30. Harcèlement - H

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      Ce jour-là, j'ai regretté ce que j'avais fait. Oh, comment je l'ai regretté. On m'avait prévenu, pourtant. Tout ce que ça avait engendré... Mes explications avec lui ? Une pure catastrophe. Un désastre sans nom. J'avais espéré, naïvement sans doute, qu'il m'accorderait de l'importance. Qu'il me croirait. Qu'il croirait ce qui s'était vraiment passé ce soir-là, avec Adino. Ma version à moi, la vérité. Mais apparemment, sa rivalité avec sa Némésis l'avait emporté sur tout le reste.
    Le reste ? A croire que ça n'avait pas le moindre intérêt à ses yeux. Ça avait même si peu d'intérêt qu'il ne m'a pas reparlé depuis ce jour. Ou plutôt ce soir, ce soir où il a bu pour tenter de se défaire de ce sentiment de trahison, qui n'avait même pas lieu d'être. Je me souviens de son regard, alors qu'il avalait d'une traite le contenu de la bouteille de whisky. Un regard vide, où il n'y avait plus rien. Et rien que d'y penser, j'en ai la chair de poule. Il avait abandonné, oui. Il m'avait abandonné moi. Pire, Kelan avait laissé Adino gagner.

     Cela fait maintenant plus de trois semaines qu'il ne m'a plus adressé la parole. Lorsqu'il me croise dans les couloirs de l'université, il ne pose même plus les yeux sur moi. Lorsqu'il me frôle, en classe, il ne tourne même pas la tête. Je suis devenue un fantôme, condamnée à errer dans ces couloirs et à le côtoyer, ne pouvant le toucher que du regard. Comme si je n'existais plus. Et putain ce que ça fait mal ! Quand je repense à ce qu'on a vécu, aussi court que ce soit, mon cœur se serre. Les bons moments qu'on a passés, les sensations qu'on a ressenties, que J'AI ressenties ; ça me manque. Ça me manque atrocement, même. Et j'y pense, bordel ce que j'y pense, le soir, dans mon lit. Oui, ça m'est arrivé d'en pleurer. Beaucoup. Est-ce que ça me ferait toujours pleurer aujourd'hui ? Totalement. Mais il faut me comprendre : j'avais trouvé un garçon qui sortait du lot, différent et d'une profondeur sans pareille. Pas un de ces mecs qui ne pensent qu'au football, aux jeux vidéos ou aux filles, ce qui arrive bien trop souvent. Un mec étonnamment mature pour notre âge, qui s'est construit dans la difficulté, qui en a bavé. Et même si c'est cruel de dire ça, c'est pourtant la vérité : les mauvais choix font les meilleures histoires. On a eu notre quota de mauvais choix, Kelan et moi. Et bien que courte, notre histoire aura été intense, ça c'est sûr. Enfin, c'est du passé, maintenant. Tout ça à cause d'un bout de sa vie qui a refait surface. Adino. Une enflure comme le monde n'en connaît pas. S'acharnant sur quelqu'un qui ne lui a rien fait, à cause de sa jalousie maladive. La première fois que je l'ai regardé dans les yeux, j'ai été saisie par cette lueur mauvaise, au fond de son regard. Le type même de lueur qu'on prie pour ne plus jamais apercevoir. On pourrait presque croire qu'il a perdu la raison. Sa haine pour Kelan a tourné à l'obsessionnel, et...
— Hope, tu dors ? Trois pintes pour la vingt-deux !
Je secoue la tête, brusquement extraite de mes pensées. Attrapant trois grands verres, j'actionne la tireuse à bière pour les remplir, regardant le liquide s'écouler rapidement dans les contenants en verre. Même trois semaines après, il occupe toujours autant mes pensées. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme lui, en même temps. D'ailleurs, il ne vient plus au Defiant. J'y croise toujours Wayne, ou Harvey, mais... Ça fait bien longtemps qu'une Triumph à la couleur sombre ne s'est pas garée devant le bâtiment.
      Posant les pintes à présent remplies sur un plateau, j'apporte celui-ci à la table vingt-deux, occupée par trois jeunes hilares. Déposant les boissons devant eux, je tourne les talons, prête à reprendre mon poste au comptoir. Je me surprends à m'imaginer à leur place, avec Kelan. C'est terrible, il ne me laisse pas tranquille une seule seconde... Alors que je repartais vers le bar, mon plateau sous le bras, un homme barbu pose une main sur mon postérieure, qu'il presse allègrement. Je réprime un frisson d'aversion, et me retourne pour voir à qui j'ai affaire.
Agréable au toucher, en plus... Sportive, peut-être !
Agacée et légèrement dégoûtée, je ne lui adresse qu'un regard rempli de mépris. Avec son ami à côté, je suis sûre qu'il doit ressentir un certain sentiment de supériorité. Pathétique, mais cette ordure ne mérite même pas mon temps.
Dégage, connard.
Offusqué, l'homme s'adresse à James, servant un couple quelques tables plus loin.
Eh, vous devriez mieux dresser votre serveuse ! Elle se permet de nous insulter gratuitement ! Sans déconner, je n'ai jamais vu ça !
Je me retourne vers James, un sourcil levé. Il ne va jamais gober ça, il me connaît trop bien. Se tournant vers l'homme, mon collègue s'approche, un sourcil levé.
Oh, je suis navré. Y a-t-il un autre témoin de la scène ?
Ça ne sera pas nécessaire.
Un autre homme se lève de sa table, à quelques mètres d'ici. Portant une casquette, je ne vois pas son visage, et l'obscurité ambiante ne m'aide pas vraiment.
— T'embêtes pas, James ; il lui a mis une main aux fesses. Il te suffit simplement de visionner les enregistrements de surveillance pour vérifier ça, non ?
Le goujat rive ses yeux sur lui, furieux, et serre les poings, prêt à se lever. L'homme à la casquette s'empresse d'ajouter, pour enfoncer le clou :
Il me semble que c'est considéré comme 'harcèlement sexuel' ça, je crois. Hope, rappelle-moi comment il a fini, le dernier abruti qui a emmerdé une serveuse, ici ?
James plisse les yeux et se gratte la barbe, profitant d'une seconde pour accentuer l'effet comique de la scène.
Un bras cassé, je crois. Mais bon, ces messieurs n'oseraient pas rester ici davantage, n'est-ce pas ?

      Le fauteur de trouble quitta le bar sans demander son reste, emmené par son compère. Il a hésité, pendant quelques secondes. Vu son gabarit, il aurait pu aplatir l'homme qui s'est interposé. Mais ça n'aurait pris à James que quelques secondes d'aller chercher la batte de baseball rangée sous le comptoir, entre quelques bouteilles de rhum. Honnêtement, j'aurais adoré que ça arrive ; les horreurs dans leur genre ne méritent même pas de pouvoir boire une bière sereinement. Mais quand j'y pense, comment mon sauveur connaît mon nom ? Celui-ci s'avance, retirant son couvre-chef, révélant...
Adrian !
Salut. Ça vous arrive souvent, ce genre de connard ?
Oh, fréquemment. Les inconvénients d'être serveuse. Qu'est-ce que tu fais ici ?
Je n'ai pas le droit de boire un coup ?
Esquissant un sourire, je vérifie tout autour si personne n'a besoin de moi. Comme ce n'est pas le cas, je m'assieds à sa table en sa compagnie.
Merci pour le coup de main.
Mais je t'en prie. Ça fait quelques temps qu'on ne s'est pas croisés, hein ?
Oui, on nous a rajouté de nombreux cours, à la fac ; j'ai beaucoup moins de temps libre. C'est même difficile pour moi d'arriver au Defiant à l'heure pour le service.
Tu m'étonnes... Bon, comment tu vas ?
— Ça va, le boulot, les études... Une vie d'étudiante, quoi.
— Tu sais de quoi je veux parler.
Adrian... J'ai l'impression que je n'arriverai jamais à tourner la page.
Ça n'a pas évolué ?
J'ai arrêté de lui envoyer des messages. Au début, il les ouvrait. Maintenant, il ne les lit même plus.
Ce n'est pas pour te le répéter, mais... je t'avais prévenu. En plus, les coïncidences ont vraiment empiré la situation. Tu sais, il a vraiment l'impression que tu l'as trahi. J'ai beau lui dire que c'est faux, qu'il est en train de s'inventer toute l'histoire, il ne m'écoute pas.
... Ça ne me surprend pas de sa part.
Demain, je vais essayer de l'amener ici.
Ça ne sert à rien, Adrian. Tu perds ton temps.
Ça tombe bien, j'en ai justement à perdre. Il se trouve que mon prof d'option n'est pas là très souvent, et...
Au lieu de dire des idioties, suis-moi, que je te paye un verre.
Me payer un verre ?
Pour te remercier de ton aide pour tout à l'heure.
Ah, j'ai presque eu l'impression que tu me draguais, pendant un instant.
J'esquisse un sourire. Sa présence me permet de penser à autre chose, et j'apprécie tous ces moments où il fait le pitre. Les gens comme lui sont vraiment précieux.

    Accoudée au comptoir, je fais face à Adrian, assis en face de moi. Il est une vraie bouffée d'air frais. Alternant entre chez moi, la fac et le Defiant, j'étais en train de tomber dans une spirale infernale, m'entraînant toujours plus profond. Oui, je ne m'en suis toujours pas remise, et j'ai l'impression que mon petit cœur n'est pas près d'aller mieux. Promenant mon regard sur la salle peu remplie, je détaille les quelques clients restants, puis arrive sur James, penché sur l'iPad réservé à la sono, sans doute en train de changer de musique. Aussitôt, l'ambiance change, et les musiques tendances sont remplacées par une mélodie exotique, plutôt électro. Je ne suis pas sûr que ça colle parfaitement avec l'ambiance habituelle du Defiant. Plus proche du dubstep qu'autre chose, la musique avait pourtant un petit côté entraînant, et j'étais en train de me laisser prendre par les paroles.
"...I met a man, he took my soul, well they call him the devil..."
Splendide. Quand je dis que tout me ramène à lui... Malgré ces semaines passées, je me rappelle toujours de cette phrase. "Je n'aurais jamais pensé que tu irais jusqu'à baiser avec le diable". Et ma réponse était parfaitement en accord avec la musique qui tourne au Defiant. D'un signe de tête, je conseille à James de changer de musique. Sirotant mon verre en silence, j'écoute Adrian parler. C'est dingue ce qu'il peut parler, le blondinet. Mais bon, c'est exactement ce dont j'ai besoin maintenant.

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⏰ Dernière mise à jour : Feb 10 ⏰

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