Chapitre 23

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[Il s'agit bel et bien de la duchesse de Lanceny, Elénaure. Il fallait bien que je la dessine un jour, la voici dans toute sa splendeur]


Lyssandre comprit qu'il avait sous-estimé la force des flots déchaînés à l'instant où une première vague le submergea. Le corps malmené, il n'avait pas imaginé la température de l'océan. L'eau était glaciale au point de lui couper le souffle. Cela non plus, il ne l'avait pas imaginé. Ses muscles se tétanisèrent et, au terme de quelques secondes, il chercha à s'extraire de la froide étreinte des eaux.

Il poussa sur ses bras, mobilisa ses jambes déjà engourdies, et fendit la surface. Il prit une profonde inspiration et le vent qui cingla sa peau trempée ne lui parut pas enviable à la cruauté de l'océan. Une vague l'atteignit en plein visage, faillit l'entraîner par le fond une fois de plus, et une seconde le heurta au sommet du dos. Il recracha, dans un douloureux hoquet, une gerbe d'eau salée. Celle-ci ressortit par ses narines et le priva de la vue durant quelques précieux instants. Lyssandre fut en proie avec un éclat de panique tel que seul l'homme qui craignait véritablement pour sa vie pouvait expérimenter.

Sous ses yeux, et malgré la nuit qui faisait régner son noir d'encre sur les îles de Loajess, se dressait des vagues immenses et impitoyables. L'océan se dessinait en ennemi plus farouche, plus intraitable encore qu'Amaury. La menace qu'il représentait égalait celle de la lame du prince pressé contre la gorge de Lyssandre.

Chaque effort esquissé afin de garder la tête hors de l'eau l'entraînait au creux des vagues. Chaque geste le condamnait davantage. Une douleur aigüe, provoquée par l'irritation du sel et de l'eau, envahit ses narines, sa gorge, ses yeux. Son corps luttait encore, mais il s'épuisait. Jamais le roi n'aurait pu imaginer pareille possibilité. Il avait survécu à son oncle pour laisser les flots l'engloutir. Il fatiguait déjà. Entre deux inspirations, il s'acharnait à battre des bras et des jambes. Dans une anarchie totale de gestes qui l'épuisaient plus qu'ils ne le maintenaient hors de l'eau, Lyssandre employait son énergie à survivre.

Il lui apparaissait que la mort pouvait se décliner sous d'autres visages. Une déclinaison s'offrait à lui, et elle ne possédait ni épées ni clameurs vengeresses.

— Lyssandre !

Un cri fendit les flots. Nausicaa vivait toujours, à quelques mètres du récif et du château qui les avait plongés dans son ombre souveraine. Lyssandre guetta les vagues jusqu'à apercevoir une silhouette rongée par la houle, léchée par l'écume. Son amie s'en tirait à bon compte. Du moins en donnait-elle l'illusion, et ce, en dépit de sa jupe gorgée d'eau. Elle nagea vers Lyssandre et dut s'y prendre à plusieurs reprises, elle aussi malmenée par l'océan.

Comme si les eaux refusaient de les voir quitter l'île.

Comme s'ils désiraient garder le roi pour eux, dans les profondeurs marines.

— On... On doit continuer vers le large. Le bateau approche, il... il a des renforts. Allez... Un petit... effort.

Lyssandre se déporta sur la gauche pour tenter d'éviter une vague monstrueuse. Son genou et son tibia heurtèrent un rocher. En étouffant un cri de douleur, il ne réussit qu'à être emporté une nouvelle fois par les courants contraires. L'eau s'engouffra dans sa bouche ouverte et dans tous les orifices accessibles.

Nausicaa vit le roi disparaître dans une exclamation avortée. Elle fendit les flots d'une brasse raidie par l'épuisement et chercha à tâtons Lyssandre entre les vagues noires. Il ne réapparut qu'une poignée de secondes plus tard, les yeux larmoyants et le souffle court.

Longue vie au roi - T2 [BxB]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant