L'ombre du passé

Londres

Lorsque Harry entra dans le bureau de son professeur, il eut la surprise de le voir installé à son bureau, un verre d'alcool à la main, plus agité qu'il ne l'avait jamais vu. C'était comme si après des années d'impassibilité, toutes les barrières de l'homme étaient tombées brusquement, le laissant vulnérable et exposé.
- Professeur ? Vous allez bien ?
Severus soupira et marmonna, maudissant le gamin qui s'inquiétait pour lui alors qu'il allait faire voler en éclats sa vie. De son ton le plus coupant pour garder la maîtrise de la situation, il ordonna.
- Potter. Installez-vous.

Les muscles tendus par l'appréhension, Harry s'assit sur une chaise, mal à l'aise, et observa l'homme avec inquiétude. Severus but son verre d'un coup, toussant sous la brûlure de l'alcool et leva ses yeux sombres sur son élève. Harry se tortilla, regrettant presque d'avoir cédé à la curiosité et d'être venu.
- Je... Je sais pourquoi ce fichu Centaure vous a parlé de Polynectar. Même si j'ignore pourquoi il a tenu à révéler mes secrets les plus... honteux. Je ne comprends pas ce qu'il avait à y gagner.

Harry se raidit, se penchant inconsciemment en avant, terriblement attentif. C'était un de ces moments où il pressentait qu'il allait découvrir quelque chose qui changerait sa vision du monde.
Severus passa une main tremblante sur son front et baissa les yeux, comme s'il ne pouvait pas supporter le regard trop vert de son élève.
- J'étais ami avec votre mère. Lily a été... la première personne à me témoigner de l'affection. Nous nous sommes connus avant... Avant de recevoir notre lettre. Nous avons été à Poudlard ensemble et... à mon grand désespoir nous avons été séparé lors de la répartition. Nous nous sommes retrouvés dans les maisons ennemies, Gryffondor et Serpentard. La pire configuration possible. Les premiers temps, nous étions décidés à rester proches mais... certains élèves... ne voyaient pas les choses d'un bon œil.
- Mon père.
- Oui. Les Maraudeurs menés par James Potter en personne. Je suppose que ma relation avec Lily a été... la raison pour laquelle ils m'ont humilié méthodiquement, jour après jour. Encore et encore.

Le petit brun aux yeux verts serra les poings et laissa échapper un grognement agacé.
- Personne n'était de votre côté ?
Severus le dévisagea, surpris et soupira.
- Je ne me fais pas d'illusions. Je n'ai jamais été un modèle de... sociabilité. Je n'avais pas vraiment d'amis en dehors de votre mère. Peu importe. Les brimades ont continué crescendo jusqu'à ce que Black ne tente de me tuer en m'envoyant dans les bras de Lupin un soir de pleine lune. Votre père... a apparemment pris conscience de ce qui risquait de se passer et il est intervenu à temps. Par sa propre faute, je me suis retrouvé enchaîné à une dette de vie avec lui...
Le Maître des potions ferma un instant les yeux et soupira.
- C'est juste après que... Lily est intervenue pendant un de leurs jeux stupides.
- Le souvenir que j'ai... vu ? Dans votre pensine ?
Severus leva les yeux vers le jeune homme et eut un mince sourire, dépourvu de toute animosité.
- Exact. Je me suis brouillé avec elle, conscient que je vivais d'illusions. Il fallait au moins ça pour l'éloigner de moi... Elle était si... lumineuse, elle ne pourrait jamais m'aimer moi. Je l'ai regardé se rapprocher de votre père de plus en plus jusqu'à ce qu'ils entament une relation.
- Professeur...
L'homme leva une main, imposant le silence et reprit.
- Laissez moi terminer où je n'y arriverais pas. En dernière année, comme je préparais déjà ma maîtrise de potions, j'ai eu accès à la réserve de la bibliothèque. J'y ai découvert le polynectar au cours de mes recettes. Une potion de grand pouvoir assurément. A l'époque, la potion n'était pas enseignée à Poudlard, ce ne fut que plus tard qu'elle apparut au programme.

Fasciné, Harry l'écoutait. Severus déglutit et soupira.
- J'ai eu la pire idée de ma misérable existence je pense. J'ai... Je me suis dit que je pouvais prendre l'apparence de Potter et rompre avec Lily. Elle était... Bon sang. Votre mère avait un sacré caractère et elle n'aurait jamais pardonné à cet abruti. De la même façon qu'elle ne m'avait pas pardonné mes mots terribles. J'ai... J'ai bu la potion, j'ai profité que Potter était occupé ailleurs, en vadrouille à Pré-au-Lard avec ses amis, et je suis allé voir Lily.
Severus grimaça et baissa la tête, évitant de regarder en direction de Harry. En parlant un peu moins fort, il continua, ayant visiblement du mal à avouer ce qu'il avait caché depuis si longtemps.
- Je... Je ne sais pas comment les choses ont pu déraper à ce point. J'ai... Avant que... J'ai couché avec Lily. Je ne pensais même plus que j'avais les traits d'un autre, j'étais juste soulagé qu'elle... me regarde à nouveau. Et puis je suis parti quand je n'ai plus eu de potion, avant de redevenir moi. Je m'en suis voulu quand j'ai réalisé ce que j'avais fait, et j'allais lui avouer quand elle m'a annoncé ses fiançailles avec Potter. Elle était si heureuse, si... Je me suis enfui. J'ai gardé le silence, je suis parti et le lendemain, je prenais la marque.

Harry observait son professeur, bouche bée. Il ne pouvait pas croire ce qu'il venait d'entendre. Une part de lui hurlait qu'il devrait être furieux, s'en prendre à l'homme et l'insulter pour avoir osé abuser de la confiance de sa mère. Mais une autre part de lui-même lui rappelait que sans les Maraudeurs et leurs stupidités, Severus n'aurait jamais eu à en arriver à des extrémités aussi désespérées pour se rapprocher de son amie. Il ne serait jamais devenu Mangemort non plus.

Le jeune homme se passa la main sur le visage, surpris de le trouver baigné de larmes et il ferma les yeux un instant. Il espéra que sa voix n'était pas trop brisée quand il prit la parole.
- Merci de me l'avoir dit. Je... J'ai besoin de réfléchir. Je...
Il soupira et prit rapidement une décision.
- Si quelqu'un me cherche, pourriez-vous dire que je suis parti à Londres ? Je vais aller passer la nuit Square Grimmaud.
- Vous êtes en droit de me demander de partir et de rester loin de vous, Monsieur Potter.
Harry haussa les épaules.
- J'ai juste besoin de réfléchir.

Severus se leva et ouvrit la porte qui donnait sur ses appartements. Il désigna sa cheminée.
- Voyagez au moins en sécurité, utilisez la poudre de cheminette. Ma cheminée est raccordée au Square, pour... les réunions de l'Ordre.
Harry hocha la tête d'un air absent, et s'engouffra dans la pièce, sans faire attention à ce qui l'entourait. Son esprit était pour l'instant focalisé sur le récit de son professeur, sur une partie de l'histoire qui était restée cachée jusqu'à maintenant.

Juste avant d'entrer dans l'âtre, le jeune homme se tourna vers Severus. Sa voix s'éleva dans la pièce, douce et dépourvue d'animosité.
- Professeur ? Merci de m'avoir parlé.

Prompt de demain : stratégie