Chapitre 20

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Lyssandre se liquéfia sur son siège. Nausicaa, à ses côtés, pressa son coude avec tant de force qu'une marque s'y imprimerait sans doute. Elle avait peur, peut-être autant que lui se consumait d'effroi. Le banquet, aux apparences inoffensives, vit son ambiance se métamorphoser.

Lyssandre n'eut pas immédiatement conscience de s'être jeté dans la gueule du loup. Les yeux d'Amaury se posèrent sur lui, comme les crocs d'un prédateur se referment sur la nuque de sa proie sans la tuer. La mâchoire se serre alors juste assez pour que la douleur enfle, pour la menace domine. La proie se savait faite, elle n'en réchapperait pas.

Lyssandre était cette proie et Amaury était autant l'oiseau de malheur dont il contait les prochains exploits, qu'un renard affamé.

La main du prince désigna bientôt le roi, pour effacer le doute quant à sa menace à peine voilée. Au geste, il ajouta la parole :

— Du sang royal pour arroser notre repas... Et quel sang que celui d'un roi !

Tous les regards abandonnèrent la silhouette d'Amaury pour converger vers celle de Lyssandre. Derrière la poudre qui recouvrait sa peau, derrière tous les artifices qui lui avaient permis de passer inaperçu jusqu'alors, celui-ci se décomposait. Il lui semblait ressentir les effets du poison dans ses veines. Cette chaleur qui l'envahissait et qui succédait à une terrible froidure, cette sensation de vertige qui le tenaillait, la nausée qui retournait son estomac trop plein. Lyssandre crut qu'il avait vomir.

Cette fois, il n'y avait aucun poison à extraire, aucun poison à déloger de son organisme.

— Le roi a accepté de nous faire don de sa présence ce soir. Eh bien, qu'attendez-vous pour nous rejoindre ?

Même si Lyssandre l'avait désiré, il n'aurait pas pu se lever. Nausicaa l'empoignait avec l'énergie du désespoir. S'ils souhaitaient l'arracher à son siège, ils devraient la déloger, elle aussi. Les lèvres entrouvertes sur un souffle erratique, Lyssandre eut la conscience de repousser Nausicaa. D'un coup de coude, il arracha ses mains à sa chair et se releva sans lui laisser le temps de se raccrocher à lui. Son amie ne devait pas être associée à sa chute, surtout pas.

La détermination du roi vacilla lorsqu'il croisa la mine réjouie d'Amaury. Tout semblait se dérouler exactement comme il l'avait souhaité. Il se gorgeait de la vue de son neveu, pâle malgré la poudre qui brunissait sa peau.

Aussi pâle que l'une des vierges tirées des contes anciens. Celles qui marchaient jusqu'à l'autel pour y être mariées.

Pour y être sacrifiées.

Lyssandre trébucha sur l'irrégularité d'une dalle. L'odeur de l'alcool lui montait à la tête. Il était resté sobre et n'avait pas trempé ses lèvres dans les verres qui lui étaient servis. Cassien avait dispensé quelques précautions à prendre et l'alcool avait été bannie de la liste des comportements à adopter. Pour des raisons évidentes.

Un rire s'éleva, franc et sonore. On se moquait du roi sans craindre des représailles. Cet exemple incita les autres à imiter ce rire. Des paroles s'élevèrent, des railleries comme Lyssandre n'en avait jamais entendues.

Des paroles assez dures pour prouver qu'elles pouvaient s'avérer plus douloureuses que des coups.

— Qu'on verse son sang ! Le dernier roi, qu'il serve d'exemple aux autres !

— Tuez-le !

— Ça, un roi ? Ce n'est qu'une poupée !

Des mots d'esprit aux cris les plus primaires, Lyssandre fut hué, submergé sous un flot de critiques, de menaces. On s'attaquait à ce qu'il représentait, à cette tête couronnée que ces gens avaient appris à maîtriser.

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant