Chapitre 13

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FILM: Mister Noël, réalisé par Blair HEYES

MUSIQUE : At Christmas, interprétée par Kylie MINOGUE

Priya

Assise à même le sol, le temps s'éternise. Il paraît s'étirer, tel le fil d'Ariane, sans en montrer la moindre fin, et me mortifie tant qu'il me déstabilise. En fait, toute cette situation m'afflige.

Paralysée par le chagrin et la rage d'avoir blessé la personne qui m'est la plus chère, j'ai ramené toutes mes forces. Dans un effort qui m'a semblé incroyable, j'ai su me déshabiller et entrer sous la douche. L'eau glacée, qui s'échappait du pommeau à haute pression, était la punition que je m'autoadministrais. Un mince châtiment, comparé à celui que j'ai affligé à mon époux.

Lui mentir a été la pire des décisions pour laquelle j'ai optée, et se place largement en tête, devant celle de lui demander le divorce. Il avait le droit de savoir la vérité, parce que celle-ci le concernait directement. Je le lui en ai enlevé le droit, comme une voleuse insensible et inhumaine. Lui rendre sa liberté sera la meilleure alternative... je ne peux non plus lui dérober son rêve de devenir père.

Même si ceci me brise davantage, il le faut. Il le faut. Il le faut.

La porte d'entrée s'ouvre et se referme dans un son étouffé. Le cœur battant, je guette le moindre bruit qui me confirmerait l'identité de l'arrivant. C'est dire, je n'ai même pas l'énergie suffisante pour vérifier au rez-de-chaussée qu'il s'agit de Lucien, et non de cambrioleurs qui rôdent intensivement ces derniers temps. Qu'ils viennent me piller et me séquestrer dans ma propre chambre, je n'en ai cure. Je l'ai mérité.

La playlist spéciale « Noël » de Lucien est diffusée en sourdine par l'enceinte, que j'ai emportée avec moi après ma douche revigorante. Sauf qu'une seule chanson passe en boucle. Dès que les mélodies finales s'achèvent, le bouton replay est enclenché sur le champ. La voix de Joni Mitchell m'apaise malgré tout. Elle est porteuse de mon fardeau et traduit littéralement ma peine.

La peine que je lui ai affligée.

It's coming on Christmas
They're cutting down trees
They're putting up reindeer
And singing songs of joy and peace
Oh, I wish I had a river
I could skate away on

Dans un coin de la chambre à coucher, je grelotte. Mes cheveux, encore humides, gouttent sur le t-shirt de Lucien que j'ai enfilé. Il sent divinement bon son parfum et me réconforte. Dedans, j'ai l'impression qu'il me serre au creux de ses bras, qu'il est tout proche de moi et qu'il me rassure en vain.

Malgré le bout de tissu familier, la peur me tiraille le bide. Elle me broie les entrailles et me donne des haut-le-cœur. Repliée sur moi-même, telle un fœtus, je pleurniche.

Il est parti. J'ai réussi à le faire fuir.

Les minutes durant lesquelles il s'est absenté, se sont converties en une heure. Une heure, c'est terriblement long. Toutes sortes de pensées, des plus farfelues aux plus concrètes, affluent dans votre esprit, et vous poussent à croire l'inconcevable.

Dans mon cas, je ne croyais pas Lucien capable de quitter la maison et de nous abandonner Noënne et moi, et il me le démontre actuellement qu'il en est incapable. Ses bottines humides entrent dans mon champ de vision et s'arrêtent sur le pas de la porte, tandis que, les bras ballants, il reste à m'observer. Ses lunettes dissimulent avec difficulté ses yeux rougis et bouffis. Cette vue de mon homme dévasté m'anéantit et accroît mes sanglots. La culpabilité me bouffe de l'intérieur. Il souffre tellement.

Joyeux Noë'nnes ! [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant