Chapitre 14

165 26 73
                                    

FILM :
MUSIQUE :

Lucien

Les paupières collées de sommeil, mon cerveau est complètement à la ramasse et me donne la sensation d'avoir guindaillé* toute la nuit. Ceci n'étant pas totalement faux, cette dernière a été très courte. Mes heures de sommeil doivent s'élever au quota de quatre. C'est peu, très peu pour mon corps courbaturé et mon esprit tiraillé.

Mes doigts palpent la place désertée à côté de la mienne. Les draps sont froissés et froids. Au fond de moi, j'espérais qu'ils trouvent des courbes chaudes, qu'ils s'en saisissent et les rapprochent pour les accoler tout contre moi. Mais rien. Elle n'est pas présente, et son absence me meurtrit encore plus que les révélations de la veille.

La soirée avait si bien débuté. Elle et moi complices, tels au premier jour de notre relation. J'y ai cru.

Putain, quel con parfait je suis ! Je vis avec elle et ne me suis douté de rien. La sensation d'être le pire mari s'est immiscé dans les tréfonds sombres de mon crâne et me mange les entrailles, depuis hier soir. Encore une fois, l'angoisse me menace. Cependant, le fait de repenser à ses lèvres pressées sur les miennes m'aide à en ressentir les effets moindres. De toutes mes forces, je me concentre sur les bribes de souvenir de nos retrouvailles affriolantes. Ses dents qui mordent mon épaule. Ses ongles qui griffent mes omoplates. Sa bouche en cœur qui me réclame.

Les souvenirs n'effacent pas l'arrière-goût et l'atroce sentiment qui obstrue mon poitrail d'une masse. Ils me hantent, me ramènent indéniablement à la naissance d'Arya et au jour où j'ai signé un nouveau contrat d'édition. Celui-ci était synonyme de félicité. Maintenant, il est devenu noir à mes yeux. Au retour de mon rendez-vous professionnel, je ne me suis pas inquiété. Bien trop euphorique par ce projet qui s'offrait à moi, j'ai explosé de joie sans deviner une seule seconde la cause de l'état fatigué de Priya. Elle a osé prétexter les jours suivants une mauvaise grippe qu'elle aurait chopée dans les transports en commun entre la capitale et Barvaux.

Une mauvaise grippe ! Enragé, mon poing compressé autour de son oreiller le balance dans la pièce, après l'avoir humé. Il possède son délicieux parfum exotique qu'à chacun de ses pas, sa chevelure de jais libère. Noix de coco.

Je ne la hais pas. Mon amour pour elle est bien trop puissant pour se convertir en haine, en l'espace d'une seule nuit. Au contraire, je déteste ce qu'elle nous a fait endurer. Une année à s'éloigner, à se disputer et à conserver nos ressentiments. La colère est suffisamment imposante pour nourrir mes pensées noires et accroître mon désarroi. Mon humeur n'est pas à la fête en ce Réveillon. Savoir que je vais devoir feindre un air serein m'épuise déjà.

Les jambes lourdes, je descends au rez-de-chaussée, suivi de Noënne qui trottine. Même le bonjour qu'elle m'octroie, sa queue remuant de droite à gauche, ne m'égaie pas. Pour couronner le malaise qui me gagne, une migraine du tonnerre commence à pointer le bout de son nez. Sur la table, un mot est laissé à mon attention :

[Je suis partie faire les courses pour les quelques trucs qui nous manquaient pour le repas de ce soir et demain.]

Il est aussi glacial que mon réveil et n'arrange rien à mon humeur. Le cœur malade et bercé par le bruit de la machine à café en action, mes yeux sont hypnotisés par les flocons qui tombent derrière la fenêtre et épousent le paysage hivernal. Des tremblements incessants agitent mes membres tendus, tandis que mes pupilles irritées peinent à s'humidifier. Le café est coulé, mais je ne me dirige pas vers la tasse fumante. Mes pas me mènent mécaniquement à l'étage où l'une des portes verrouillées m'appelle. La clé, à laquelle pend un ridicule pompon, est posée dans la serrure et ne demande qu'à être tournée.

Joyeux Noë'nnes ! [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant