L'affaire Kelmot

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Celui-ci est un peu particulier puisqu'il n'est pas tiré de la série, mais du film Mr Holmes.
Je vous déconseille de le lire si vous ne l'avez pas vu au risque de ne pas tout comprendre et de vous faire spoiler une bonne partie de l'intrigue du film ^^'
Bonne lecture !

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Assis à mon secrétaire, je levais les yeux vers le petit miroir accroché en face de moi. Derrière mon visage marqué par les années se reflétait la silhouette de Holmes, avachi dans son fauteuil, le regard perdu dans le vide. Son corps près de moi mais son esprit plus inaccessible que jamais. Saleté de cocaïne.

C'est la bonne qui m'avait fait appeler. Une femme adorable qui avait remplacé Mrs Hudson quand celle-ci était partie finir ses jours chez sa sœur, dans le Sussex. Mon cœur se serra à la pensée de notre ancienne logeuse. En y repensant, c'est avec son départ que tout avait commencé à changer.

Mon cabinet fonctionnant de mieux en mieux, je n'avais plus beaucoup de temps à accorder à Holmes et ses enquêtes. En bon biographe, je m'étais donc rabattu sur le Holmes fictif, celui qui portait la fameuse casquette et fumait la pipe, dont je publiais les enquêtes dans le Strand Magazine.

Mais même celui-là avait fini par m'échapper, victime de son succès, s'envolant par delà les frontières de l'Angleterre, faisant son apparition au cinéma... Et Holmes me manquait terriblement.

Alors quand j'avais reçu le télégraphe de la bonne, je n'avais pas hésité une seconde à laisser mes affaires en plan pour grimper dans un cab direction Baker Street. J'avais délaissé le 221B et les touristes américains qui s'y pressaient pour frapper à l'immeuble d'en face, me félicitant une fois de plus d'avoir toujours donné une fausse adresse pour le cabinet de mon ami.

J'avais retrouvé la pauvre femme complètement paniquée, une seringue vide entre les mains. Il ne m'avait pas fallu plus de temps pour comprendre de quoi il s'agissait. J'avais fait asseoir la bonne, lui avais servi un verre d'eau, puis j'avais récupéré la seringue et j'avais monté les marches jusqu'à l'appartement de mon plus cher ami.

Holmes avait déjà pris deux doses avant mon arrivée. Solution à sept pourcents. Il ne parût pas surpris de me voir. Sans doute avait-il déduit que la bonne ferait appel à moi. Il se contenta de m'indiquer le fauteuil où j'avais pris place pendant si longtemps pour l'écouter me raconter ses enquêtes, que je romançais ensuite malgré ses protestations sur ma plume trop romantique. Il ne s'agissait entre nous que d'une vieille plaisanterie, et je savais qu'il possédait son propre exemplaire de chacun de mes romans.

Comme de coutume, un petit carnet était posé sur le guéridon à côté du fauteuil, accompagné d'un crayon de bois. Je m'en saisi avec appréhension. J'avais comme un mauvais pressentiment. L'impression d'une page sur le point de se tourner, non, de tout un livre sur le point de se refermer. Mon intuition se confirma quand Holmes prit la parole, d'une voix terriblement lointaine.

- Prenez des notes Watson. Je vais vous raconter ma dernière affaire...

Ces paroles étaient cependant empreintes d'une telle conviction que je ne doutais pas une seconde qu'il n'y ait effectivement plus jamais de nouvelle enquête effectuée par Sherlock Holmes. Je pris donc mon crayon, et notait tout dans les moindres détails.

Je ne fis pas le moindre commentaire. Ni quand Holmes s'injecta d'une main assurée malgré son âge une troisième dose de son poison. Ni quand il me parla du dénouement tragique de l'affaire, de l'abominable suicide de Mrs Kelmot.

Entre la quatrième et la cinquième dose, je n'avais pas non plus demandé pourquoi mon ami tenait à finir sa carrière sur un échec. Parce que derrière sa voix froide et lointaine qui exprimait un par un les faits, seulement les faits, toujours les faits, le corps de Holmes, son âme, tout son être me hurlait le sentiment de culpabilité qui déchirait son cœur.

J'ai tourné le dos à Ann Kelmot et elle est morte par ma faute.

Puis, Holmes avait sombré dans un demi sommeil, les yeux ouverts sur le vide mais l'esprit ailleurs, perdus dans ses délires de drogué. J'avais pris ses constantes vitales pour m'assurer que sa vie n'était pas en danger, puis je m'étais levé pour ramasser le gant de femme blanc qu'il avait laissé tomber sur le sol, la seule chose qu'il lui restait de Ann Kelmot et de toute cette sordide affaire.

Je m'étais donc assis à mon secrétaire, le gant posé devant moi, et je regardais Holmes dans ce miroir en me demandant que faire. En tant qu'ami et médecin je n'appréciais déjà pas l'usage que faisait Holmes de la cocaïne en temps normal, même si en tant que biographe j'avais bien dû reconnaître que la drogue affûtait son esprit.

Mais ça... Ça ce n'était pas pour affûter son esprit. C'était pour oublier. Et peu importe combien l'intelligence de Holmes était élevée, la drogue ferait ce qu'elle avait à faire. Mais ça ne suffisait pas, non... Holmes retrouveraient la mémoire un jour ou l'autre, et la culpabilité se fraierait de nouveau un chemin vers ce cœur qui se disait insensible, l'empoisonnant bien plus efficacement que n'importe quelle drogue.

Non, ce qu'il fallait c'était une illusion. Une façade de fiction. Remplacer les souvenirs de l'affaire que la cocaïne était en train d'altérer par d'autres faits, une conclusion plus heureuse. Il était temps pour l'imaginaire de remplacer le réel...

Je rangeais le gant dans l'un des tiroirs de mon secrétaire et pris ma plume. Convoquant tout ce que j'avais d'imagination, je commençais à tracer des lettres, qui formèrent bientôt des mots, puis des phrases, qui remplirent des pages entières... Ann Kelmot allait vivre.

The Game Is On (OS Sherlock)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant