il excellait dans ce domaine. C'était comme une de ces nombreuses parties d'échecs, de poker et de dudo qu'ils avaient fait : bluffer, parier, renchérir pour gagner et dévoiler le jeu de l'adversaire.
Jefferson la regarda réfléchir, se demandant à quoi elle pouvait bien penser. Il savait qu'elle dansait, elle ne voulait juste pas danser avec lui.
Les femmes sont-elles toutes aussi compliquées ?
Il la regarda bougonner et fixer le plafond, comme s'il avait subitement prit une importance capitale. Il sourit.
Non, celle-ci est unique.
Il continua sa pensée pour briser le silence qui s'installait.
- '' Elles ont toutes étaient portées. Toutes, sauf une.
- La jaune... ''
Elle examina Jefferson, le regard vide, tourmenté par un passé qu'elle avait tenté d'oublier. Cette robe - cette splendide robe dorée toute en tulle et strass -, son père lui avait offert pour le jour de son rétablissement, gardant, inébranlable, l'espoir que tout redevienne comme avant. Il voulait organiser un grand bal pour fêter son retour. Il n'en eut pas le temps.
Jefferson ne la quittait pas des yeux. Il avait peur qu'elle s'échappe, qu'elle s'envole, qu'elle disparaisse, comme un mirage, un souffle, une illusion, un rêve cruel. Quand il reprit la parole, ce fut d'un ton calme et bas, de peur de bousculer cette cage que Calypso commençait à briser.
- '' J'ai réfléchi. Je sais que tu as été une princesse et que tu as donc dû te rendre à beaucoup de soirées. Mais cette robe, c'était pour un bal spécial. Quelque chose de particulier, quelque chose que tu attendais, toi, et tous tes proches. Mais tu ne l'as jamais mise. Il était trop tard : mon père t'avais jeté cette malédiction. ''
Elle retroussa le nez et plissa les yeux.
- '' Jefferson, j'en ai assez que tu déduises autant de choses avec le peu d'informations que tu as '', siffla-t-il, tentant de cacher son profond trouble d'avoir été ainsi mise à nue.
Il rigola doucement, satisfait d'avoir raison.
- '' Non, tu en as assez que mes déductions soient vraies. ''
Elle releva le menton et Jefferson remarqua que les coins de ses lèvres frémirent. Calypso soutint son regard un long moment, avant qu'il ne répète, inlassable :
- '' Danse avec moi. ''
Ne trouvant pas le courage de rétorquer face à ce regard et à cette demande si délicate, elle ne put que secouer la tête. Une lueur étrange passa dans ses yeux bleus, et c'est alors que Calypso comprit.
Il était en train de briser la carapace de la Bête, lentement, adroitement, silencieusement. Il entrouvit ses longs doigts pour que Calypso puisse glisser les siens. Mais elle demeurait figée. Si elle acceptait, si elle dansait avec lui, il saurait.
Il saurait tout.
Était-elle prête à courir ce risque ? Était-elle prête à laisser éclater la vérité ?
Elle fixait tour à tour la main tendue de Jefferson et ses yeux bleus remplis d'espoir. Puis, à leur plus grande surprise à tous les deux, dans un élan de courage ou de stupidité, elle lui prit la main. Aussitôt, Jefferson lui attrapa la taille dans une infinie douceur, parcourant son corps d'une onde de chaleur, et elle se laissa guider au coeur de la pièce. Il la colla contre son torse quand, d'un claquement de doigts, elle éteignit la moitié des bougies, les plongeant dans une lumière tamisée et ardente, en lançant une jolie musique qui se mit à voler dans l'air chaud. Au rythme de la mélodie, ils se mirent à valser, accélérant la cadence au fur et à mesure que les longues minutes s'écoulaient. Mais aucun ne s'en rendit compte. Silencieux, bercés par les notes majestueuses qui surplombaient leur tête, ils oublièrent les limites qu'imposaient les murs du manoir pour se perdre dans quelque chose d'infinement plus grand, d'infinement plus beau. Plus rien n'existait ; plus de Royaume, plus de malédiction, plus de secrets. Juste les battements de leur coeur qui battaient en harmonie.
Calypso observa furtivement leurs mains entrelacées, emboîtées, enchevêtrées, emmêlées, alignées à la perfection, comme si elles avaient toujours été destinées à s'accrocher. La chaleur de son corps brûlait sa peau pâle dans une sensation agréable. Elle n'avait jamais été aussi calme. Elle n'avait jamais été aussi elle-même.
Elle devait lui dire.
Il fallait qu'il sache la vérité.
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Dark Rose
خيال (فانتازيا)Il était une fois, dans un royaume appelé Génésis, une Bête, condamnée à rester le monstre qu'elle était devenue. Mais un jour, le roi de Génésis - l'homme qui l'avait maudite - lui demanda un service. Pour enfin tenir sa vengeance contre celui qui...