Chapitre 11

335 60 28
                                    

Nausicaa s'était tirée du lit avant l'aube.

Sans s'attarder sur la tiédeur agréable de ses draps parfumés, elle avait enfilé seule sa tenue du jour. Aucun volant, aucune dentelle pour parer le tissu, mais seulement une robe légère qui n'encombrerait pas ses mouvements.

La courtisane accorda à peine un regard à son reflet. Des cernes alourdissaient ses yeux et le bleu-gris qu'elle aimait tant ne lui paraissait plus aussi éclatant. Son teint, d'un naturel pâle, virait au gris. De l'avis de tous, et bien que la plupart évitaient de le lui avouer clairement, elle faisait peine à voir. Son corps trahissait les déboires de l'âme.

— Mademoiselle ? Mademoiselle, puis-je entrer ?

— Entrez.

Une jeune femme, dont le rôle oscillait entre servante et dame de compagnie aux yeux de Nausicaa, pénétra dans les appartements de la courtisane. Elle s'empressa de ramasser la toilette de la veille, qui gisait piteusement au milieu de la pièce.

— Vous semblez fatiguée, mademoiselle, est-ce que vous souhaitez rester alitée aujourd'hui.

— Non, j'ai à faire.

— Ce soir, alors ? La Cour excusera votre absence.

Mais Nausicaa ne se l'excuserait pas. Depuis peu, elle ne se permettait aucune absence, aucun retard. Elle s'imposait une discipline de fer et encore davantage depuis que Lyssandre avait précipitamment quitté le palais. Il n'était pas question de s'avouer vaincu, de laisser suggérer la moindre faiblesse. La Cour n'attendait qu'un geste de sa part et le roi avait besoin d'elle pour veiller sur le château, pour tendre l'oreille. Du reste, elle ne s'abandonnait pas à sa peine, car elle ne pouvait que s'y perdre.

— Si je suis revenue, peut-être. Je devais prendre le thé avec la comtesse, excusez mon absence auprès d'elle.

— Bien, mademoiselle.

Nausicaa ne s'attarda pas davantage. Elle quitta la pièce avec la ferme intention de ne pas céder à l'envie d'y rester enfermée. Parfois, le matin apparaissait et amenait avec lui un besoin quasi viscéral de se noyer dans sa peine. La baronne avait perdu son père, mort lors d'une de ses chères parties de chasse, puis sa mère. Elle connaissait le deuil et ne pouvait pas se résoudre à lui céder la moindre parcelle d'elle-même.

Nausicaa traversait les couloirs sans ralentir. Cette journée d'absence formait une exception et elle espérait que la Cour saurait se tenir tranquille. Depuis que la nouvelle de la mise à mort des émissaires avait fait le tour du palais, les avis se durcissaient. On commençait à exprimer tout haut ce qu'on se contentait jusqu'alors de murmurer. Le roi avait commis une erreur, une regrettable erreur, et la peur de voir Déalym marcher sur son vieil ennemi se cristallisait. La noblesse n'avait jamais craint d'être délogée du château et encore moins de subir l'attaque d'un quelconque ennemi. Les seuls tracas de ces privilégiés tenaient en quelques mots, à la ruine d'une famille, à l'indispensable mariage et aux malheureux scandales qui ébranlaient la Cour. La crainte de la guerre ne leur était pas familière, mais Nausicaa venait à espérer que cette peur pousse ces vieilles lignées à adhérer à la paix.

Au détour d'un couloir, elle reconnut le visage du marquis de Laval. Dans la précipitation, elle décida d'emprunter un petit escalier peu emprunté qui menait au rez-de-chaussée. Cette fuite pure et simple fut avortée par celui qu'elle tentait d'esquiver :

— Mademoiselle de Meauvoir, quel plaisir ! Attendez donc !

Nausicaa pesta entre ses dents. Elle n'avait aucune envie de faire la conversation à cet enquiquineur de si bon matin. Enjoué, et bien décidé à ne pas laisser sa proie s'échapper, le marquis la rejoignit en quelques souples enjambées :

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant