Pressentiment

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En se réveillant à l'infirmerie, Harry avait eu subitement le besoin de bouger. Il avait jeté un regard sur son professeur immobile, puis, avec l'autorisation de Madame Pomfresh – visiblement donnée à contrecœur -, il s'était habillé et était parti arpenter les couloirs déserts de Poudlard.

Il y avait quelques heures désormais que la bataille était terminée. Les élèves étaient rentrés chez eux, rapatriés par leurs parents inquiets. Il n'y avait plus rien à Poudlard, hormis des décombres.
Hermione et Ron lui avaient laissé un mot, indiquant qu'ils seraient au Terrier, mais qu'ils passeraient le voir d'ici quelques jours, lorsque Poppy autoriserait les visites.
Harry savait qu'il serait le bienvenu s'il se décidait à les rejoindre, mais il ne se sentait pas capable de le supporter. Il y avait la mort de Fred d'abord. Il aurait aimé pouvoir faire quelque chose. Il aurait dû le sauver.
Ensuite, il y avait tous les Weasley et leur affection. Ils étaient bruyants, et ils l'auraient entouré pour s'assurer qu'il ne reste pas seul un instant. Sauf que c'était précisément ce dont Harry avait besoin, la solitude. Reprendre pied après toutes les épreuves qu'il avait subies.

Les couloirs de Poudlard - même s'il était étrange d'être dans l'école alors qu'elle avait été désertée - étaient ce dont il avait besoin. Marcher dans le silence, perdu dans ses propres pensées. Marcher dans les couloirs en écoutant distraitement le murmure des tableaux était une activité qu'il avait toujours apprécié. Le silence l'apaisait, et il pouvait faire le tri dans ses sentiments.

La joie d'abord. La joie d'avoir réussi, d'avoir mis fin à la guerre. La joie d'avoir survécu une fois de plus. La joie de s'imaginer qu'il pourrait vivre enfin normalement, sans épée de Damoclès au dessus de la tête. Il était vivant et Voldemort était mort.
Il y avait la tristesse. Tristesse en voyant son premier et unique foyer partiellement détruit. Tristesse en pensant aux morts. Tristesse en pensant à son filleul Teddy, désormais orphelin. Tristesse en pensant à la douleur de George qui avait perdu son jumeau. Tout ça par sa faute, il n'avait pas été assez rapide pour mettre fin à cette folie.
Il ressentait une pointe de peur, pour l'avenir. Maintenant qu'il avait accompli ce pourquoi il était né, il n'avait plus vraiment de but. Depuis qu'il était arrivé à Poudlard, on lui avait répété à l'envi qu'il était celui qui devrait mettre fin à la guerre. L'Élu. Le Sauveur. Désormais, il était celui-qui-avait-vaincu. Que lui restait il à accomplir après tout ? Qu'allait il devenir maintenant que tout était terminé ?
La colère ensuite. Malgré tous ses efforts pour l'oublier, elle était là la colère. Colère contre Dumbledore qui lui avait menti, qui avait omis de lui dire qu'il était un sacrifice humain. Colère envers le monde sorcier, qui avait décidé qu'il était leur champion, alors même qu'il n'était qu'un enfant.
Tous ces sorciers étaient restés passifs, préférant le laisser faire face seul... Ils lui avaient tous volé son enfance, quelque part. Pour les sauver, il avait vécu une enfance misérable, sans amour, ni tendresse.
Le soulagement enfin. Il était libre désormais. Il allait pouvoir vivre sa vie, sans obéir aux ordres. "On" ne lui interdirait plus rien pour sa sécurité. Son rôle était terminé... Il déciderait seul d'où il habiterait, ce qu'il ferait. Qui il verrait.

Son propre soulagement lui fit penser à son professeur de potions, et il se demanda si l'homme serait soulagé d'être libre lui aussi. La marque sur son bras devait avoir disparu avec la mort de Voldemort, en toute logique. Après tout le tatouage hideux avait été lié à la magie de Voldemort.
Resterait-il professeur à Poudlard ? Ou déciderait il de rattraper le temps qu'il avait perdu, toutes ces années auprès de Dumbledore, attendant le retour du Mage Noir pour remplir son rôle d'espion ?

A ce point de ses pensées, Harry soupira et reprit le chemin de l'infirmerie. Il avait besoin de voir son professeur, s'assurer qu'il allait réellement bien.
C'était stupide de s'inquiéter autant pour un homme qui l'avait toujours malmené. Mais Severus Rogue avait été une constante dans la vie de Harry.

Quels que soient ses défauts, Rogue n'avait jamais changé face à lui. Du départ à la fin, il était resté le même connard sarcastique, l'humiliant sans hésitation, refusant de le ménager.
Harry était souvent sorti de ses cours fou de rage, mais à chaque fois, il retrouvait l'envie de se battre, de lutter pour prouver à l'homme qu'il était capable de réussir. Plus que tout, il voulait son approbation.

Un monde où le professeur de potions serait absent était inconcevable. Il avait le pressentiment qu'il avait besoin de lui.

Et il avait encore plus besoin de lui maintenant qu'il savait qu'il avait connu sa mère enfant. Ils avaient été amis, Rogue avait aimé sa mère au delà de tout. Il était le seul qui pourrait lui parler de Lily, le seul à pouvoir lui faire découvrir la jeune fille qu'elle avait été.
Jusqu'à maintenant, il avait entendu parler de son père - son père et les maraudeurs, son père et ses plaisanteries. Il avait juste appris qu'il avait les yeux de sa mère. Mais... il ne savait rien d'elle. Si elle avait été timide ou extravertie, douce ou volontaire.
Il voulait savoir quelle amie elle avait été, avant que James Potter ne brise sa relation avec Severus Rogue.

En entrant dans l'infirmerie, il put constater par lui-même que Rogue allait mieux. Il était toujours pâle, allongé dans son lit. Mais il avait les yeux ouvert et sa bouche était tordue en un pli colérique.
Malgré lui, Harry sourit, amusé de constater que même malade, l'homme restait le même.

Il avança, et le regard onyx se fixa sur lui. Les yeux s'écarquillèrent un instant, comme s'il était surpris de le voir là. Puis Severus Rogue redevint impassible.

***

En s'éveillant pour la seconde fois, Severus se sentait un peu mieux. Moins courbaturé, plus reposé. Il était prêt à se lever et à retourner dans ses cachots, mais c'était sans compter dans Poppy qui lui jura qu'il ne bougerait pas de son lit tant qu'elle ne lui aurait pas donné le feu vert.
Lorsque la porte s'ouvrit, Severus grogna légèrement, persuadé que c'était Minerva ou un autre collègue qui venait prendre de ses nouvelles. Ou un Auror venu arrêter l'ancien Mangemort.

Cependant, lorsqu'il rencontra les yeux verts familiers, il se figea, tétanisé.
Le gamin était face à lui, alors qu'il aurait du être mort. Une fois de plus, ce fichu gosse réalisait l'impossible et se sortait d'une situation en apparence inextricable.

Il se détendit légèrement, soulagé que le fils de Lily soit sain et sauf. Visiblement en bonne santé.

Harry avança vers le lit de l'homme, avec un large sourire.
- Bonjour professeur. Ravi de vous revoir.
Au grognement mécontent de l'homme, le sourire du gamin s'élargit. Et Severus ne put s'empêcher de s'en amuser.



Prompt de demain : le dernier râle d'un mourant

L'ombre du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant