L'odeur iodée de la mer. Le brouhaha polyglotte de la foule sur le port. L'odeur du mazout, aussi. Un peu. Et les embruns amenés par le vent. Les yeux fermés, Lucy s'abreuvait de cette nouveauté, avec l'impression de renaître et d'enfin commencer une nouvelle vie. Ici, personne ne la connaissait, personne ne la jugerait. Elle avait quelques économies, pas grand-chose, mais ça suffirait. Juste quelques pulls, une couverture, et suffisamment pour se procurer à manger pour un mois... et sa peinture, aussi. Le reste était à Crocus, loin, elle échapperait à la tentation.
Elle ne savait pas si elle avait bien fait de repartir d'aussi loin. Elle aurait aussi juste pu déménager, et continuer d'avoir un train de vie correct, mais ça ne semblait pas assez. Elle voulait juste, pour quelque temps, retrouver cette partie d'elle-même qu'elle s'était efforcée d'oublier ces quatre dernières années. Fuir, aussi. Surtout. Et à chaque pas qu'elle faisait, elle regrettait un peu plus d'être partie. Et à chaque pas qu'elle faisait, elle était plus intimement persuadée d'avoir fait le bon choix. Parce que si elle était restée, elle aurait fini par céder, par aller le voir.
Mais déjà elle entendait les voix de ses démons, comme elle les appelait, revenir, et elle tentait tant bien que mal de faire le vide dans son esprit. Ne pas penser, et surtout pas à lui, ni à eux, ni à personne, ni à rien. Juste se concentrer sur son souffle, sur le tremblement de ses paupières à cause de la lumière du soleil, sur sa peau que celui-ci chauffait agréablement. Et sur la commissure de ses lèvres qui, lentement mais sûrement, se relevait.
***
Quelques jours plus tard, après plusieurs nuits à dormir dans un simple plaid, et plusieurs jours à s'imprégner de l'ambiance générale du pays, elle décida de commencer à dessiner. Elle s'assit sur un petit muret de pierres, en plein cœur du centre-ville. Moins confortable que le marbre lisse et courbé de la fontaine, mais plus favorable à la conservation des toiles. Doucement, elle sortit son matériel, et puis commença à croquer les passants, les commerçants, les lieux.
L'atmosphère d'Alvarez était étrange, à la fois joyeuse et chaotique, sans doute à cause de la multitude de touristes, mais aussi très grave. Cela se jouait à quelques détails à peine : entre deux tables bruyantes, un homme attendait, observait, prenait des notes, le visage sombre et le regard noir ; plus loin, deux autres échangeaient à voix basse, avec un air décontracté qui aurait trompé n'importe qui — mais pas quelqu'un qui a passé des années dans la rue à observer la nature humaine. Une aura menaçante, sourde, comme une rumeur, avait pris place dans la ville portuaire. L'empereur était mort, cette nuit-là, et déjà ses généraux se disputaient sa place. Et déjà les pions, les soldats choisissaient leur camp.
Un jeune homme interrompit son fil de pensée. Les cheveux noirs et le regard doux, il observait son travail par-dessus son épaule, comme émerveillé. Ou plutôt, comme s'il avait enfin trouvé un trésor précieux qu'il recherchait depuis des années.
— Je peux vous aider ? demanda-t-elle, pressée qu'il retire sa tête de son espace vital.
Il la regarda étrangement, avant de rire. Son rire était aussi doux que son regard, mais c'était dérangeant. L'aura qui s'était emparée de la ville, celle qui planait au-dessus des pions et des soldats et de ceux qui manigançaient, n'avait rien à voir avec la prestance de l'homme devant elle. Il avait l'air de rien, comme ça, avec sa houppette au-dessus du crâne et son air de chiot, mais elle sentait qu'il était bien plus que ça. Qu'il n'était pas juste un poivrot au bar du coin qui parie tout son pécule sur le cheval qui lui paraît le plus à même de gagner. Elle sentait, elle savait qu'il n'était pas juste un suiveur, mais un véritable acteur, et même celui que personne n'attendait. Le cheval sauvage qui rafle la première place de la course équestre.
Il ne s'était passé que quelques secondes et pourtant l'un et l'autre s'étaient sondés, en un regard, et avaient su quel serait le rôle de l'autre.
— Vous venez de l'étranger ?
— Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?
Réponde à une question par une autre question. Ils auraient pu jouer à ce petit jeu pendant longtemps, surtout pour des banalités aussi évidentes. Mais l'une pressentait que le sujet de la conversation était ailleurs, et l'autre le savait.
— Oh, trois fois rien. L'accent, les vêtements... Le talent, aussi. On n'a pas beaucoup d'artistes, ici. Encore moins de votre trempe. Très joli, ce que vous faites, d'ailleurs. C'est dommage que l'Empire n'ait pas accordé plus d'importance aux compétences artistiques de ses habitants... L'art, c'est important, et dans tous les domaines... La propagande par exemple.
Il ponctua sa phrase d'un regard, la jaugeant. Tout dans son physique évoquait la candeur, et pourtant... Elle sourit largement. Tant pis pour la rue. De toute façon, l'expérience n'avait pas été probante, et elle n'avait eu de cesse de penser à Natsu. Au moins, en s'occupant de la propagande artistique en faveur du futur empereur, elle n'aurait plus l'esprit suffisamment libre pour qu'il revienne inlassablement vers lui.
— Le prochain empereur aura sans aucun doute besoin d'asseoir son autorité, acquiesça-t-elle. Quoi de mieux pour ça que de belles œuvres ? Un bon vieux culte de la personnalité...
— Heureux de voir que nous tombons d'accord. Demain, il y aura un nouvel empereur. Ce ne sera pas moi. Mais après-demain, ne doutez pas que ce sera dans mes mains que l'orbe se tiendra. Soyez prête, venez à la capitale. On vous contactera.
Puis il disparut, lui laissant à peine le temps de hocher la tête. Mais rien d'autre ne comptait que la délicieuse sensation d'enfin se libérer. Parce qu'elle savait qu'en enchaînant son esprit créatif à une cause, elle ne pourrait plus penser au reste.
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Hey ! Cette fois-ci, je suis à l'heure... Et le chapitre est assez long (par rapport à la taille standard de cette fic). D'ailleurs je pense que, jusqu'à la fin, on tournera entre les 500 et les 1000 mots.
J'espère que ce chapitre vous a plu ! On change d'ambiance, de pays, on s'éloigne de l'être aimé... Avec un peu de chance, se concentrer sur autre chose que Natsu lui remettra les pendules à l'heure, à la petite Lucy !
Voilà, on se retrouve vendredi ! (j'ai changé le rythme de publication)
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Aquarelles
FanfictionLucy vit dans la rue depuis ses six ans. Elle n'a pas de famille, pas d'amis, pas de nom. Elle est juste Lucy. Jusqu'au jour où cet adolescent aux mystérieux cheveux roses lui offre une palette d'aquarelles. Voilà désormais cinq ans qu'elle peint sa...