Fin

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Elle est vivante... presque morte, mais encore un peu vivante... Ça veut dire qu'elle ressent la douleur !!
Je hurle soudain de rage, et me débats comme un beau diable, retrouvant mes forces perdues subitement, envahi d'une colère bien trop longtemps contenue: le général sursaute et me regarde sans comprendre, puis baisse les yeux vers le visage de Jo, qui est baigné de larmes:
- Hooo mais je vois qu'elle est tenace ! Je l'ai jugée trop vite ! Voyons... Tu es en train de mourir, et tu le sais, Jo ! C'est inutile de résister !
Je me détache du soldat, et saute sur l'homme en gris, pour l'attraper à la gorge. Dans un ultime effort de ma part, je sers son cou de toutes mes forces, un râle s'échappant de ma gorge, me rendant sauvage, animal... Du sang me coule de la bouche mais peu importe: venger Jo et tous les autres n'a jamais autant été possible ! Je ne lâche pas le cou de mon ennemi, qui interdit d'un souffle à ses soldats de tirer, puisque je le tenais. Les tireurs tentaient de nous séparer, mais j'étais dans une colère noire: inutile de me calmer. Je voyais toute ma vie défiler devant mes yeux, tandis que je me vidais littéralement de mon sang: je ne lâchais pourtant pas le monstre, trop concentré à l'étouffer avec mes mains sanglantes.
Je mets plusieurs minutes à l'immobiliser totalement, puis quand je ne sens plus aucun mouvements en dessous de moi, je me lève du corps ensanglanté, de mon sang, pour le coup ! et titube vers ma mitraillette tombée lorsque j'avais aidé Jo à s'assoir. Je l'attrape, et sous les yeux ahuris des tireurs, mitraille la vitre de la fenêtre et saute dans la maison.
Je roule sur le plancher, et tente de me relever le plus rapidement possible. Je m'engouffre dans le salon, clopine vers la porte d'entrée, l'ouvre à la volée et sort de l'autre coté de la rue: j'avais quelque minutes d'avance sur  les tireurs, qui devaient faire le tour de la maison avant de pouvoir me tomber dessus. Je trébuche à chaque pas, mais me force à avancer rapidement: si j'atteins les bornes, j'ai une chance de gagner! Elles n'étaient qu'à quelques centaines de mètres de moi, je pouvais y arriver !
Ma tête tourne, et je perds l'équilibre. Je tombe à genoux et crache le sang que j'ai dans la bouche avant de repartir vers les bornes. Deux coups de feu derrière moi me font prendre conscience que je vais mourir. Oui, je vais mourir.
Plus que 200 mètres à peu près avant d'atteindre les bornes... Je peux y arriver... 
Je cours un peu plus vite, mon cœur s'élance douloureusement dans ma poitrine. Serait-ce la douleur, le chagrin ? Je me force à chasser le visage de Jo de mon esprit. Je n'avais même pas pu lui dire au revoir...
Je tombe à genoux, et ferme les yeux: c'est tout. Vous êtes déçus ? Alors je m'excuse. Je ne peux plus continuer. Je ne sens plus mes jambes, mon cœur semble se creuser un trou dans ma poitrine, et ma vue se floute de plus en plus.
Alors c'est ça, mourir ? Être immobile, accepter le fait que tu ne vas plus jamais te relever... ?
Attendre que quelqu'un vienne, te prenne par la main et te dises: " Viens, tu vas voir, là où on va, c'est mieux...". Un terrible frisson de froid me parcourt l'échine. Je vais mourir... Comme Assou, Leïla, Jo...
Si seulement je pouvais... rassembler mes forces pour...
Je rouvre les yeux, attrape ma mitraillette, et me retourne lentement, en espérant que les tireurs étaient assez loin pour que je puisse viser l'un d'entre eux.  Il ne me restait pas beaucoup de temps... J'aperçois le second tireur qui court vers moi, armé d'une longue lame de fer, et d'une mitraillette. Je comprends à son sourire sadique que je ne vais pas me faire simplement mitrailler. Il m'a réservé le pire des sorts... Le second tireur avance un peu trop: je l'abats sans attendre. A une centaine de mètres de moi, le tireur sadique s'est arrêté, incertain: va t'il penser que je vais lui tirer dessus ? Le tuer comme son collègue ? Effectivement, il a toutes les raisons de le penser ! Je lève mon arme au niveau de mon œil droit pour viser mais quelqu'un en décide autrement: une balle vient me traverser l'avant bras gauche, ouvrant ma combinaison, laissant se vider dans mes veines ouvertes une quantité inimaginable de dissolvant... Mon bras semble tiré en avant: je veux hurler de douleur mais aucun son ne sorte de ma bouche: juste un long râle douloureux, empli de rage et de chagrin entremêlés...
Je n'ai pas le temps de me retourner: une seconde balle dans le dos me cloue au sol: je me tords de façon inquiétante avec de retomber sur le bitume, le corps baignant dans une flaque de sang vermeille, qui s'étend en dessous de moi.
Doutez-vous encore de ma mort ? C'est irrévocable. Le tireur sadique se penche sur moi avec le même sourire insupportable, et à travers le voile laiteux qui me recouvre les yeux, j'aperçois une grenade à sa ceinture. Je peux nous faire exploser.
Ou simplement lui tirer dans le pied pour m'enfuir... Ou mettre fin à ma vie pour éviter la souffrance...
Trop de choix. Mais je n'aurais à prendre aucunes décisions.
Je vais mourir. Maintenant, j'en suis convaincu.
Un long écho résonne alors dans ma tête: une longue plainte, un long chant doux et grave...
- Alors, tu vois la lumière ? ricane une voix au loin: je penche la tête sur le coté pour mieux l'entendre... Mais elle semble de plus en plus lointaine...
Finalement, je n'ai pas peur de mourir. A défaut de connaitre ma vie et d'avoir pu imaginer mon futur, j'ignore tout de la mort... Peut-être que Jo et Assou se sont posés les mêmes questions que moi ? Qu'y a-t-il après la mort ? Le vide ? L'infini ? Un long couloir dont on arrive pas à sortir ?
Je ne pense pas. La mort doit aussi regorger de mystère et de surprise. Peut-être que je pourrai revoir une dernière fois le déroulement de ma vie ... En attendant que mon amie la faucheuse d'âme vienne me relever de mon lit rouge, je pense à la vie que j'aurais quand je serais mort. Peut-être qu'un jour, c'est moi qui irai chercher les autres... Jo m'attendra, avec Assou et nos familles, on s'aimera jusqu'à ce que la mort décide de nous renvoyer dans le monde vivant, dans lequel j'aurais tout oublié de ma vie antérieure...  mais peu importe...
                                                            

                                                          Ça doit être un sacré beau voyage...

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