Et puis, au pire, on meurt ?

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Il est inconscient, pourtant je sens qu'il sait ce qu'il se passe... Je hurle à Jo de me rejoindre, tandis que j'essaie d'enlever ses liens, qui lui faisait un garrot au niveau des poignets et les chevilles. Elle arrive près de moi, et tire de toutes ses forces sur les cordes, prenant appui sur le mur pour tirer plus fort. Je cherche des yeux de quoi trancher les liens, mais renonce: rien ici n'est suffisamment tranchant pour libérer Assou de ses cordages mortels.
- Je n'y arrive pas ... gémit Jo, essoufflée. Elle s'accroche au corps d'Assou, grimpe jusqu'au niveau de son visage, et lui hurle dans les oreilles:
- Assou !!! Réveille-toi, ou on va se noyer!!!
Elle lui envoie une gifle magistrale, et je sursaute violemment :
- Mais t'es dingue ou quoi ?? Il est inconscient, c'est pas comme ça que tu vas le faire reprendre ses esprits!
Elle tourne la tête d'un coup vers moi, et aboie:
- Ah oui ? Bah vas-y alors, fais le toi même ! Mais c'est pas en lui murmurant des encouragements à l'oreille qu'il va ouvrir les yeux ! On va mourir si on reste là trop longtemps !
Je reste muet de surprise: elle ne m'a jamais parlé sur ce ton. Je tourne les talons, sous les protestations de Jo, cette Jo qui été si douce et si détendue avant tout cela...
La vie ne devrait pas se résumer à une simple question de survie... Tout cela nous change. Et ça finira mal. Mais évidement que ça finit mal, sinon ça ne finira jamais !
Je butte sur un seau qui flotte, et une idée me traverse la tête: j'attrape le seau, et marche le plus vite possible dans l'eau, vers Jo et Assou, et avant qu'elle ne comprenne ce qu'il se passe, je leur lance le contenu du seau, de l'eau froide et salée.
Elle hurle en se frottant les yeux, tombe à la renverse dans un splash spectaculaire, mais je garde les yeux rivés sur Assou: ses paupières battent doucement, et il ouvre alors les yeux, avec une grimace d'incompréhension:
- Léo ? Tu m'a trouvé !
Jo bondit hors de l'eau, en crachotant et en m'insultant de tout les noms, ce qui fait rire un instant Assou:
- L'eau est trop haute pour qu'on se permette de perdre encore du temps! nous ordonne-t-il, soudain plus sérieux.
Nous hochons la tête, et j'évite le regard noir de Jo. La voir ainsi en rogne contre moi me serre le cœur plus que ne l'aurait fait le fait d'apprendre ma mise à mort.
- Le seau est rouillé, intervient Assou, (toujours attaché soit dit en passant), vous pourriez en détachez un morceau, et tranchez mes liens ! 
Ça y est, l'eau m'arrive au nombril. Étant un peu plus élevé que nous, Assou ne l'a qu'aux chevilles. En tout cas, on a pas le temps de réfléchir plus longtemps: j'attrape un bout de ferraille , et tire dessus en entendant le raclement de la lamelle tranchante qui s'enroule sur elle même tandis que je la tire. Elle se détache d'un coup, et surpris par la vitesse a laquelle la lamelle se détache, je n'évite pas le bout qui s'envole soudain, et le reçois dans la paumette.
J'essuie le filet de sang qui me coule sur la joue, et m'empresse de couper les liens d'Assou, qui tombe dans l'eau quand je finis de le libérer.
- Allons-y ! je m'écrie, en les attrapant par les poignets pour m'élancer vers la porte. Une seconde sirène retentit, et je me fige: ce n'est pas bon ça... Pas bon du tout ! Ce qui se passe ensuite confirme mes pensées: la brèche dans la coque du bateau s'élargit d'un coup, et l'eau monte comme si on avait ouvert mille robinet en même temps !
Emportés par les flots, nous nageons en luttant contre les vagues vers la porte, qu'Assou empoigne pour l'ouvrir.
- l'eau est forte ! il faut se dépêcher d'atteindre le pont avant elle, on aura une chance de s'en sortir sans passer par dessus bord ! hurle Jo, avant de se prendre une vague en pleine tête, et de disparaître sous la surface. Je plonge pour la rattraper avant qu'elle ne se fasse dominer par les rouleaux que faisait la mer. La porte ouverte, nous nous échouons sur le tapis et ne prenons pas le temps de regarder derrière nous: Jo nous hurle de courir, en nous attrapant par la combinaison, et nous galopons dans les escaliers pour rejoindre les autres sur le pont.
Enfin, si ils sont toujours là... je  pense, la gorge nouée: j'avais mis sûrement plus de temps que les autres pour trouver mon équipe, et si  nous sommes les derniers à nous échapper de ce maudit bateau... je ne préfère pas penser à ce qui pourrait se passer ensuite. Le grondement de l'eau qui prend petit à petit possession du bateau nous pèse, et je la sens nous suivre presque heureuse de notre sort...  Encore un étage, et nous arriverons sur le pont... je m'apprête à m'engager dans le dernier escalier quand j'entends Assou protester. Jo et moi nous regardons, et je vois son visage inquiet et surpris. Nous nous tournons d'un même mouvement, et j'écarquille les yeux de surprise: que venait-il faire ici, maintenant, avec nous ?
Le jeune homme s'accroche de toutes ses forces au bras d'Assou, qui a beau le secouer, ne parvient pas à lui faire lâcher prise.
- Qu'est ce que tu fous là, Enrick, sans tes coéquipiers, surtout à ce niveau de l'épreuve ? gronde Jo, en ignorant l'eau qui monte elle aussi les escaliers, et qui nous lèche les chevilles avec un rictus cruel, incessant grondement de la mer, qui refuse de nous laisser en paix quelques minutes.
Je jette un regard plus qu'inquiet à Assou, sur qui Enrick avait posé le grappin. Pire qu'une tique ce gars ! Quand tu penses t'en être débarrassé, il revient avec un sourire cruel, comme si c'était à ça qu'il est destiné.
- Je veux faire une alliance. Vous êtes la dernière équipe à comporter trois concurrents.
Si je vous aide à sortir tous les trois,  sans vous noyer, vous serez obligé de dire que je vous ai aider.
Je suis bouche bée devant la déclaration de l'arrogant candidat. Mais Jo fulmine, voyant bien que nous étions dans une impasse: soit l'eau nous tuait en nous submergeant, soit nous devions accepter l'offre d'Enrick, si déplaisante soit-elle...
- Qu'est ce que nous avons à y gagner ? ricane Assou en broyant les poings d'Enrick serrés sur son bras pour lui faire lâcher.
- Un adversaire redoutable en moins, et qui plus est, un candidat compétent pour remplacer la petite souris... ! semble s'amuser Enrick, sans sourciller quand la poigne d'Assou lui fait craquer les phalanges des deux mains.
C'était donc cela, son offre... Me remplacer pour que les autres craquent devant sa proposition. Enrick veut juste sauver sa peau, et coup de chance, il tombe sur nous alors qu'il peine à libérer son équipe, qui ne vaut visiblement rien à ses yeux, puisqu'il l'abandonne. Je sens l'arnaque à plein nez, mais je me fige quand Jo lève une main pour nous faire taire. Elle a le visage fermé, et ce n'est jamais bon signe dans ces cas là...
- Très bien. J'accepte ta proposition. Tu viens avec nous, au risque de mourir quand les tireurs verront qu'aucuns membres de ton équipe ne sera avec toi.  Mais si tu survit, alors soit, tu remplaceras la petite souris. Mais elle sera toujours là, ne l'oublies pas. Elle marchera derrière, et nous servira pour les taches compliquées.
Je vois un sourire cruel se tracer sur l'ignoble visage d'Enrick. Assou garde les yeux baissés.
Je n'en reviens pas. Mon sang se glace dans mes veines tandis que l'eau me rappelle combien elle se rapproche de nous. J'espère de toute mon âme que Jo ne disait pas ça en le pensant.
Je refoule les larmes de frustration qui perlent à mes yeux.
De toutes façons, Enrick est comme le virus au sein d'un ordinateur: il se glisse dans les dossiers, dans les moindres logiciels, et les détruit pour régner dans la carcasse vide du serveur. 
Oui, c'est ça, Enrick n'est qu'un virus, cruel et silencieux, rusé et terriblement dangereux...
Nous arrivons sur le pont, et je vois avec peine que les tireurs étaient eux aussi de la partie: ils avaient tiré sur ceux qui étaient revenus bredouilles et avaient essayé de remonter tout de même. Je sais que les choses vont s'envenimer dans l'équipe à cause de cette vipère d'Enrick. Jo, mon amie, celle qui me fait battre le cœur quand je suis presque mort, celle qui me prouve qu'il reste une seule chose pour moi aujourd'hui pour laquelle je dois me battre: elle, qui m'envoie mourir dans mon coin en préférant Enrick... De toutes façons,  ça ne sert à rien de paniquer, de chercher qui sera son meilleur coéquipier, parce que au pire, on meurt tous à la fin ...

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