Jeudi 24 Août, 9h53 :
Nous y étions enfin. Le dernier escalier nous avait fait peur. Aucun de nous n'était monté au-delà de la zone 46, alors, oui, les dernières marches avant le centre de recrutement nous avait un peu effrayé. Nous savions exactement ce qu'elles représentaient : la séparation entre notre ancienne et notre futur vie si nous passions le test avec brio.
La pièce dans laquelle se déroulait les inscriptions n'était pas pleine, comme nous le pensions. En effet, pour l'occasion, beaucoup de monde avaient déserté les étages inférieurs pour venir assister, et non participer, au test.
Les adultes de plus de vingt-neuf ans n'étaient ici que pour décorer la salle et permettre de faire monter le stress des concurrents - comme si nous ne l'étions pas déjà un maximum. Certains jeunes adultes, qui aurait pu passer le test, ne venaient ici que dans le but d'encourager leurs amis et autres personnes de leur entourage.
Trois colonnes se dessinèrent devant Ayden et moi-même. Trois... C'était aussi le nombre de personne que j'avais devant moi. Lorsque ce fut mon tour, je fus accueilli par une vieille dame aux rides marquées et au regard vide. Elle ne souriait pas et ne regardait que rarement dans les yeux de la personne à qui elle s'adressait. Elle semblait lassée par son travail et n'y mettait guère du sien pour faire avancer les choses.
— Catégorie, numéro.
Sa voix m'écorcha les oreilles. Elle était perçante et désagréable au possible. Je préférais encore écouter Ayden parler pendant des heures, sans s'arrêter, plutôt que d'avoir à supporter quelques millièmes de secondes la voix de la vieille.
— Orpheline, 6 539, annonçai-je.
Elle fit mine de chercher sur son écran holographique mon nom. Elle finit par y parvenir. Je redoutais le moment où elle devrait dire mon nom. Mon véritable nom.
— Je vous ai trouvé. Rowena Greydale, O 6 539.
Je ne supportais pas ce prénom. Un prénom choisit par des parents qui m'avaient abandonné avant mes un an. C'était injuste. Les autres me connaissaient surtout sous le nom de Raven. C'était assez proche de Rowena, mais assez éloigné pour éviter que j'y fasse souvent attention.
— Regardez par ici... entendis-je au loin. Une orpheline... Quelle générosité font-ils preuve au centre de commandement ?
Je sentis mon cœur battre un peu plus vite. J'avais cette envie en moi de retourner la personne qui avait dit ça mais je me retins. Ce n'était ni le moment ni l'endroit pour le faire. Ne pouvant rien faire d'autre, je me contentai d'observer de loin le gars qui venait d'annoncer cette absurdité.
Il était blond, les yeux verts et se pavanait dans son habit dernier cri. Il était riche, ça crevait les yeux. Il n'y avait qu'eux d'ailleurs pour faire autant de bruit sur les orphelins. Les pauvres n'en avaient jamais vraiment l'occasion et ressentaient presque la même chose à l'égard de la société. Les riches parmi les pauvres, quant à eux ne se permettaient pas tout le temps ce genre de réflexion, sûrement trop occupés à se demander quel serait le meilleur moyen pour atteindre la classe supérieure. Mais les Riches, eux n'en avaient rien à faire. Ils connaissaient leur place dans la société. Ils se sentaient supérieurs.
La voix de la vieille me ramena à la réalité.
— Monsieur Treegof, un peu de tenue s'il vous plaît.
Il s'approcha d'elle avec fureur et parlant d'une voix tout autre, il lui fit comprendre qu'elle n'était rien par rapport à lui et que si elle travaillait ici c'était grâce à son père. C'est bien ce que je disais. Un Riche. Mais pas n'importe lequel. Le Riche parmi les riches. L'élite d'après la société. Un Riche narcissique et imbu de lui-même, étant né que pour une chose : pavaner sous la richesse familiale et hériter de tous les bons côtés qu'offraient son statut.
Lorsque la vieille se renfonça dans son siège, elle me fit signe de circuler et de ne dire mot.
Ayden arriva quelques minutes après moi. Lui aussi avait vu la scène qui s'était déroulée sous ses yeux. Rien n'était été plus décevant que de voir comment les supérieurs traitaient leurs inférieurs. Nous n'étions rien.
Nous nous rapprochâmes de l'estrade. Un micro avait été placé en plein centre et une lumière bleue se dégageait des lampes clouées au sol. Ce n'était pas le genre de micro, ancien et sans forme qui existait il y a des siècles de cela. Les nôtres ressemblaient plus à des amas de technologie mis en pièce pour symboliser la force de nos connaissances. Ils étaient simples et légers, presque translucide et quasiment invisibles. Mais si l'on se penchait pour observer avec attention, on pouvait discerner chacune des parties qui le composait.
Holographiquement, une des cinq sous-dirigeantes apparut aux côtés d'un homme qui s'était avancé sur le devant de la scène. Elle prit la parole afin d'énoncer la première épreuve de la matinée.
— A la fin de ce qui semblera pour vous une formalité, nous vous aurons déjà départagé afin d'en éliminer certains. Les places sont chères et ce sont vos actions, non votre rang, qui détermineront la finalité de cette journée. Vous ne serez plus que deux cents avant la deuxième épreuve. Une centaine avant de passer à l'après-midi et seulement cinquante d'entre vous resteront.
Cinquante... comment je pouvais gagner face à trois cents jeunes de mon âge et quelques plus vieux. Je ne faisais pas le poids... Cinquante... J'avais peu de chance d'y arriver mais n'était-ce pas là le but d'un défi à relever ? J'étais au pied de la montagne, je n'avais plus qu'à la gravir. Le plus dur ne serait pas de le faire. Le plus dur serait de se lancer.
— Prête ? Me demanda ma petite étoile.
— Prête si tu es prêt.
Nous serrâmes nos petits doigts l'un contre l'autre. Nous nous étions fait la promesse de réussir. Je n'allais pas échouer de sitôt. Je ne pouvais pas. Un feu de rage et de combativité s'allumait en moi et ravagea toutes mes émotions négatives. Ce feu était si puissant qu'il me donna la force de tirer par le bras Ayden pour l'emmener vers le premier test.
— Pour ce premier test, nous voulons nous assurer que votre passé ne nuira pas à notre avenir et que le présent vous aidera à trouver le futur. Vous passerez seuls face à un consultant. Il analysera vos souvenirs et jugera lui-même de votre capacité à tirer profit des situations.
Ils appelèrent nos numéros un par un. Je sentais mon cœur battre fort. J'avais une impression de décrochement. Mon cœur n'était plus ce qu'il était, fort et puissant. Il était devenu l'espace de quelques secondes faible et vulnérable au stress qui me rongeait. La société ne devait pas connaître la vérité que je m'efforçais de garder depuis des années. La vérité sur mes parents, sur moi, et sur notre condition.
Ayden partit en premier pour rejoindre l'une des pièces dont les murs, d'origine transparent comme le verre, s'étaient opacifié. La technologie avait réussi sur un point : rendre intime un environnement public en l'espace d'un clic. J'avais croisé mes doigts pour le revoir avant que je ne parte moi-même dans l'une de ces salles. Il faisait ma force.
— Numéro 6 539, salle 6-E.
Le son me revint en écho. J'étais appelée. Je ne savais pas si je devais me réjouir ou non. Je passai enfin ce test. Mais d'un autre côté, j'allais partir sans le voir, sans savoir s'il allait bien. Le passé avait tendance à nous secouer bien plus, nous, les orphelins, que eux, les riches. Pour le futur, c'était l'inverse. Notre condition ne pouvant être pire, le moindre changement faisait souvent du bien à notre vie.
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Human
Science FictionDu haut de ses dix-neuf ans, Raven Greydale a toujours grandi dans L'Abri, nom du bunker des anciens habitants de New-York. Cette société a dû s'enfouir dans le sol de la Terre pour survivre face à des Alfaeliens, des extraterrestres venus d'une con...