6° Maman, course et embusquade

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Chapitre 6.

La semaine fut longue pour Justin. Très longue. Interminable même. Entre Tim qui l'accaparait dès qu'il avait une minute de libre, ses deux potes, Nathan et Mathéo, qui s'incrustaient sans gêne à sa table le midi, et Iseult qui s'asseyait à côté de lui à tous les cours, notre fantôme n'avait plus un seul instant de solitude. Et contrairement à d'autre, il s'en plaignait.

Il se demandait ce qu'il devait faire pour avoir la paix et retrouver sa regrettée routine de fantôme. Ignorer les intrus n'avait pas marché: ils revenaient toujours à la charge, s'amusant de son silence. Leur répondre froidement n'avait pas été plus efficace non plus: ils se moquaient de lui et ne le prenaient pas au sérieux.

Peut-être devrait-il leur crier dessus une bonne fois pour toute. Cependant, cette option n'attirait pas trop Justin: il n'était pas colérique et ne savait pas faire semblant. Il aurait l'air ridicule s'il était amené à les engueuler. Il était même sûr qu'en faisant ça, il ne récolterait que le rire tonitruant de Tim, Nathan et Mathéo.

Enfin, c'était le week-end, deux jours bénis loin de tous ces pots de colles. Et Justin était bien décidé à en profiter un maximum. C'est pourquoi il fit studieusement ses devoirs le samedi matin, afin d'avoir tout le reste de son week-end de libre. Il faisait beau, il faisait doux, et surtout, il n'avait personne sur le dos. Et ça, c'était un luxe qu'il allait savourer.

- Justin ! Je vais en course tout à l'heure, tu m'accompagneras ?! lui demanda sa mère en entrant en trombe dans sa chambre.

Ledit Justin grimaça. Désormais, sa mère était la seule ombre au tableau de sa tranquillité. Elle se prénommait Céline, était petite et mince, et des bigoudis étaient encore emmêlés dans ses cheveux châtains grisonnants. Justin et elle se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Leurs seules différences étant sans doute les quelques rides qui plissaient le front de Céline, et le caractère enjoué et désinvolte de cette dernière. Il était clair que pour ce qui était de la personnalité, ce n'était pas d'elle qu'avait hérité Justin.

Celui-ci finit d'ailleurs par soupirer, faisant une croix sur son samedi après-midi.

- Avec plaisir maman.

Il savait très bien que c'était une question rhétorique. S'il refusait, elle l'obligerait quand même à venir avec elle. Elle faisait semblant de lui laisser le choix, mais au final, il faisait toujours ce qu'elle voulait qu'il fasse. Sa mère était diabolique.

- Super ! On ira après manger ! s'exclama-t-elle en claquant la porte.

Céline était une véritable pile électrique qui ne tenait pas en place. Elle débordait d'optimisme et détestait s'ennuyer, alors elle n'était jamais à cours d'idée d'activités farfelues à faire avec son fils et son mari. Le caractère de ce dernier était d'ailleurs, à l'image de Justin, complètement opposé à celui de son épouse. Il aimait le calme et le silence, et laissait très souvent sa femme converser toute seule. Il l'écoutait, bien sûr, mais il se contentait de hocher la tête au fil de son récit.

Justin se demandait parfois comment le destin avait pu les réunir. Son père était une force tranquille, sa mère était une force tumultueuse et fougueuse. Et pourtant, ils avaient derrière eux presque vingt ans de mariage, et ils continuaient de filer le bonheur. Enfin, Justin avait au moins eu le privilège d'être enfant unique, et rien que pour ça, il bénissait le ciel d'être le fils de ses parents.

Quoiqu'il en soit, comme l'avait promis Céline, une fois le déjeuner englouti et la vaisselle faite, elle et son fils sautèrent dans la voiture pour aller à Leclerc, le supermarché le plus près. Sur le trajet, Justin pria pour qu'il fasse aussi beau le lendemain. Ainsi, il pourrait s'extirper de chez lui pour aller lire dans le parc sans avoir sa mère sur le dos.

- Tu peux aller me chercher un pot de Nutella ?

Justin hocha la tête et laissa sa mère se dépatouiller avec sa liste de course qu'elle avait du mal à relire. C'était toujours comme ça: elle écrivait vite, et après, elle n'arrivait plus à comprendre ce qu'elle avait marqué. Sa mère était une véritable galérienne.

Le châtain s'éloigna pour aller chercher ce qu'elle lui avait demandé. Il trouva assez facilement, le Nutella occupant une place considérable dans le rayon du chocolat et des confiseries. Le pot de pâte à tartiner en main, il se figea en entendant des voix familières au loin, au fond du rayon.

- Je veux des nounours !

- C'est mort Tim. Les têtes brûlées c'est mieux.

- Et du réglisse ? C'est bon, le réglisse.

- C'est la blague de l'année Mathéo.

Enfer et damnation ! pensa Justin en se carapatant hors du rayon. Il jeta un coup d'oeil en arrière, et soupira de soulagement en constatant que les trois pots de colle ne l'avaient pas remarqué.

- Qu'est-ce que tu as Justin ? On dirait que tu as vu un fantôme, remarqua sa mère en arrivant derrière son dos.

Il sursauta et la poussa derrière un présentoir de chips, non loin du rayon où Tim, Mathéo et Nathan continuaient de se chamailler pour savoir quel paquet de bonbons ils allaient acheter.

- Tu les connais ? s'enquit Céline en regardant dans la même direction que son fils. Attends, ce sont tes amis ? Pourquoi tu ne me les présentes pas ?

- Chut, parle moins fort maman ! murmura Justin en s'accroupissant. Non, ce ne sont pas mes amis. Ils ne m'ont pas vu et je préférerais les éviter.

Sa mère lui fit les yeux ronds, l'air choquée.

- Mon fils est enfin sorti de sa coquille, il a des amis ! Il faut absolument que je le dise à ton père ! Mieux, il faut absolument que je l'annonce à la famille !

- Surtout pas ! s'empressa-t-il de rétorquer, les joues rouges de honte.

- Justin ? demanda une voix grave qu'il reconnut comme étant celle de Tim.

Le châtain, toujours accroupi derrière le présentoir de chips, n'avait plus fait attention à Tim et ses potes en se disputant gentiment avec sa mère. Ils étaient sortis du rayon et ils l'avaient alors aperçu. Justin se releva, honteux. Il détourna le regard en cherchant à trouver une quelconque excuse potable pour justifier sa position pitoyable et rapidement prendre la poudre d'escampette. Mais vu le regard amusé qu'arborait Tim, Mathéo et Nathan, il sut que ça n'allait pas être une mince affaire.

- Vous êtes des amis de Justin ? Enchantée, je suis Céline, sa mère ! s'exclama-t-elle, aux anges.

Et si en plus sa génitrice s'y mettait, alors il n'était pas sorti de l'auberge.

Le fantômeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant