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« Les haricots sont assez cuits ? Ça vous plaît ? Sinon je peux-

- C'est très bon, merci, le rassurai-je illico presto.

L'heure était à l'embarras en vérité. Je ressentais le besoin d'aborder les tapages nocturnes qu'il m'a fait subir, mais je ne savais pas comment introduire le sujet sans paraître agressif ou faire grimper ma colère. Les événements étaient encore trop frais, trop récents pour que j'y sois déjà insensible. Peut-être valait-il mieux attendre un peu.

- Je vous présente mes excuses. 

Je manquai de recracher la nourriture. 

Ses excuses ne valaient pas grand chose en comparaison avec tout ce qu'il a fait, mais c'était déjà une bonne chose qu'il réalise ses erreurs et montre sa culpabilité. La situation restait quand même ahurissante, il s'excusait pour m'avoir délibérément empêché de valider mon quotas de huit heures de sommeil.

Enfin bon, j'appréciais tout de même l'effort.

- Je m'excuse aussi, prononçai-je à mon tour, enfournant une nouvelle bouchée.

- Pour ?

- Le bruit de la visseuse électrique à l'aube.

Ses orbes perdus interrogeaient vivement les miens, tandis que je fronçai les sourcils d'incompréhension. Soudain, un éclair de lucidité sembla le traverser avant qu'il ne se mette à ricaner d'un air quelque peu douteux.

- Vous vous êtes donné du mal pour rien Jungkook ! Je suis à mon cabinet dès cinq heures du matin.

Ma mâchoire manqua de se décrocher et une vague de honte me submergea violemment. Je ne devrais même pas éprouver de honte au vu de son cas personnel mais je n'y pouvais rien. Je m'étais abaissé à lui rendre la monnaie de sa pièce, à appliquer la loi du talion tel un enfant de primaire qui ne trouvait pas d'autres solutions pour calmer ses peines.

- Mais quand est-ce que vous dormez ?

- Ça dépend. J'ai besoin de très peu d'heures de sommeil, quatre me suffisent. J'attendis qu'il m'avoue plaisanter mais visiblement il était très sérieux. Si vous voulez tout savoir, le médecin m'a dit que c'était génétique. Je dors juste de manière efficace.

- Mais... Comment c'est possible ? Vous êtes sûr que ce n'est pas de l'insomnie ?

- Je vous l'ai dit, c'est génétique. Et je ne suis pas insomniaque, je vous rassure. Mais changeons de sujet, et si on se tutoyait ?

- Si tu veux, acquiesçai-je encore un peu remué. 

Je ne savais pas qu'un humain pouvait être doté d'une telle faculté. A priori, de ce qu'il m'en a dit, il n'encourrait pas de risques majeurs pour sa santé et c'était un grand point positif. Et quel gain de temps phénoménal ! Dans un sens, je l'enviais fortement. 

- Vous êtes drôle, une certaine douceur sembla émaner de sa tonalité. Vous êtes si expressif dans votre façon d'être.

- On ne se tutoie pas finalement ? répliquai-je du tac au tac. 

- Excuse-moi c'est l'habitude. J'hochai faiblement la tête comme pour acquiescer. Tu veux du fromage ? »

La conversation se poursuivit dans cette même ambiance, à la fois réservée et cordiale. Peu à peu, il me semble que j'arrivais à m'ouvrir à cet homme dont je m'étais méfié durant des mois et des mois. Au fond je crois qu'il n'était pas mauvais, juste profondément maladroit. 

⎡Sonore⎦ ʈkOù les histoires vivent. Découvrez maintenant