Chapitre 12

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— Échec au roi.

Le garçon qui avait naguère accueilli Amaury à son retour se tira de sa rêverie. Il se redressa et commenta :

— Impossible.

Il jouait aux échecs depuis qu'il était môme et, désormais, rares étaient ceux qui représentaient des adversaires de taille. Il lui arrivait de sous-estimer ses adversaires, de se désintéresser du jeu, ou de ne pas quitter son rival des yeux, pour le seul plaisir d'assister à l'instant où il perdrait tous ses moyens. Un passe-temps au même titre que la pêche ou que les combats amicaux auxquels il participait.

— Allons, vous n'avez pas encore perdu, jeune homme.

L'intéressé serra les dents. Pas encore ?

Il avança un pion et la partie reprit de plus belle. Habitué à se ménager et à déconcentrer son adversaire, le plus jeune posa ses coudes sur la table et déclara, d'une voix dégagée :

— Est-ce vrai que vous avez envoyé au roi la tête d'un des émissaires de Déalym ?

Un sourire en coin réhaussa les lèvres d'Amaury. Un sourire calculateur, d'homme prévoyant, mais qui ne se privait pas d'audaces.

— Si c'est vrai, qu'en penses-tu ?

— Je m'imagine la tête que devait tirer votre neveu.

— Oh, cela... Ce n'est pas le plus important.

— Personne n'avait jamais osé faire une chose pareille !

— Personne n'avait jamais osé s'attaquer à Halev ni même au roi. Du moins, pas aussi directement. Pourtant, tu vois, ses hommes écument toujours le continent et je joue aux échecs. Ah, échec au roi. Tu devrais surveiller ta dame, Marwan.

Ce ton léger était trompeur et il pouvait, à tout instant, se durcir. Celui qu'Amaury avait été transparaissait à ces occasions. Un homme qui aimait les fêtes, qui aimait se divertir, et qui laissait bien volontiers au roi les tâches les moins plaisantes. Lui n'avait aucune envie de se salir les mains, il préférait boire à en perdre l'esprit et partager la couche d'une inconnue dont il ne saurait jamais le nom.

L'homme qu'il avait été avant Lyena.

Le dénommé Marwan se concentra à nouveau sur le jeu, tandis que son aîné se leva. L'imposante plateforme sur laquelle ils se trouvaient surplombaient l'océan et offrait une vue à couper le souffle. Le soleil de l'après-midi habillait l'eau d'une blancheur aveuglante. Ses vagues s'étaient apaisées et les quelques remous paraissaient inoffensifs. Une illusion destinée à entraîner les plus imprudents dans les bras de l'océan.

Amaury aimait cette intelligence cruelle, cette mortelle beauté qui n'exprimait aucune clémence.

— Viendront-ils jusqu'ici ? demanda Marwan, après avoir passé sa langue sur son incisive cassée.

— Ils finiront par venir, à moins que nous les devancions. Nous aurions l'avantage de l'environnement. La garde royale n'a pas exactement le pied marin et ce ne sont pas de bons navigateurs. Si la mer décide de déchaîner sa fureur contre leur maigre flotte, nous n'aurons même pas à les affronter.

— Ce ne sont que des possibilités.

— Et c'est ainsi que l'avenir se morcèle. Des possibilités, des probabilités, des chances à saisir ou à renier. C'est comme un jeu, sacrifier des pions permet parfois d'avancer et le gagnant n'est pas toujours celui qu'on pense. Déalym pense Lyssandre coupable de la mort de ses diplomates. C'est un coup que nous avons joué et mon neveu en a joué un autre en repoussant l'offensive de Déalym. Sa précieuse paix n'est pas encore gagnée.

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant