Le fantôme

16° Pardon, compote et offrande

Chapitre 16.

- Écoute-moi, l'implora Tim.

Justin soupira de résignation. Il avait beau être en colère, il restait lucide. Il savait que ça n'aurait servi à rien de lui tenir tête. Tim était un forceur. Ce n'était pas en l'ignorant ou en l'envoyant se faire cuir un oeuf -pour rester poli- qu'il allait parvenir à se débarrasser de lui.

- Mathéo est un crétin, d'accord ? Il ne pense pas ce qu'il dit, et ça lui arrive souvent, je le connais suffisamment pour t'affirmer qu'à l'heure qu'il est, il regrette sûrement ce qu'il t'a dit.

Justin ne répondit rien, analysant le visage de son interlocuteur. Il n'avait pas l'air de mentir. Il le regardait avec sincérité, semblant réellement désolé de ce qui venait de se produire. Ses mots l'avaient un peu apaisé, rassuré, mais il n'était toujours pas prêt de pardonner Mathéo. Justin n'était pas particulièrement rancunier, mais les paroles du blond l'avaient blessées, et il n'était pas prêt de l'oublier.

- Et tu n'es pas un boulet, rajouta Tim. Sauf en sport. Là, j'ai jamais vu une brêle pareille.

Bien malgré lui, les lèvres du châtain s'étirèrent en un sourire amusé. Tim avait cette faculté de réussir à faire rigoler la galerie même lorsque l'ambiance était au plus mal. Il avait beau l'embêter et lui taper sur le système assez souvent, Tim n'était pas méchant, et même plutôt attachant dans son genre.

- Tu reviens à la table, du coup ? hasarda le sportif. Parce que si tu continues de bouder et que tu comptes vraiment t'en aller, alors je veux bien te piquer ton dessert. J'adore la compote.

Notre fantôme pouffa, engendrant un sourire de soulagement chez le plus grand. Il était rassuré qu'il n'en veuille pas trop à Mathéo pour revenir dans la bande.

- D'accord, souffla Justin. Mais je garde ma compote.

- Dommage.

Comme convenu, ils retournèrent donc d'où ils venaient, où les attendaient Iseult et son regard anxieux, Nathan et son air neutre dont on ne pouvait deviner les pensées et Mathéo et sa mine coupable. Tim s'assit suivi de Justin dont la place était en face du blond. Il ne lui dit pas un mot, se contenant pour ne pas se venger en lui balançant une insulte blessante. Justin valait mieux que ça, il le savait. Il ne s'abaisserait pas à la vengeance.

- Désolé pour tout à l'heure, murmura Mathéo qui avait dû ravaler sa fierté tant bien que mal pour s'excuser.

- Hm.

Il pris une mine déconfite en n'obtenant que l'indifférence de son vis-à-vis. Il loucha sur son dessert, et sut ce qu'il devait faire. Il allait lui faire une offrande pour réclamer son pardon -et dans sa tête, c'était loin d'être une hyperbole.

- Je suis prêt à sacrifier ma mousse au chocolat blanc pour obtenir ta miséricorde Justin, déclara-t-il d'un ton si solennel que toute la table éclata de rire, sous le regard amusé dudit Justin.

Mathéo avait la tête baissée et lui tendait son dessert comme s'il s'apprêtait à faire une véritable offrande à un dieu. Notre fantôme secoua la tête sans se départir de son sourire, et accepta le présent. Il n'avait pas envie d'être fâché avec lui indéfiniment. Mathéo semblait sincèrement désolé, et ça lui suffisait. Il lui aurait même pardonné sans qu'il eut besoin de lui donner son dessert, mais une mousse au chocolat blanc, ça ne se refusait pas.

- Je peux prendre ta compote du coup ? lui demanda son voisin qui n'était nul autre que Tim.

- Bien sûr.

- C'est vrai ?!

- Non, pas touche.

- J'aurais essayé.

Ils rirent. La suite du repas se déroula sans inconvénients, Justin avait pardonné à Mathéo, et Tim avait toujours plus d'un tour dans son sac pour détendre l'atmosphère. Iseult était rassurée, elle avait eu peur que ça dégénère et si ça avait été le cas, elle savait qu'elle n'aurait pas su quoi faire. En très peu de temps, cette petite bande d'amis était devenue essentielle dans sa petite vie bien rangée de lycéenne modèle. Elle n'avait jamais été aussi bien intégrée dans un groupe. Elle se rendit compte que si elle venait un jour à les perdre, elle aurait sans doute beaucoup de mal à s'en remettre.

- Du coup, tu viens à ma fête ?

- Tu ne perds pas le nord toi...

- Jamais, lui répondit Tim avec un grand sourire malicieux.

Justin réfléchit, tandis qu'il enfournait dans sa bouche une grosse cuillère de mousse au chocolat blanc. Il savait que Tim ne lui lâcherait pas la grappe et le traînerait à sa soirée de force s'il le fallait. Mais c'était plus fort que lui, il n'avait vraiment, vraiment pas envie de se retrouver au milieu de tous ces gens qu'il ne connaissait même pas. Il secoua la tête. Se rendre à cette fête, c'était renoncer à tous ses principes, renoncer à son identité de fantôme. Et Justin ne pouvait toujours pas s'y résoudre.

- Alors ?

- Alors c'est toujours non. À moins que tu ne me kidnappes pour m'emmener par la force, il n'y a aucune chance que je sois là vendredi soir.

- Ne me tente pas, répliqua Tim, taquin.

Ils rirent de bon coeur, et se dépêcherent de finir leurs desserts en entendant la sonnerie retentir. Profitant qu'il ne leur restait très peu de temps pour aller en classe, Mathéo choppa la compote de Justin pour la manger, sous le regard entendu de ce dernier qui de toute façon n'avait même pas encore terminé sa mousse. La petite troupe se sépara à la sortie de self, Nathan, Tim et Mathéo ayant cours de science économique et sociale tandis qu'Iseult et Justin devaient se dépêcher d'aller en cours de littérature.

Tandis que madame Garcia expliquait le rôle politique du duc d'Anjou dans La princesse de Montpensier, Justin laissait ses pensées vagabonder, tout en dressant le portrait de sa prof dans un coin de la marge -elle était juste en face de lui, alors autant joindre l'utile à l'agréable en profitant de ce modèle gratuit.

Il n'irait pas à la soirée de Tim. De gré, du moins. Ça, c'était certain. Mais ce qui l'était moins, c'était comment allait réagir Tim, le jour de sa fête, en s'apercevant qu'il n'était effectivement pas venu. Car vous commencez à le connaître maintenant. Quand Tim veut quelque chose, il l'obtient, peu importe les efforts qu'il doit faire pour toucher au but.