Chapitre 5

406 67 13
                                    

Amaury venait de prendre place sur son siège.

Placé contre le mur et au milieu de plusieurs autres, sa position laissait deviner quelle place il occupait en ces lieux. Il était la tête pensante, celui auquel il fallait s'adresser, celui qu'il était tenu d'implorer pour garder la vie sauve. Il appréciait tout particulièrement la manière dont les sièges étaient disposés et la manière dont cet agencement l'avantageait.

Amaury avait appelé plusieurs seigneurs insulaires à se réunir dans la plus vaste pièce du château. Ils étaient sept, sept puissants à revendiquer une indépendance farouche et aveugle. Parmi ces sept,

Ces nobles de seconde zone, pas suffisamment riches ou influents pour espérer gagner le continent un jour et se façonner une place à la Cour, étaient rongés par la frustration. Amaury avait appris à les comprendre, à saisir leur fonctionnement. Il s'était joint à eux, avait feint d'appartenir à cet ensemble soudé, mais tout aussi prompt à la traîtrise que les continentaux.

Il connaissait dorénavant chacun de ces hommes rompus par leurs principes, par leurs ambitions, au point d'en devenir aisément manipulables. Ils se pensaient égaux, du moins en théorie, puisqu'ils nourrissaient tous le désir de dominer leur prochain, de prendre l'avantage. Il n'en était rien. Amaury était parvenu à se forger une position de choix, année après année, négociation après négociation. Il s'était imposé comme indispensable. Mieux, comme un sauveur, et ses derniers exploits n'avaient fait que confirmer cette ascendance. Ces hommes qui l'entouraient ne l'admettraient que sous la torture, mais ils lui obéissaient déjà.

Amaury s'humecta patiemment les lèvres. Il se rappelait avoir mis les pieds sur ces îles à la mort de Lyena, la femme qu'il avait aimée. Exilé, poursuivi par les soldats du roi, il avait trouvé refuge sur ces terres inhospitalières, sans cesse balayées par les vents et rongées par les marées. Il avait découvert un autre visage de Loajess, loin du mode de vie qui lui était familier. Les insulaires menaient une existence plus simple et leur allégeance à la Couronne ne formait qu'une fourbe illusion. Soann négligeait leurs difficultés, l'isolement et les difficultés que présentait le territoire, au point où le mécontentement du peuple atteignait une certaine extrémité.

Amaury avait appris qu'il n'y avait rien de plus manipulable qu'une population désespérée. Il avait œuvré dans l'ombre de ces immenses châteaux, de ces coutumes authentiques, et peut-être même s'était-il attaché à ces gens, aux îles qui l'avaient finalement adopté.

Rien ne permettait de l'assurer.

Le prince oublié, chassé par l'avidité de son frère, avait façonné un plan. Dix ans avaient été nécessaires à cette entreprise et l'heure arrivait...

L'heure du triomphe approchait enfin.

Telle fut la pensée d'Amaury lorsque la porte massive de la salle s'ouvrit dans un grincement sinistre.

Un homme pénétra dans la pièce. L'allure militaire, le maintien impeccable, il ne frémit même pas sous les œillades des puissants. Il s'agissait d'un homme habitué à côtoyer les plus grands. Engoncé dans un uniforme royal, qu'il avait refusé d'abandonner malgré les incitations, il respirait la force et le sérieux. Un bras, sans doute endommagé par les combats, pendait le long du corps, et quelques cicatrices, dont une impressionnante dessinée à la naissance de la gorge, peuplaient son visage. Amaury détailla plus longtemps ce visage quelconque sculpté par une barbe courte et entretenue, cette bouche effacée, ce nez fort et marqué qui ne donnait pas plus de caractère à cette figure.

Le prince y chercha l'empreinte de la traîtrise, en vain.

L'individu mit un genou à terre et ploya l'échine. Bon nombre de militaires aussi illustres auraient refusé de le faire, nota Amaury. Devait-il y voir de la crainte ? Malgré la position qui évoquait une certaine soumission, l'homme ne trahissait aucune peur.

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant