Egel souffrait. Ses jambes n'étaient plus rien sinon douleur, et ses épaules étaient massacrées par le cuir du baluchon qu'il portait. Au début, il ne l'avait presque pas senti, puis il l'avait changé d'épaule. Encore, et encore. Le délais entre chaque changement se faisait de plus en plus court, et pourtant son supplice ne cessait de croître.
Ils avaient dû laisser les chevaux en bas pour des raisons évidentes. Les bêtes étaient attachées : ils comptaient sur les soldats du roi pour les retrouver et les garder jusqu'à leur retour. Toujours était-il que désormais, Egel ne pouvait plus compter sur sa monture pour le faire avancer. Quand il se rappelait que, quelques jours auparavant, il avait osé se plaindre de la chevauchée, il avait envie de se donner des gifles.
Il leva les yeux. Tout le monde traînait des pieds. Cela faisait maintenant trois jours qu'ils marchaient dans les montagnes et ça se faisait ressentir. Seule Alyn, la tête haute, continuait d'avancer avec une détermination inébranlable. Il avait même entendu dire certains qu'un esprit malin sorti de la pierre l'avait possédée, et qu'elle les guidait droit vers la mort. Cependant, personne n'y croyait vraiment : dans le cas contraire, ils ne continueraient pas de la suivre. C'était juste le genre de légende qu'on racontait pour se donner du courage, pour se déconcentrer de sa propre misère et pour remettre la faute sur une autre personne.
Il croisa le regard de Vladimir et ils échangèrent un sourire de courage qui ressemblait beaucoup trop à une grimace de douleur. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour sauver le monde, n'est-ce pas ?
Il s'approcha de sa sœur pour lui suggérer de faire une pause. Il était devenu le seul à pouvoir le faire, elle n'acceptait pareille proposition de personne d'autre. En le voyant, elle soupira et pressa un peu le pas. Il leva les yeux au ciel, et la rejoignit.
— Tu sais pourquoi je suis là, Alyn.
— Je n'en ai pas envie.
— Nous en avons besoin. Nous finirons bien par arriver là-haut, sauf si tu nous tues en chemin. Alors on fait une pause, et maintenant.
Elle poussa un soupir à fendre l'âme mais au moins arrêta-t-elle d'avancer. Il adressa un sourire vainqueur aux autres qui le regardaient avec espoir. Cette fois-ci la reine n'avait pas trop râlé, ça avait été relativement facile et rapide.
Ils partagèrent quelques fruits séchés et firent passer les gourdes d'eau. Lisa était confiante quant à leurs chances de trouver bientôt de l'eau fraîche mais en attendant ils devaient économiser.
Egel pinça les lèvres en voyant les autres s'asseoir et se reposer contre des vieilles souches au sol. Lui ne le pouvait pas, il savait désormais d'expérience que s'il s'arrêtait c'était pour ne plus pouvoir redémarrer par la suite. Dans ces cas là, Alyn le rejoignait et lui demandait de continuer, en lui disant que si elle ne pouvait plus compter sur lui, elle ne serait jamais capable de tenir. Comme elle était l'élément motivateur du groupe, les autres abandonneraient aussi. Alors, Egel se levait, mais c'était dur, tellement dur, et il regrettait à chaque fois de s'être assis.
Il se baissa et se massa un peu les cuisses endolories. Encore quelques mois à ce rythme et il aurait une véritable carrure de soldat. C'était ce que son père avait toujours espéré de lui.
Le prince serra la mâchoire. Ne pas penser à son père. C'était essentiel. Il ne put pourtant s'en empêcher, et leva les yeux au ciel. Telmar le regardait-il en ce moment ? Était-il fier de lui ou toujours en colère ? Il en attendait tellement de son fils... Egel soupira. Oui, c'était cela, le problème dans leur relation. Son père n'était jamais satisfait et en voulait toujours plus, pour faire de lui un prince « digne ». Même s'il avait toujours eu un bon fond, Egel se rendait compte maintenant que Telmar l'avait empêché toute sa vie d'être heureux ou fier de lui. Il avait honte d'avoir de pareilles pensées, mais il était plus épanoui sans lui.
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Le Trésor de Bargor
FantasyCela fait des centaines d'années que les dieux n'ont plus mis les pieds sur le Continent. Jusque là, les mortels s'en étaient accommodés comme ils le pouvaient. Seulement, ce temps est révolu. Le monde s'écroule sous le poids d'une nouvelle menace...