Chapitre 32

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Les festivités s'étaient poursuivies jusqu'à une heure avancée.

Au beau milieu de la nuit, on avait enfin permis aux époux de se retirer. Sous le poids des regards suggestifs, des félicitations, voire des remarques grivoises, le roi et sa reine avaient pris le chemin de leur chambre nuptiale. La mère de Miriild les accompagnait et n'avait pas tenté de se soustraire à son devoir. La tradition voulait que la génitrice accompagne sa fille jusqu'au seuil de la chambre tandis que l'épousé serait secondé par son père. Une manière de symboliser le passage à l'âge adulte, un rite discret, presque humble, même au plus haut de la hiérarchie royale.

Dans un silence de mort, ils furent escortés sous bonne garde jusqu'à leurs quartiers. Lyssandre allait seul, orphelin, en lutte contre une farouche envie de déguerpir. Il croisa le regard de la reine de Déalym qui ne lui décrocha pas une parole. Miriild tenta de lui arracher un mot :

— Mère...

Elle s'écarta, comme si elle craignait un geste d'affection.

— À compter de ce soir, je ne suis plus ta mère, mais seulement une reine.

— Je ne le voulais pas plus que vous.

Une reine, ou presque une inconnue. Celle-ci tourna les talons, jugeant que la discussion ne valait pas la peine qu'elle s'y attarde. Un châle enroulé autour de ses épaules, elle pressa le pas jusqu'à disparaître au bout du couloir.

Lyssandre ouvrit la porte pour laisser Miriild entrer. Celle-ci, loin d'observer la pudeur qu'on aimait prêter aux jeunes dames, se laissa choir sur le lit de noces. Elle était épuisée après avoir passé la journée, puis la soirée à conserver les apparences, à maquiller son visage d'un sourire, à feindre un semblant de conversation.

Lyssandre le savait, lui aussi, combien il était difficile de faire semblant.

Assise sur le bord du lit, Miriild ne ressemblait pas à une jeune épousée, mais à une femme endeuillée. Elle semblait accablée et même l'attention portée aux détails dans la chambre, les senteurs divines qui embaumaient l'air, la soie des draps et la lumière enjôleuse des bougies ne la rappelaient pas à la raison de sa présence.

Au devoir qui accompagnait le mariage et qui semblait lui faire horreur.

— Votre mère...

— Ne lui en tenez pas rigueur, je vous prie, murmura Miriild. Elle n'a pas toujours été ainsi.

Les yeux rivés sur ses mains jointes, elle reprit :

— Les histoires de famille ne sont jamais simples, j'ose imaginer que vous en savez quelque chose, roi de Loajess.

— Lyssandre, rectifia l'intéressé. Appelez-moi au moins Lyssandre.

Miriild acquiesça. Elle semblait minuscule dans le lit immense et le roi l'imagina étendue, offerte contre son gré, entre l'étoffe souple, douce, des draps. Cette image était intolérable.

— Mon père aimait les femmes et de ce que j'en sais, il les aime toujours. Avant ma naissance, son appétit était insatiable et vous ne vous imaginez pas le nombre de jeunes femmes qu'il a pu déshonorer. J'ignore ce qu'il en est à Loajess, mais dans mon Royaume... la vertu d'une femme détermine son destin. Elle peut être riche, puissante, si le bruit court qu'une liaison a entaché sa réputation, elle est perdue.

La reine retira enfin la couronne qui avait coiffé sa tête tout au long de la journée. Son poids l'avait écrasée et elle admirait désormais ses joyaux incrustés dans l'argent, ses éclats qui capturaient la lumière dansante des bougies. Comment une telle beauté pouvait-elle symboliser une institution aussi cruelle, aussi terrible, que le pouvoir ?

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant