Joyeux Noë'nnes ! [Terminé]

Chapitre 4

FILM : Nuits blanches à Seattle, réalisé par Nora EPHRON

MUSIQUE : Winter Wonderland, interprétée par Tony BENNETT

❄ Lucien ❄

— Enfile un manteau. Je t'emmène quelque part !

Priya, qui n'a pas bougé d'un poil de la journée, est étendue de tout son long sur le canapé. Ses cheveux sont ramenés sur le sommet de son crâne en un étrange palmier désorganisé. Quant à sa tenue, elle ne casserait pas trois pattes à un canard. Elle arbore le même vieux jogging depuis notre arrivée. Elle a l'apparence d'une larve qui se serait trouvée comme meilleure amie une chienne. En effet, Noënne ne la quitte plus. Où qu'elle aille, elle la colle ! Dans les toilettes. Dans la salle de bain. Dans le divan. Partout !

— Mon livre est vraiment passionnant, m'oppose-t-elle, après avoir relevé les yeux des pages qu'elle dévore.

Son regard est strié par la fatigue qui lui a creusé d'énormes poches noires. Combien d'heures dort-elle par nuit ?

Les cernes ne sont pas les seules marques de fatigue qui lui rongent le visage. De profondes rides soucieuses lui barrent le front, et ses joues creuses m'indiquent une perte de poids flagrante. L'élastique de son bas de training est serré au maximum autour de sa frêle taille. Quant à ses côtes, elles sont apparentes lorsqu'elle se balade avec un haut moulant. Dire qu'elle se porte bien relèverait du mensonge !

Bien qu'avec la crise pandémique du COVID-19, le confinement nous ait forcés à rester calfeutrés ensemble dans notre appartement, je n'avais pas remarqué à quel point sa silhouette s'amincissait. Cependant, lorsqu'on y songe de plus près, cela n'est pas très étonnant : elle était constamment confinée dans son bureau et n'en sortait que pour grignoter. Si le corona a démontré à beaucoup de personnes leur situation amoureuse désastreuse et a fait exploser le score des procédures de divorce, certains couples ont profité de cette crise mondiale pour se rapprocher et se sentir plus sondés que jamais.

Dans notre cas, le confinement ne nous a pas impactés. Notre relation est demeurée inchangée. Aucune évolution ne s'est profilée. Aucun rapprochement ne s'est esquissé. Aucune discussion sérieuse n'a été envisagée.

Replié dans le salon, je dessinais à en avoir mal au poignet. Heureusement, Noënne me tenait compagnie et remuait la queue, lorsque je lui parlais. Elle seule s'est montrée comme un réel soutien psychologique. Chaque promenade dans Bruxelles en sa compagnie était un réel bol d'air frais.

Lors de nos balades, la nature avait repris ses droits : moins de voitures en circulation, moins de pollution aussi bien environnementale que sonore. Les oiseaux faisaient de nouveau entendre leur chant. Les Bruxellois reconnaissaient les plaisirs d'une vie familiale, les loisirs créatifs à domicile et les joies du vélo.

Alors, même si ce fichu virus a engendré de nombreuses conséquences néfastes et provoqué des décès précipités en masse, il m'a permis d'ouvrir les yeux et de tendre l'oreille. La vie est bien trop courte et doit être vécue pleinement. Aucun regret n'est envisageable.

Pour rien au monde, je ne la laisserai m'échapper, et cela au risque de paraître encore plus fou que je ne le suis !

— Ton livre ne s'envolera pas en ton absence ! Accompagne-moi, s'il te plaît.

Face à mon ton suppliant et ma mine de chien battu, elle lève les yeux au ciel avant de s'avouer vaincue. L'énorme bouquin, qui est devenu sa bible depuis hier, se referme et est déposé sur la table basse. Bien que son minois n'affiche aucune réjouissance à me suivre à l'extérieur, elle gravit les marches qui mènent à l'étage, suivie de près par Noënne, qui manque de lui rentrer dans les fesses lorsque Priya s'arrête au milieu des escaliers.