Chapitre 9

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Äzmelan de Déalym contemplait la ville couchée à ses pieds. La capitale du Royaume grouillait d'activités. Point névralgique des échanges commerciaux de cette immense région, passage obligé des marchands, négociants et des curieux confondus, Orphen ne connaissait aucun équivalent sur tout le continent. Halev, en comparaison, comptait quelques milliers d'habitants en moins et une défense bien moindre.

En témoignait l'attaque qu'elle avait subie à la suite du couronnement du nouveau roi.

La face d'Äzmelan se fendit d'un sourire. Le sourire fier d'un bâtisseur, d'un homme accompli, d'un tyran qui se savait juché sur le flanc de sa réussite.

Les traces du temps ornaient le visage du roi. Vingt ans qu'il régnait sans partages sur Déalym. Vingt ans qu'il asseyait son pouvoir et plus personne ne s'opposait à lui. Pas de front, en tout cas, ce serait provoquer la mort avant que l'heure ne soit venue. Il y avait bien quelques vautours, avides des restes que le despote leur abandonnait, des rapaces qui n'attendaient que la mort, au besoin précipitée, du vieux roi. Malheureusement pour ces opportunistes, comme il en existait partout, Äzmelan entendait bien survivre assez longtemps pour les entourer tous.

Ses traits forts, sculptés par une barbe sombre, quoique grisonnante sur les tempes et décolorée sur le côté droit de la joue, trahissaient un charisme incontestable. Les plus audacieux iraient jusqu'à prétendre que le visage du roi trahissait sa cruauté malgré l'honnêteté de son faciès. Ses yeux de loup gris s'assombrissaient lorsque la colère s'apprêtait à sourdre et sa taille de géant rappelait davantage la silhouette d'une bête que celle d'un homme.

Le vieux loup de Déalym n'avait rien à envier à la réputation qui le précédait.

Depuis les balustrades de son palais, il surplombait Orphen et en dominait les rues. Il pouvait en deviner le dessin, les toits plats, l'étroitesse des ruelles et les vastes places dans lesquelles les habitants se rassemblaient. Ici, la guerre ne semblait avoir aucune portée, aucune menue conséquence. Pourtant, une conséquence partie des richesses amassées ici étaient envoyées à Arkal, là où la souffrance était tue, là où la victoire attendait en vain d'être saisie depuis cent longues années.

Äzmelan s'était promis, quelques deux décennies plus tôt, qu'il serait celui qui offrirait à Déalym la victoire qu'elle avait tant attendue. Il avait promis d'écraser Loajess, de piller ses richesses, de faire subir les pires traitements à son peuple. Des serments de jeune homme emporté, le tyran en avait désormais conscience. Il n'obtiendrait pas ce triomphe ultime, et sa place dans la légende qui l'accompagnait.

Ou du moins, pas de cette façon.

En portant au palais royal son premier coup un mois et demi plus tôt, Äzmelan avait accompli un geste historique. Sous ses yeux, Orphen ne risquait pas de subir le même sort. En d'autres termes, et désormais que son rival avait commis une faute inacceptable, le roi voyait la chance lui sourire à nouveau. Lyssandre se montrait plus combattif que ce qu'il avait laissé imaginer. D'une certaine façon, cette énergie du désespoir qu'il employait à la lutte divertissait Äzmelan. Il en était presque admiratif. Le fils de Soann ne jouait pas comme eux. En fait, il apportait à la scène politique un peu de sang frais.

Le vieux loup avait coutume de le verser, ce sang, une fois lassé du divertissement.

Äzmelan se pencha au-dessus de la balustrade. Une calèche s'était arrêtée devant les portes du palais, contrôlée par les gardes qui en surveillaient l'entrée. L'insigne royale trônait sur le haut de la voiture. Aux yeux du souverain, cela ne pouvait suggérer qu'une seule chose.

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant