4° Dessin, permanence et insistance

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Chapitre 4.

Justin souffla de soulagement en s'étalant sur son lit. La journée avait été épuisante. Une fois le déjeuner terminé, Iseult avait continué d'essayer de lui parler. Tim avait même tenté de l'accoster une nouvelle fois lors de la pause de l'après-midi. Justin était crevé. Devoir supporter tous ces gens l'avait vidé de son énergie.

Il n'avait jamais autant souhaité devenir invisible. De disparaître, pour qu'on puisse enfin le laisser tranquille. Il ne comprenait pourquoi les autres avaient tant besoin de parler. Et surtout, il ne comprenait pas pourquoi certaine personne s'entêtait à venir le voir alors qu'il leur avait clairement fait ressentir son animosité. Cette pensée était tout particulièrement dirigée vers Tim.

Il n'avait pas envie de discuter avec lui, alors pourquoi persister ? Justin voyait ça comme du harcèlement. Il savait qu'il exagérait, mais c'est comme ça qu'il le ressentait.

Il soupira une fois de plus, s'étira, et se saisit de son carnet à dessin et d'un crayon à papier. Dessiner lui permettait d'extérioriser toute cette tension accumulée, toute cette peur et cette colère qu'il préférait intérioriser. Justin dessinait depuis toujours. Tout petit déjà, il n'était pas à l'aise avec les gens et préférait s'isoler dans son coin pour crayonner sur des feuilles. Ses gribouillis avaient bien évolué avec le temps.

Justin ne dirait pas qu'il était doué pour ça, ou qu'il avait l'étoffe d'un artiste -il n'en n'avait pas la prétention. Il dessinait dans un but purement désintéressé. Il dessinait pour créer, il dessinait pour dessiner, et parce qu'il ne voyait pas ce qu'il pouvait faire de plus intéressant. Ça lui faisait passer le temps. Le dessin, c'était un peu son essence. Il ne se voyait pas vivre sans pouvoir tenir un crayon entre ses doigts.

Il pouvait pratiquement tout représenter sur une feuille de papier, et maîtrisait toute sorte de techniques différentes. Du fusain à la peinture, en passant par l'aquarelle et le feutre, il savait manier à peu près tout. L'oeuvre qu'il était en train de réaliser depuis maintenant deux bonnes heures était assez brouillonne et barbouillée de rouge. On pouvait discerner une balle de handball au milieu de toute cette fureur. Nul doute que l'incident du cours de sport et toutes ces paires d'yeux posées sur lui ne l'avaient pas laissés indifférent.

Il se coucha tard dans la nuit, après avoir achevé sa composition. Il pensait avoir plus de répit le lendemain, mais il n'était pas au bout de ses peines. La rencontre avec Tim et ses deux compères n'était malheureusement pas un cauchemar, et Iseult était bien décidée à le convaincre de l'accompagner à la soirée. Il ne le savait pas encore, mais à l'image de la veille, cette journée ne serait pas de tout repos.

- Salut, l'accosta Iseult en s'asseyant près de lui en salle de permanence.

Ils avaient pratiquement le même emploi du temps, et donc les mêmes heures de trou. Justin ne réagit pas pendant quelques secondes, n'étant pas habitué à ce qu'on lui adresse la parole si tôt le matin. Ou même à ce qu'on lui adresse la parole tout court d'ailleurs.

- Salut, lui répondit-il simplement avant de se reconcentrer sur le croquis qu'il griffonait dans la marge de son cahier d'anglais.

Il ne dessinait pas beaucoup au lycée. Ou alors, il le faisait très discrètement, pour ne pas attirer les curieux -les emmerdeurs, comme il se plaisait à les qualifier.

- J'ai croisé Tim tout à l'heure. Il m'a précisé que la fête se déroulerait vendredi soir de la semaine prochaine.

Justin ne put s'empêcher de faire la grimace. Tim rimait avec lourdeur, et fête rimait avec foule, ennui et embrouille. Pour lui, se rendre à cette soirée, ce serait comme s'égratigner tout le corps, puis prendre un bain de jus de citron sous les yeux d'une centaine de spectateur. Et il exagérait à peine.

- Je t'ai déjà dit que je n'irai pas, déclara-t-il d'un ton catégorique.

- Je sais bien, mais j'aimerais bien y aller moi... Le problème, c'est que j'ai peur d'y aller toute seule...

- Tel est notre fardeau d'introverti, conclut Justin en repassant son petit croquis de loup au stylo noir.

Iseult ne dit rien pendant plusieurs minutes, cherchant ses mots. Elle se demandait ce qu'elle allait bien pouvoir trouver comme argument pour le faire capituler.

- Et si je te paye ?

Elle était désespérée.

- Tu as un million d'euros ? Sinon, ce sera sans moi.

Iseult ne put s'empêcher de faire une moue boudeuse, s'avouant vaincue. Il ne lui restait plus qu'à prier pour avoir du courage le jour de la fête pour ne pas se défiler. C'est ce moment-là que choisit Tim pour pénétrer dans la salle de permanence, souriant, comme à son habitude. Il était accompagné du garçon aux cheveux noirs qui arborait un air blasé. L'autre garçon de la veille ne semblait pas être avec eux.

Lorsque Justin les aperçut, il leva son cahier à la vitesse de la lumière et cacha sa tête derrière. Il n'avait aucune envie d'être rejoint par ces deux individus. Iseult fut impressionnée de la vitesse à laquelle Justin s'était planqué derrière son cahier. C'étaient ses réflexes de fantôme qui ressurgissaient. Néanmoins, ça ne suffit pas pour échapper à l'oeil perçant de Tim.

- Salut Iseult, ça va ?! s'exclama-t-il en lui faisant la bise.

Iseult se sentit rougir. Celui qui l'accompagnait restait derrière, détaché.

- Ça va et toi ? lui demanda-t-elle, le sourire aux lèvres.

- Nickel, comme d'habitude ! Et toi, monsieur je me cache derrière un cahier ?

Justin fit la grimace, pris au piège. Il abaissa lentement son cahier avant de fusiller du regard son interlocuteur.

- Ça allait jusqu'à ce que tu te ramènes, lâcha-t-il froidement.

- Ouch, ça pique, exagéra Tim en pressant théâtralement sa main sur son coeur. Tu verras, un jour je parviendrai à percer ta carapace de glace et à réchauffer ton coeur.

Justin hésita entre rire ou vomir. Tim était un sacré personnage qu'il n'arrivait décidément pas à cerner.

- Au fait, je ne vous l'ai pas présenté hier, mais lui, c'est Nathan, dit Tim en pointant du doigt le garçon à la mine ennuyée. L'autre, c'était Mathéo. On peut s'asseoir ? questionna-t-il sans attendre la permission pour le faire. Bref, tu viens à la soirée Justin ?

Nathan imita Tim et s'assit à côté d'Iseult. Elle rougit une fois de plus, gênée de la proximité avec ce garçon qu'elle ne connaissait pas avant le déjeuner de la veille. Justin soupira, et se tourna vers son nouveau voisin qui était accoudé sur la table.

- Non, siffla-t-il.

- Si.

Notre fantôme leva un sourcil.

- Non.

- Si.

Justin se pinça les lèvres. Ce type l'agacait au plus haut point. Il fallait à tout prix qu'il trouve un moyen de s'en débarrasser une bonne fois pour toute, pour qu'il lui fiche enfin la paix et arrête de revenir à la charge avec sa foutue soirée !

Le fantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant