9. L'instant

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-          Ne vas pas croire que je t’ai pris avec pour te soigner, murmure-t-elle dans le creux de mon oreille lorsque je sentis la vitesse de la machine s’amenuiser tout autour de moi.

Malgré l’envie transcendante m’habitant, je ne pus me plaire à admirer Etoilée se lever, faisant ainsi valser ses vêtements colorés, ses belles boucles brunes, mais surtout son magnifique regard qui, à chaque fois que je le croisais, me faisait perdre tous mes moyens. Lorsque je fis volte-face, après avoir encaissé cette nouvelle supplémentaire que je me devais de prendre en considération, elle était déjà debout, boutonnant alors son manteau en me regardant un sourcil arqué. Elle ne devait pas comprendre ma réaction : en effet, lorsqu’elle me susurra cette affirmation, je compris qu’elle s’attendait à ce que je retrouve l’usage de ma parole, mais surtout l’usage des muscles de mon visage, me permettant de me décoincer après cette drôle de situation pour qu’ils s’étendent en un large sourire. Mais je fis tout le contraire : je poussai un soupire, dur, douloureux, marqué par la tristesse cachée que j’avais trouvée derrière cette voix qui semblait douce et pleine d’espoir : elle ne l’avait pas compris, elle venait tout simplement de signer l’arrêt fatal de notre relation, en m’avouant qu’elle ne me prenait pas avec dans son lieu de travail. Combien de chance aurions-nous de nous revoir après qu’elle soit sortie de cette immense voiture dénuée d’autres vies que la notre, désormais ? Et celle de ses collègues, à l’avant, avec le conducteur du bus discutant de sa vie avec elles ? Peu. Très peu. J’avais presque envie de dire aucune : son travail et le mien ne pouvaient être compatibles pour des rendez-vous, à cause de nos horaires hasardeux, et nos heures de sommeil à rattraper lorsque l’on peut. Nos situations physiques dans le monde seront telles que nous ne pourrions presque plus nous voir, même par ordinateurs interposés, à cause du décalage horaire. Et de surcroit, déjà que les relations tout court étaient mon immense point faibles, celles à distance n’allaient pas être mon domaine d’excellence : elle le serait peut-être, elle, mais une relation, cela se nourrit. Et comme un bébé, cela se fait à deux, en général.

Si elle m’avait soignée, je serais toujours resté avec elle. Toujours, peut-être pas, mais un bon bout de temps. Je l’aurais vue tous les jours, dans le bâtiment, flânant quelque part, dans un corridor, dans une salle d’osculation, dans une chambre, dans ma chambre. Je ne l’aurais peut-être ratée que quelques jours dans l’année, mais en tous cas pas tous. Malgré les traitements que cela impliquait, avec tous leurs effets secondaire comme le fait de fréquenter du monde malgré mon manque de sociabilité marqué et d’envie surtout, cela me plaisait, véritablement. J’étais prêt à tout pour retrouver de la vie dans son portrait, et non la mort imminente dans une vie sans elle.

C’est à cet instant que je me rendis compte pour la première fois que j’avais véritablement un problème. Même si cela m’avait paru évident, déjà des mois auparavant, ne serait-ce que par les remarques de mes camarades et de mon staff, cette tristesse me fit comme un électrochoc : je préférais être confiné à attendre que la vie passe, au rythme de ses visites me la rendant plus belle, que de rester libre, à essayer de retrouver un bonheur global, au milieu du temps glissant à son réel court. Je devais me faire soigner. Et si elle était là, cela pourrait être plus simple, non ?

-          Mais qui te dit que maintenant, je n’en ai pas envie ? demandai-je, en me relevant à mon tour, enfilant mon manteau sur mes épaules sous son regard ahuri. 

Douce Etoilée // z.mOù les histoires vivent. Découvrez maintenant