Chapitre 24

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Indisposée par les irrégularités du chemin emprunté, la reine de Déalym s'éventa à l'aide de sa main. Elle y ajouta son éventail pour se cacher derrière les motifs sobres, à l'image de sa personnalité rigide et lisse.

Une chaleur de plomb s'était abattue sur le continent et aucune région, pas même Loajess pourtant située plus au Nord, n'était épargnée.

La reine soupira discrètement et s'attira l'inquiétude d'une dame de compagnie. Une fantaisie qui ne lui appartenait pas et qui l'encombrait plus qu'autre chose. La femme, à l'affut du moindre signe d'inconfort, n'avait pas réagi lorsque sa maîtresse avait tendu, puis détendu ses jambes noueuses, mais parut alerté par cette réaction spontanée. Habituée à ne pas faire de vagues, à rester discrète et effacée, aussi bien en privé qu'en public, l'embarras de la reine sautait aux yeux.

— Ma reine, souhaitez-vous vous délasser un peu ? Voudriez-vous boire quelque chose de frais ? Il est vrai que la chaleur est infernale. Loajess n'est pas épargnée et ce n'est décidément pas un temps à voyager.

— Je vous remercie, je ne désire rien.

— Oh, bien sûr, mais si je peux me rendre utile d'une quelconque manière que...

— Il n'est pas question que nous nous arrêtions pour admirer le paysage, cingla l'unique homme présent dans l'habitacle.

Äzmelan avait revêtu une tenue d'apparat. La soie enveloppait son corps, illustrait toute l'opulence de son Royaume. Il était question d'impressionner, d'exhiber la richesse de Déalym, et d'intimider l'adversaire. Si le roi venait en ami, il n'était pas question d'adopter une position de dominé et il tenait à donner le ton dès son arrivée.

Quelque part, la rancœur restait présente, et passer la frontière en toute légalité ne rendait pas cette paix moins humiliante, moins contre-nature. Äzmelan le savait, accepter de mettre fin à la guerre revenait à injurier ses ancêtres, à renier les convictions de ses prédécesseurs. S'il craignait un peu plus les foudres du destin, s'il était superstitieux, sans doute aurait-il craint d'affronter les conséquences de son acte.

Seulement, Äzmelan ne craignait rien, pas même les anciens rois qui veillaient sur sa couronne.

— Madame ma reine est certainement de mon avis. Vous ne voudriez pas retarder le convoi, n'est-ce pas ?

— Cela va de soi.

Il n'y eut aucun sourire, pas même crispé, mais seule la figure usée par les prières, par les vœux pieux et par le recueillement, de la reine. Elle ne mima même pas la dévotion. La mâchoire crispée, le regard noir, celle-ci évita soigneusement de croiser les yeux gris de son époux. Elle avait depuis longtemps dépassé le stade de la provocation et du conflit. Il ne restait, avec les années, qu'une rancœur solide, aussi venimeux qu'un poison.

Les rares personnes qui connaissaient suffisamment la reine pouvaient affirmer que ce n'était pas sa foi qui l'avait vieillie prématurément, mais bien le ressentiment et l'amertume.

Äzmelan avança sa main vers le visage de sa reine. Il voulut y lisser une ride, l'effacer comme on retire une saleté, presque surpris de la découvrir si vieille, soudain, lui qui la regardait sans la voir. Son épouse se déroba, puis agita son éventail devant son visage avec frénésie. Elle n'hurla pas, elle ne tempêta pas. Ce refus était ferme et silencieux.

Un échec et une victoire, tout à la fois.

Le tyran n'avait pas pour habitude qu'on le prive de quoi que ce soit, et surtout pas lorsqu'il s'agissait d'une chose sur laquelle il pensait avoir tous les pouvoirs. Äzmelan était de ceux qui aiment poser la main sur une personne comme sur un objet, comme si elle lui appartenait.

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant