- À droite, à droite !! je crie à Assou, qui courait devant moi suivi de Jo.
J'entends des cris de désespoir, des noms fusent à travers le labyrinthe. Des coups de feu retentissants me font comprendre que se perdre n'est pas si dur que ça.
Je traverse les allées derrière mes deux amis, et nous arrivons au premier panneau violet. Le socle était une sorte de bûche posée à la verticale, et la boîte était noire, zébrée de violet fluo. Et elle était en verre.
Assou tente de la soulever, mais comprend bien vite : la boîte est fixée au socle, et on ne peut pas la briser contre un mur. Le seul moyen de la casser était de donner un coup de pied dedans, ou de la briser avec ses poings.
Je tourne les yeux vers Jo, qui pâlit. Assou lève les poings, et les abat de toutes ses forces sur la boite, avant qu'on ait pu l'en empêcher. La boite se fissure, et Jo n'en revient pas :
- Tu es fou ou quoi ?! Tu vas t'ouvrir les poings ! Prends Léo dans tes bras, et il donnera des coups de pieds dans la boite !!
- Il a beau avoir une coque rigide autour des pieds, ça n'empêchera pas les coupures ! rétorque Assou. Jo m'attrape par les dessous de bras, et me pousse vers Assou, qui me rattrape, et qui n'avait pas l'air très enthousiaste à l'idée de m'ouvrir les pieds pour un symbole à retenir. Je me rends compte alors à quel point je suis léger pour les deux athlètes.
- Bon, c'est fini de jouer avec moi comme une balle de tennis ?! Aller Assou, aide-moi à péter cette boîte ! je grogne.
Il me porte à bouts de bras, et je donne un coup de pied dedans, et elle se casse en morceaux. Mon talon me brûle à cause du choc, mais je ne dis rien. Ils n'ont pas besoin d'entendre mes plaintes. La situation est déjà suffisamment pénible. Jo fouille dans les bouts de verre, et les écarte pour laisser voir un cœur noir transpercé d'une flèche. Assou me pose, et je hoche la tête :
- Je retiens celui-là.
Nous courons vers le panneau suivant, et opérons de la même façon pour la seconde boîte. Heureusement que Jo et Assou ont des mémoires photographiques, nous avons vite fait de trouver les quatre premiers symboles. Je savais que toutes les équipes étaient en jeu désormais. Il fallait se dépêcher de trouver les derniers symboles, et les inscrire dans la bonne borne.
Assou devait retenir un vélo bleu et rouge et un ballon en forme de main de couleur verte.
Jo devait quant à elle retenir un symbole représentant un chien assis, avec un os dans la gueule.
- Assou, hisse-moi sur tes épaules ! demande Jo, Ça sera plus simple pour repérer les six autres.
Je réfléchis, et leur explique d'un ton grave :
- S'il nous manque autant de panneaux, c'est ma faute. Je vais remonter sur le fil, et regarder autour pour repérer ceux que l'on n'a pas.
Assou et Jo se regardent, mais ne font aucuns commentaires. Ils semblent épuisés par la course à travers le labyrinthe, et leurs traits tirés signifiaient une fatigue qui allait commencer à poser un problème. Nous courons pour retrouver notre point de départ, et je me hisse sur les fils pour grimper pendant trois bons mètres, un peu difficilement puisque mes mains et mes pieds me lancent douloureusement. Je tourne la tête dans tous les sens, et aperçois un panneau violet loin vers le Sud de là où nous sommes, et deux à l'Ouest. Deux au Sud Est, et un autre dans un coin du labyrinthe, à l'autre bout de là où nous étions. Il fallait aller vite : les symboles trouvés éteignaient les panneaux, et l'équipe des roses en avaient déjà validé sept.
- Partez vers le sud, vous n'avez pas le temps de m'attendre !! Les panneaux sont presque tous là-bas ! Je vous rejoindrai, allez-y !
Comme pour confirmer mes paroles, quatre balles sont tirées au sol, devant les pieds de Jo, qui sursaute et se recule précipitamment. Assou l'attrape par le bras, et ils me tournent le dos pour disparaitre derrière un coin de mur. Je glisse au sol, et cours vers le panneau violet le plus éloigné de tous. Si je veux pouvoir les sauver, je dois avoir ce panneau coûte que coûte. Je cours, le souffle court, sentant mes veines gonfler sous l'effort, mon cœur battant mes tempes. Je n'avais pas couru aussi vite et aussi longtemps depuis un moment, et mon cœur semblait prêt à me lâcher. Une fusillade se fait entendre derrière moi, et je galope encore plus vite entre les murs.
Je tourne à droite, et saute au-dessus d'un éliminé, étendu à terre, le bras droit tordu dans un angle étrange que je n'ai pas le temps d'étudier. Il a eu moins de chance que moi, celui-là. La vie est cruelle. Mais je ne m'arrête pas pour le pousser contre un mur, de façon qu'on ne lui marche pas dessus. Qui aurait eu l'amabilité de le faire si ça avait été moi ? Il faisait plus sombre de ce côté du labyrinthe, et plusieurs fois je me claque l'épaule contre un mur, avec un râle de douleur.
J'arrive enfin au panneau, après 5 bonnes minutes de course, et m'arrête quelque instant pour reprendre mon souffle. Ma tête tourne si fort que je dois m'appuyer sur le mur pour ne pas tomber. Après une ou deux minutes, je m'approche de la boite en titubant, les jambes
flageolantes, et lève un pied maladroitement pour l'écraser dessus.
Je n'ai pas le temps de finir mon action : une rafale de balles ricoche sur le mur, et une étincelle retombe sur ma combinaison, qui grésille au contact de la chaleur. Je lève les yeux : le plafond de la boîte est trop haut pour que je puisse apercevoir quelque chose, mais je sais que les tireurs sont juste au-dessus de moi. Ils ne veulent pas me tuer... Ils veulent que je m'ouvre les mains, par pur plaisir de me voir souffrir.
Je savais pertinemment que je n'avais pas la force d'Assou. C'était impossible pour moi de briser le verre par la seule force de mes poings, et les tireurs le savaient aussi bien que moi.
Je fulmine, et, en fermant les yeux intensément, je claque le plus fort possible mes poings sur la boîte en verre. Des larmes perlent à mes yeux. Elle se fissure un peu, et trois bouts de verre rentrent peu à peu dans mes paumes. Je fais ce geste plusieurs fois, et cet effort me vaut des cris de douleur, qui font ricaner de cruauté les tireurs, rires qui parviennent à mes oreilles comme des croassements d'oiseaux, jusqu'à ce qu'un trou de la taille de deux doigts se crée dans la boite. Je regarde mes poings : ils dégoulinent de sang, qui avec la faible luminosité, paraît noir.
J'essuie les gouttes de sang éclaboussées sur mon visage, et passe deux doigts dans la fissure, puis trois, et quatre. Le verre me coupe la peau, et des larmes coulent maintenant sur mes joues.
- Fais-le pour Assou, et Jo... fais le pour elle... je me répète en élargissant le trou pour finalement y passer la main complète. Je la retire, et tente de regarder le symbole.
- Ah, les salauds ! je peste entre mes dents. Dire cette insulte trop fort pouvait sûrement me coûter la vie.
Les créateurs avaient fait en sorte que le symbole soit tout petit, et sur un coin du socle.
Le trou était insuffisamment grand pour que je puisse l'apercevoir.
Je passe donc le poignet, puis le bras jusqu'au coude, et étant donné la profondeur de la boîte, je pouvais le passer jusqu'à l'épaule. La peau de mon avant-bras, particulièrement tendre et fragile, s'ouvre alors au moindre contact avec les bouts de verre tranchants, et de longues traces sanglantes me traversent le bras. La combinaison, coupée au niveau du bras droit, répand une texture brûlante et acide qui me fait hurler de douleur.
J'entends un tireur me hurler :
- Du dissolvant !! J'espère que tu profites !
Il fait rire toute sa bande d'acolytes, et je retire mon bras de la boîte, pour regarder le symbole. Enfin, ce à quoi il ressemblait à travers mes larmes : un arbre, du genre baobab, avec un singe au sommet.
Le dissolvant rentre dans mes plaies sanguinolentes, et je hurle à nouveau, en tombant à genoux pour me tordre de douleur. Je tombe à la renverse dans un soubresaut, et ma tête claque avec violence sur le sol dur. Tout tourne, le sang que je perds est en trop grande quantité, si je ne rejoins pas Assou pour lui donner mes symboles, ils mourront à cause de moi.
Le labyrinthe est soudainement bien silencieux... serait-la fin de l'épreuve ? Alors je vais mourir. Je ferme les yeux, résigné, torturé par l'acide qui s'infiltre peu à peu dans mes veines ouvertes. Je rouvre les yeux difficilement, en guettant le coin du mur qui me cache des autres, espérant de tout mon cœur qu'Assou va surgir, me demander mes symboles, et s'enfuir pour gagner l'épreuve.
Une ombre oscillante se dresse devant mes yeux : j'ai besoin de quelques secondes pour apercevoir son visage : elle me demande pourquoi je continue. Ne serait-ce pas plus simple d'arrêter et de la rejoindre ? me demandait-elle, les yeux implorants.
Je déglutis bruyamment. Elle m'incitait à la rejoindre, alors que pendant tellement de temps, elle m'implorait de rester en vie. Dans mes souvenirs, jamais elle n'avait tenté de m'emporter. J'avais toujours tenu le coup, parce qu'elle le voulait. Était-ce quelque chose en moi qui avait changé ? Avais-je accepté de mourir, inconsciemment ? Sa silhouette oscille un peu plus à chaque pas qu'elle fait pour venir vers moi, et elle se penche pour me relever.
Une main qui m'attrape sous les aisselles me sort de ma torpeur en me redressant sur les fesses. « Assou a dû tomber sur moi au détour d'un couloir, et il vient me chercher » je pense.
Mais ce n'est pas Assou : c'est une fille blonde, qui doit avoir une vingtaine d'années, qui m'attrape doucement par la taille pour me redresser.
- J'ai entendu tes cris. Je suis seule dans mon équipe. Je ne peux plus rien faire pour me sauver, mais je peux t'aider. Lève- toi, et dis-moi où sont tes amis.
Je sens qu'elle passe un de mes bras par-dessus sa tête, et qu'elle marche doucement pour que je puisse la suivre. Je dodeline de la tête, et articule péniblement, avec un râle de douleur :
- Partis... la borne... Il faut que je... les rejoigne à la borne...
Nous marchons dans les couloirs, si lentement que le chemin me paraît interminable. Je n'ai plus aucune force, et le sang que je perds me fait tourner la tête. Je bascule vers l'avant, à deux doigts de m'évanouir, mais la fille me rattrape et m'aide à marcher. Je lève les yeux, attendant la mort, sans m'en faire. Rien ne peut être pire que d'avoir les veines tranchées et inondées de dissolvant. Mais, comme une nouvelle à laquelle on ne s'attend pas, les tireurs se mettent à tirer en rafale autour de nous, d'abord sur un cercle assez grand, puis resserrent leur étau mortel. La fille me regarde, et me sourit, comme pour m'assurer que tout se passera bien.
Ce qu'elle a fait pour moi est incroyable, mais elle n'a plus rien à perdre, à part la vie. Assou et Jo me cherchent, et j'ai bien l'intention de leur délivrer le message ! Les balles font une ronde d'étincelles à une dizaine de centimètres de nous, puis s'arrêtent alors qu'en face arrive une équipe en plein galop. Ils passent près de nous, et les tireurs n'hésitent pas.
Moi non plus. J'en attrape un, le plaque contre moi dans une étreinte qui lui sera mortelle et, avec le peu de force qu'il me reste, je le coince contre moi.
Alors que les tireurs me pointent de leurs snipers, je l'empêche de se débattre, et me sert de lui comme bouclier. Les balles le tuent, mais ne m'atteignent pas, restant bloquées dans sa chair au niveau de son torse musclé et de ses cuisses. Je m'écroule, à bout de forces.
La fille qui m'avait aidée était allongée près de moi. Mais elle n'avait pas eu de bouclier humain, et elle était morte. Je la remercie silencieusement en posant ma main sur son front, quand une voix hurle mon prénom : Assou.
Je le vois accourir vers moi, et il m'attrape dans ses bras, et me soulève de terre, sans pour autant ralentir sa course. Jo arrive derrière lui, et pousse un cri de surprise en me voyant ainsi. Je ne dois pas être très beau à voir, mais peu importe :
- Un baobab noir avec un singe... bleu sur le sommet. Je grimace, ignorant Assou qui me somme de me taire, et reprends, en hoquetant :
- Un cœur noir transpercé d'une flèche... retiens, Assou... Retiens-les !
Il hoche la tête et je vois sa mâchoire se contracter. Arrivé aux bornes, il me pose au sol, et pendant qu'il cherche laquelle était la nôtre, Jo me caresse les cheveux doucement :
- On est les premiers ? je murmure, sentant mes forces me quitter.
Elle hoche la tête pour dire non.
- Les troisièmes...
Je souris. Assou revient en disant qu'il a trouvé la machine :
-Comment il se sent ?
Il semble s'inquiéter.
Jo me montre d'un mouvement de tête, et Assou se penche vers moi, et me murmure de sa voix grave et apaisante :
- Je te jure, je te jure que je ...
Puis c'est le noir.

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La boîte
General FictionJe pensais que c'était une sorte de concours. Jamais je n'aurais cru que ça allait se passer comme ça. Je ne connais personne. Et personne ne me connait. De toutes façons, qu'est-ce que cela peut faire ?! A la fin, il n'y aura plus personne.