L'arène

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Nous passons la porte le plus discrètement possible, bien que Jo soit toujours dans les bras d'un géant noir de deux mètres. Les candidats n'y allaient pas doucement avec leur adversaire.
Je vois passer une fille à toute vitesse, sauter au dessus d'un rouleau, et valider la cible à coté, avant de se faire plaquer au sol par un joueur d'une vingtaines d'années, qui colle sa propre carte à la sienne, avant de lui envoyer un poing pour l'assommer.
Une sueur froide me coule le long du dos: les autres peuvent récupérer nos points en collant leur carte à la notre ! Jo saute à terre avec un petit couinement de douleur, et sautille vers le parcours le plus proche de nous:
- On a de la chance que toutes les équipes ne soient pas encore arrivées! Il faut qu'on court, et qu'on valide le plus de cibles avant les autres, sinon, c'est fini pour nous !
J'aquiesse, et nous courons vers le premier parcours, en prenant Jo par les bras pour lui éviter de poser le pied trop souvent. Je glisse sous le mur de bois, qui bloque l'entrée, ne laissant qu'un petit passage d'une cinquantaine de centimètres. Assou, musclé comme il est, peine à passer, mais nous nous retrouvons finalement tous les trois devant un mur à escalader. Je lève les yeux, et essaie de repérer les cibles: une tout en haut, très petite, une autre juste au dessus d'une espèce de trappe enfoncée dans le mur, et une autre sur le mur, à quatre mètres au dessus du sol, et un mètre du mur.
Assou capte mon regard, et comprends:
- Pour l'avoir, celle là, il faudra sauter du mur, coller les cartes, et retomber sans se casser un membre. Quels sadiques !
Nous n'avons pas le temps de nous en dire plus : une équipe arrive vers nous en criant, histoire de nous intimider ( et ça fonctionne ! ).  Je m'élance vers le mur, et grimpe le plus vite possible, suivi d'Assou, et de Jo, qui a bien du mal a poser le pied sans souffrir !
C'est à cet instant précis que je comprends qu'elle ne nous est plus d'aucune utilité. Pour nous, Jo est un poids. Je me maudis en pensant cela. Jo est courageuse, je ne peux pas la laisser mourir! Elle m'a bien aidé avec mon bras !
Je place une main sur une prise en bois quand celle ci tombe d'un coup. Me retrouvant déséquilibré, je pousse  un cri de surprise, et tends un bras vers une autre prise, qui a l'air plus solide que celle d'avant.
Assou me dépasse aisément, et grimpe comme un singe sur le mur.
-  Où est Jo ?! je lui hurle, avant qu'il ne soit trop loin de moi.
Il ne se retourne pas, me crie juste qu'elle est trop basse par rapport à nous pour qu'on puisse l'aider.
Contrairement à ce qu'il avait fait pour moi, Assou semble ne rien vouloir faire pour sauver Jo. Il continue à grimper, jusqu'à la cible nécessitant un saut, et je stoppe un instant:
- Assou !!! Si tu sautes, tu te retrouveras dans l'équipe des B5 ! Il vont tout faire pour te prendre tes points !! je lui crie. Je n'entends pas sa réponse: il y a trop de cris, et d'excitation pour que je comprenne ce qu'il me dit. Il saute, avec un ressort incroyable, et claque sa carte sur la cible avant de tomber, et d'atterrir sans douceur sur un candidat long à la détente. Son équipe hurle de rage, et je vois, terrifié, Assou disparaître sous les candidats hors d'eux.
- Assou !!! je hurle, pétrifié à l'idée d'avoir perdu mon ami.
Je vois une seconde équipe s'engouffrer dans le parcours, et me rends compte à quel point je suis bas et vulnérable. Jo me rattrape, et me hurle d'avancer.
- Assou... Il est à terre ! je bredouille, en serrant ma prise dans ma main.
- On ne peut plus rien pour lui ! Aller, avance ! rétorque mon amie, en agrippant une nouvelle pierre pour s'élever. Je la suis quand un rire rauque et cruel s'élève alors: Enrick.
Le jeune homme blond avait un œil au beurre noir, et sa combinaison tranchée au niveau de la hanche laissait découvrir sa peau collante du dissolvant que libérait sa combinaison.
Il nous pointe du doigt, et fait signe à son équipe de le suivre.  Paniqué, je les vois grimper  le long du mur plus vite que l'aurait fait Assou, et je m'élance pour leur échapper. M'arrêter pour regarder les autres m'a fait perdre un temps précieux, et l'avance que j'avais sur les autres.
Je pose le pied sur une pierre plate, et celle -ci, à ma grande surprise, rentre dans le mur, faisait chuter mon pied, me déséquilibrant au passage. N'ayant plus qu'un pied en jeu, et ne trouvant pas de prise sur laquelle me rattraper, j'entends les rires des joueurs qui grimpent vers moi... Désespéré à l'idée qu'ils m'attrapent et me laisse tomber des six mètres qui me séparent du sol, je tire de toutes mes forces sur mes bras, évitant le plus possible de penser à la douleur cuisante de mon bras droit déchiré, et saute vers une pierre plus haute. La fin du mur paraît impossible à atteindre, pourtant Jo n'a pas l'air découragée. Elle avait trouvé un moyen d'utiliser sa jambe blessée pour grimper plus vite, et semblait décidée à valider la minuscule cible du haut.
Essoufflé, je m'arrête un instant et regarde en bas, assez longtemps pour voir une lame sortir du mur, et faire lâcher prise à une fille blonde à l'air antipathique, en la privant de sa main gauche. Elle hurle de douleur, et chute de sept mètres pour s'écraser au sol, faisant s'écarter l'équipe qui frappait Assou. Je tressaille. Mon ami n'est plus là. Mais les deux garçons ne me laissent pas le temps de m'inquiéter plus, l'un d'eux attrape ma cheville, et me tire vers le bas.
Je hurle, et me raccroche désespérément aux prises que je tenais.
Jo se retourne vers moi, et crie mon nom, avant de valider sa carte, et de descendre prudemment vers moi. Avec un rire rauque, Enrick s'accroche à ma deuxième cheville, et je cherche des yeux un moyen de les faire lâcher prise. Une pierre noire attire mon attention, et, n'ayant pas d'autres choix que de l'actionner, même si elle risque de me tuer, je la prends, et la tourne de toutes mes forces dans le sens des aiguilles d'une montre. Le stress de voir une lame sortir et me découper comme un saucisson me prend le cœur, et j'arrête de respirer, le temps de voir un jet d'acide sortir au niveau de mon genoux droit.
L'acide, croyez moi, c'est bien pire qu'une lame: il vous cuit, vous ronge, vous déchire et vous tue.
Enfin, c'est ce que je peux en déduire en voyant l'acolyte d'Enrick se le prendre en plein visage. En voyant le tuyau sortir lentement du mur, il avait lâché ma cheville, et j'avais immédiatement décalé ma jambe.
Je reçois quelque gouttes, qui font pétiller ma combinaison, et brûlent une petite partie de mon genoux, mais la douleur n'est pas la même que celle que j'avais eu avec mon bras, et je me reprends bien vite. Profitant du fait qu'Enrick regarde son ami se dégrader lentement, et tomber en arrière dans un hurlement étouffé par l'acide qu'il ingurgite, je retire d'un coup sec ma cheville de sa poigne, et m'élance vers Jo. Je lui tends ma carte, qu'elle s'empresse d'aller valider sur la cible, elle s'assure que plus personne ne peut nous attraper, et me crie pour couvrir les hurlements des autres :
- De l'autre coté du mur, il y a l'entrée d'un second parcours ! Ma jambe va mieux, je pourrais courir ! Mais il faut se dépêcher, Enrick n'a plus personne avec lui pour le ralentir, et il n'hésitera pas une seconde à te tuer ! Aller !
Je déglutis, et suis mon amie pour passer par dessus le mur. Je jette un dernier coup d'œil au pied du mur, où les deux coéquipiers d 'Enrick gisaient, et regrette d'avoir laisser Assou sauter pour atteindre la cible. Je cherche une prise pour poser le pied, mais ne trouve que du vide. Interloqué, je baisse les yeux pour regarder où mettre les pieds.
- Il faut sauter. C'est le seul moyen de descendre. murmure Jo, en comprenant plus vite que moi. Elle se laisse tomber complètement, ne se raccrochant qu'avec ses mains sur le dessus du mur, et me jette un regard pour m'encourager à faire de même.
- Je crois qu'il y a de l'eau en bas. Espérons que se soit assez profond!
je l'espère aussi. Ce mur est un bond moyen pour se briser le cou. Mais nous lâchons.
Tomber sur six mètres, c'est terriblement long et angoissant. D'autant plus que plus je me rapproche du sol, moins je me dis qu'il y a de l'eau pour amortir ma chute.
S'il n'y a rien en bas, alors que je suis à l'horizontale, c'est la fin. Pour moi, comme pour Jo. Je bats des bras dans le vide, essayant de me redresser. Je déteste cette impression que l'on a quand on tombe de haut. Mon cœur semble oppressé, et j'ai du mal à respirer.
Heureusement, Jo avait raison. J'atterris à ses cotés dans un bassin profond, et des multitudes de bulles viennent me caresser le visage. Soulagé, apaisé, rendu sourd par l'eau qui me rentre dans les oreilles, je regarde autour de moi. Je peux rester ici, éternellement, l'air qui me manque petit à petit ne m'inquiète pas. Mais ça n'est pas l'avis de mon amie, qui m'attrape par le col, et me remonte à la surface.
- Mais qu'est ce que tu foutais encore, Loweran ?! On est pas à la piscine ! Chaque minute qui passent nous ferme un peu plus la porte de sortie ! C'est ça que tu veux ?! crachote Jo, en me fusillant du regard.
L'entendre ainsi m'appeler par mon nom de famille me sert le cœur, mais je ne réagis pas. Je me lève, et traverse le couloir de grillage, en entendant une insulte de Jo, qui m'est sûrement destinée. Soit je lui ai fais peur, soit tout ce qu'elle veut, c'est sauver sa vie.
Nous n'avions aucunes chances, et elle le savait. En perdant Assou, qui était un atout précieux dans l'équipe, nous avions fait une croix sur notre avenir dans le concours. Autant nous mettre une étiquette " tirez nous dessus !" sur le front, et hurler aux tireurs les pires insultes du monde.
Mais son obstination pourra la faire survivre encore quelques épreuves.
Assou nous a quitté, et sans savoir si il est mort ou vivant, nous n'avons pas le temps de nous mettre à sa recherche. Il nous faut 150 points. Avec nos 115 points, il nous faut aller vite. Sinon, c'est l'élimination.

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