Premiers pas vers le vide

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Leïla est complètement paniquée, et nous bouscule tous pour tenter de trouver une issue. Mais le sas dans lequel nous étions était bel et bien fermé, et beaucoup trop petit pour un géant noir, deux filles musclées et "la petite souris" du concours.
Je commence à m'y habituer, finalement, à ce surnom ! Étonnant que je pense à ça maintenant,  moi ! Assou jure dans sa langue, et Jo et moi tentons de regarder à travers les soudures du sas en fer pour apercevoir quelque chose. Un panneau lumineux s'allume alors en haut du sas, et nous tournons tous la tête d'un même mouvement tandis qu'une voix automatique annonce le départ, et commence le décompte.
- N'oubliez pas de valider tous vos panneaux si vous voulez avoir un maximum de points ! Vos sas vont s'ouvrir dans  10... 9...
- Hé, mais on ne sait pas se qui faut faire, nous !! pâlit Jo, en nous regardant avec de grands yeux apeurés. Un frisson glacé me parcourt le dos: le fait que nous soyons en retard nous a empêché d'avoir les règles du jeu, et à cause de ma grasse mat',  j'entraîne tous mes amis dans la chute. Je me mords les doigts, paniqué. Assou baisse les yeux vers moi.
- Pardon, pardon... Je vais chercher de l'aide si vous voulez ! je bredouille, craignant que mes amis m'abandonnent.
- Pas la peine ! m'assure Jo, en mettant une main sur mon épaule, avec un faible sourire.
- 4... 3...2... 1... un bip retentit alors dans le sas, et terrifié, je vois les portes s'ouvrir lentement. J'entends les autres candidats crier, et je sens Assou avancer, et me pousser vers le dehors du sas. Leïla sort d'un bond de notre cachette, et je la retiens par le poignet avant qu'elle ne tombe dans le vide. Elle hurle, en voyant quel point elle est proche du gouffre, et je la tire en arrière pour la mettre derrière moi. Nous sommes dans une salle tellement grande et haute que je n'arrive pas à voir la fin, que ce soit le plafond ou le fond de la pièce. Elle est entièrement plongée dans le noir, et seul un long fil jaune fluo traverse la salle, et part de chaque sas.  Assou s'avance vers le fil, et dans la salle, on peut sentir la tension et l'incompréhension des autres candidats.
- C'est quoi ça ?!  On ne nous avait pas dit que ça allait être dans le noir ?! hurle une fille loin à droite. Elle continue de hurler quand une pétarade retentit, et fait crier de peur et de surprise ceux de son équipe.
Assou se redresse, sans comprendre:
- Il s'est passé quoi là ? demande-t-il en haussant un sourcil.
- Ils tuent ceux qui se dégonflent... Où ils tirent simplement parce que personne n'avance... j'explique en me haussant sur la pointe des pieds pour essayer de voir quelque chose plus loin que notre plateforme. Une nouvelle pétarade retentit, et le son des balles tirées semble se rapprocher de nous à toute vitesse.
Et, avant qu'on ai pu comprendre ce qui nous arrivait, Leïla s'écroule, le dos en sang, trois balles trouant sa combinaison noire. Jo hurle et court vers son amie en pleurant son nom. Je saute vers elle, et lui ordonne de se lever, essayant de couvrir les cris de tout les autres:
-  Il faut qu'on parte, on a pas le temps de s'arrêter pour elle ! Ceux qui n'avancent pas meurent !
Ce sont les règles du jeu ! Les tireurs sont au dessus de nous, et ils guetteront jusqu'à ce que tu donne des signes de faiblesses. Jo, il faut que tu te lèves !! Aller ! Lèves toi !
Je la tire pour qu'elle se redresse, et à regret, elle laisse le corps de Leïla et devancés par Assou, nous nous engageons sur le fil jaune.
- Léo, fais gaffe, le fil est en fait une planche sur laquelle est tracé un trait fluo. C'est trompeur ! Mais la planche n'a pas tout le temps les mêmes dimensions, et  il faut que tu sois sûr de où tu poses les pieds ! me lance le géant
Je remercie Assou au fond de moi . Les joueurs comprennent aussi quoi faire, et je les aperçois s'avancer eux aussi sur la planche.  Nous ne sommes ni les premiers, ni heureusement les derniers. Mais arrive toujours un moment où le jeu se complique. Le premier panneau bleu s'allume à un mètre de nous, vers la droite, là où j'imagine que c'est le vide. Assou se retourne de moitié, et me montre la première équipe passer au troisième panneau bleu.  Pas le temps de s'attarder, on est les deuxièmes, et il ne faut pas perdre notre place, au risque de finir lynchés par les balles des tireurs. Je tends un pied vers le panneau, et cherche du bout des orteils une plateforme où se placer pour l'enclencher.  Je suis à une cinquantaine de centimètres de lui quand je pose enfin le pied sur quelque chose de dur.  Je vois un candidat courir sur sa planche, glisser et tomber dans le vide avec un hurlement. Cette fois, les tireurs prennent soin de ne pas l'achever. Le joueur tombe encore quelque mètres, et s'embroche sur un pic en fer avant de hurler de douleur et de mourir. Paralysé par la peur du vide, je me rends soudain compte à quel point j'étais haut par rapport au "sol".
-Léo !! Ne t'occupe pas d'eux !! Aller, viens ! me crie Assou en mettant ses mains en porte-voix.
J'avance progressivement sur les plateformes invisibles, et parviens enfin à retourner le panneau pour y glisser ma carte. Jo et Assou me lance la leur, et je les glisse tour à tour dans la fente. Le panneau affiche :  1 point par candidats de l'équipe B4. Je saute vers Assou, et il me rattrape en oscillant dangereusement vers le vide.
Nous continuons, et enchaînons sans trop de difficultés le troisième et le quatrième panneau, pour finalement nous retrouver à égalité avec l'équipe de gauche.  Mais le dernier panneau était trop haut et trop loin pour que l'on puisse l'attraper en se haussant sur la pointe des pieds. En plus de devoir chercher une plateforme pour parvenir jusqu'au panneau, il nous fallait y aller à deux !
- Jo, Assou, vous êtes plus grands que moi, vous devez y aller, je leur dis, avec un pincement au cœur. Envoyer ses amis vers un danger, quelle trahison !
Je les regarde poser les pieds sur les plateformes invisibles, et retiens mon souffle en les voyant évoluer prudemment dans le vide, comme deux bulles de savon dans l'air. Ils arrivent en dessous du panneau bleu, et Assou hisse Jo sur ses épaules, et la lance le plus haut possible. Je la vois tendre les bras et s'accrocher au haut du panneau avec un cri d'effort et de peur. Les trois cartes dans la bouche, elle les glisse dans la fente et les laisse tomber quand elles ressortent, en sachant qu' Assou les rattrape et les met dans sa poche. L'équipe de gauche abandonne finalement, étant donné qu'ils sont tous trop petits, et disparaissent dans une masse noire caoutchouteuse.  Maintenant, nous avons 7 points.
Assou et Jo reviennent vers moi, quand la plateforme sur laquelle était le géant noir s'allume en rouge, clignote et commence à se détacher en morceaux...
Jo parvient à sauter, et je la rattrape pour la faire avancer sur la planche. Je vois Assou lever les pieds pour empêcher que la plateforme ne se dégrade trop vite, mais peine perdue:  un trou se forme près de son pied droit, et il trébuche en se relevant de justesse.
- Saute, Assou !! On a pas le temps ! je lui hurle, en entendant une seconde personne tomber dans le vide en hurlant. Mon cœur bat la chamade, et je sens des gouttes de sueurs dévaler mon front, tandis que je tends les bras vers mon ami: non, il ne peux pas tomber maintenant. Il doit survivre, nous aider, il doit sauter, là, maintenant !
- Saute !! je le supplie, en voyant un nouveau trou se former sur un coin de la plateforme.  Jo me dit qu'une deuxième équipe a franchit le mur noir, mais je suis trop occupé à prier pour qu' Assou écoute ce que je lui dis, et qu'on puisse s'en sortir sans une personne de moins dans l'équipe. Je suis tellement stressé que des larmes de panique perlent à mes yeux. Assou me regarde, comme si de rien était, en rien affecté par ce qu'il vit, prends son élan, et saute.

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