La forêt était silencieuse.
Un de ces silences féconds, qu'on brûlerait d'envie de briser à tout prix. Un silence qu'il inspirerait autant l'envie de le briser que la peur brute. Presque une paralysie.
Priam patientait dans cette nuit mutique et tendait l'oreille. Il guettait parmi les ombres le dessin d'un spectre. Il cherchait l'intru, cette silhouette squelette, car étirée à l'extrême, piégée dans l'instant, qui attendait qu'on lui tombe dessus. Cela se passait toujours ainsi, dans les romans, l'individu malveillant se voyait défait devant le parfait héros.
Un héros qui ne perdait jamais.
Un héros auquel Priam ne s'était jamais identifié. Trop différent de lui, trop irréprochable. Cet héros-là n'avait pas la peau sombre, il ne rasait pas les murs de son palais, il ne se tassait pas sous le poids des moqueries. Cet héros n'avait de cesse de rappeler à l'adolescent qu'il n'avait rien d'un de ces modèles rigoureusement identiques. Pire, qu'il avait grandi sans ces exemples, sans un père, sans une mère. Il n'y avait que Calypso et Lyssandre pour jouer ces rôles, pour servir de repères.
Eux non plus ne brillaient pas toujours dans leur rôle. La tante jurait, incendiait de propos fleuris quiconque s'adressait à elle lorsqu'elle se présentait de mauvaise humeur. Le roi échouait, souvent, il essayait sans cesse. Peut-être qu'au fond, c'était encore cela, un modèle, et pas une de ces figures fictives et inatteignables.
Il y eut soudain un souffle. Depuis son repère, à l'orée du campement, Priam referma ses doigts sur son poignard. Derrière son dos, une branche craqua et le cœur de l'adolescent manqua un battement. Il se retourna, prêt à abattre son arme, lorsqu'il reconnut le garçon de Déalym.
Celui qui, comme lui, avait eu le malheur de naître avec la peau trop sombre.
Priam avait appris qu'il se nommait Ralfha et qu'il comptait une quinzaine d'années. Tout comme le prince, il était capable de la plus grande discrétion et, même lorsqu'on semblait lui autoriser la parole, il ne la prenait qu'à de rares occasions. Au goût de Priam, sa parole n'en était que plus authentique, plus précieuse.
— Tu fais une bien peureuse sentinelle.
— Tu m'as surpris, maugréa Priam, entre ses dents.
Debout là où le bâtard se tenait à demi allongé, l'inconnu s'accroupit. Le silence s'installa à nouveau, plus pesant encore qu'un instant plus tôt. Le garçon pinça les lèvres, conscient que cette entrée en matière n'était pas la plus efficace qui soit, surtout pour nouer un premier contact. Il tâcha de se rattraper :
— Désolé. Je ne pensais pas que tu serais encore là.
— Où veux-tu que je sois ?
Priam réalisa son indélicatesse et ajouta, à son interrogation, un petit sourire navré. L'autre avait haussé les épaules.
— Je pensais aussi que tu étais parti.
— Je ne peux pas. Ce n'est pas moi qui décide. Je rentrerai à Déalym lorsqu'ils l'auront décidé.
— Qui ? Qui sont ces « ils » ?
— J'appartenais au seigneur Närim de Déalym, souffla Ralfha.
— Il est mort, maintenant.
Nouvel haussement d'épaules. Le garçon arracha une touffe d'herbe devant lui et contempla les tentes devant lui. Des tentes fantômes, dont les formes semblaient presque s'agiter au plus profond de la nuit.
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Longue vie au roi - T2 [BxB]
FantasyAprès des décennies de conflits sans fin, les peuples meurtris de Loajess et de Déalym caressent enfin l'espoir d'une trêve. Lyssandre de Loajess, monarque épris de rêves interdits, entreprend des premières négociations avec son ennemi juré, Äzmela...