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« Monsieur Kim,

Comme déjà signalé auparavant, je me permets de vous rappeler que vous dépassez outrageusement le seuil de tolérance acceptable de nuisance sonore, de nuit qui plus est. Je vous signale à toutes fins utiles que les amendes prévues pour ce genre de comportement prennent la forme d'une contravention de troisième classe.

À ce jour, malgré mes multiples rappels, je n'ai constaté aucun changement d'attitude de votre part. En conséquence, je vous mets en demeure par la présente lettre de cesser ce trouble sonore au risque de représailles juridiques. La prochaine fois, je n'hésiterai pas à faire dépêcher la police ou à saisir le tribunal, si le besoin s'en fait ressentir.

Dans l'attente d'une évolution conciliante et coopérative, je vous prie, Monsieur, d'agréer l'expression de mes salutations les plus distinguées,
Jeon Jungkook (appartement 11) »

Satisfait de mon travail, je m'étirai en lâchant un bâillement bruyant et peu commode. J'avais enfin fini de rédiger ma lettre de mise en demeure, qui marquait l'étape supérieure de mes avertissements. Celle-ci constituait une sorte d'introduction à la potentielle procédure judiciaire et n'était donc pas à négliger compte-tenu de sa valeur. J'étais décidé: je la glisserai dans sa boîte aux lettres demain. J'en avais marre de tourner en rond.

L'eau tiède dévalant mon torse me fit presque sourire. J'aimais tout particulièrement l'instant de la douche: calme, paisible et relaxant. Enfin, si la sonnette de mon appartement ne retentissait pas depuis une dizaine de secondes déjà.

Ma tête valdingua en arrière alors que je me préparais mentalement à devoir écourter ma douche. Je ne me souvenais pourtant pas recevoir de la visite en ce début de soirée. Dans le doute, je me dépêchai d'enfiler quelques vêtements propres, espérant que ce n'était pas trop important.

« Bonsoir, j'espère que je ne vous dérange pas !

Vêtu d'un luxueux costard cravate semblant sur-mesure, le fameux Kim se dressait devant moi dans toute sa splendeur, armé de son éternel sourire d'enthousiasme.

Ses prunelles s'orientèrent sur mes cheveux humides tout en prononçant sa réplique, tandis que je tentais de maîtriser le petit diable qui s'agitait frénétiquement au fond de mon être.

- Bonjour, prononçai-je avec lenteur, sur mes gardes.

On se scrutait dans le blanc des yeux et un bref silence s'instaura.

- Vous ne me faites pas entrer ?

- Dites-moi, vous ne voulez pas arrêter de jouer à l'enfant deux secondes ? d'un ton nerveux, je demandai.

- Oh, vous souhaitez que je me comporte comme à mon cabinet ? il ne me laissa pas le temps de répliquer qu'il poursuivit sur sa lancée. Ça risque d'être très professionnel et je n'ai pas spécialement envie d'entretenir une relation professionnelle avec vous.

- Bon, la raison de votre venue. J'attends.

Je manquai de lever les yeux au ciel lorsqu'il s'invita chez moi, me décalant légèrement hors de son chemin. Ce mec était donc sans principe. Remarquez, j'agissais de la même manière lorsque je pénétrais son appartement.

- Où est ma corde à sauter ? l'entendis-je demander alors que je refermai ma porte d'entrée.

Je ne lui accordai aucune réponse, témoignant de ma volonté à ce qu'il ne récupère pas cet objet de malheur. Il réitéra sa question en même temps que j'entrai dans mon salon pour lui faire face.

- Une fois que j'aurai porté plainte pour tapage nocturne, je le ferai pour harcèlement. » grinçai-je d'un ton fatigué.

Sans un mot, je filai dans ma chambre afin de cacher sa corde à sauter au-dessus de mon placard. Mais lorsque je revins, je le surpris en pleine lecture de la lettre de mise en demeure que j'avais rédigée un peu plus tôt.

J'écarquillai les yeux et m'avançai pour la lui arracher des mains. Je ne savais pas bien ce qui m'avait pris de réagir ainsi, je crois que je n'avais pas envie qu'il la lise maintenant et surtout, en face de moi.

Je déglutis silencieusement de malaise  en affrontant son regard légèrement voilé de peine. Et cette fois-ci, contrairement à toutes les autres fois, sa peine était sincère. Non celle factice qu'il empruntait dans ses entourloupes habituelles.

« Ce n'est pas comme si je ne vous avais jamais prévenu, me justifiai-je immédiatement sur la défensive. Ça fait des mois que ça dure. Je n'en peux plus.

Il me contourna et se dirigea vers la sortie. C'était vraiment le monde à l'envers ! Je ne sais pas à quoi il était en train de jouer, si son but était de me faire culpabiliser ou autre, mais il fallait qu'il intègre l'idée que cette situation était complètement absurde et qu'elle devait cesser.

- Je ne vous causerai plus de soucis. »

Cette dernière phrase me cloua sur place. Alors... c'était enfin fini ? Il avait juste suffi d'une lettre de mise en demeure pour qu'il me laisse enfin tranquille avec son boucan infernal ? C'était étrange. Toute cette histoire était étrange de toute façon.

Et la porte claqua. Il était parti.

⎡Sonore⎦ ʈkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant