4. L'ombre dans l'eau

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Avant qu’elle n’arrive, une bonne demi-heure avait dû s’écouler. Alors que le temps glissait au travers des gouttes de pluie, que je m’étais plu à admirer couler sur le sol, les minutes m’avaient semblées longues, voir même interminables. Mais par-dessus tout, elles avaient été des instants propices à de grandes interrogations, qui ne devaient être importantes que pour moi : « Où est-elle ? Que fait-elle ? Pourquoi n’est-elle pas là ? Ne suis-je pas son horaire ? Ne suis-je pas au bon endroit ? » Et alors que je commençais de plus en plus à penser que l’erreur venait de moi, et que je ferais mieux de partir, j’ai revu ce long imperméable rouge se dessiner dans la flaque, mais aussi pour la première fois ses hauts talons noirs qui m’arrachèrent un sourire délicieux, empli de joie intense.

Je ne pouvais expliquer une nouvelle fois ce que je ressentais, mais le coup de cœur éprouvé pour ce qui me semblait être la femme de ma vie m’était revenu en pleine face, sans que je ne m’y attende, alors qu’au fond c’était je l’avais recherché moi-même. Mon cœur battait de nouveau trop vite dans ma cage thoracique, résonnant dans mes tempes alors que mon corps devenait moite. Je ne savais plus où me mettre, sur quelle chaise je devais m'asseoir, sur quel pied danser. J’avais envie de la regarder, de l’admirer, de la dévorer du regard des heures durant et en même temps je m’en voulais passionnément d’éprouver cette sorte d’amour qui n’aurait jamais de retour pour un reflet, simple phénomène physique d’une personne ne se trouvant même pas à l’intérieur de la nappe d'eau, alors que je me devais déjà d’apprécier les réelles personnes. Je n’étais capable que d’aimer l’image que renvoyait la demoiselle, visiblement petite vu les échasses qu’elle avait au pied mais aussi la hauteur à laquelle se dessinait son manteau dans la marre de gouttelettes. Mais serais-je capable de l’apprécier à sa juste valeur une fois qu'elle me parlerait , me toucherait, ou ne serait-ce me regarderait ? Pour me rassurer, je me dis que ce sentiment platonique n’aurait pas d'autre forme, d'autre fond, et que de toute façon, jamais elle ne m’adresserait la parole. Je ne découvrirais donc jamais la réponse à cette question, et cela m'allait drôlement ainsi.

Malgré cela, je fus bien surpris en secouant la tête de constater qu’elle avait disparu. Paniqué, remonté contre moi-même à cause de cette inattention, deuxième source de mon immense bêtise personnelle surplombant ma folie suicidaire ambulante, je pris ma tête entre mes mains, comme la veille, me maudissant intérieurement pour tout ce que j’avais pu faire dans ma vie. Et alors que le malheur que j’avais abandonné sur ce banc la veille accourait vers moi au triple galop des petits doigts minces, fins, et doux me touchèrent l’épaule, et une voix pleine de carillons résonna dans mon oreille :

-          Est-ce que ça va ? Je t'ai déjà vu hier, tu pleurais comme une salade toute sèche, cela me faisait de la peine.

Sans même la regarder, sans la même la sentir, sans même la gouter, juste en me touchant, et en l’entendant, je fus persuadé une nouvelle fois que se trouvait à quelques centimètres de moi celle dont j’avais toujours rêvé. Et visiblement, elle aussi m’avait repéré.

L’ombre devenait lumière. 

Douce Etoilée // z.mOù les histoires vivent. Découvrez maintenant