Chapitre III: Être une femme.

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                                                                        Chapitre III : Être une femme

Judith partit une heure après leur discussion mouvementée. Juste avant le retour des parents de Jeanne. Tout en rentrant dans le salon, ses parents discutaient de la fortune des Smith ainsi que de leur prestance ou encore de leur décoration. Pour une fois, sa mère prenait vivement part à la conversation. Jeanne était assise au même endroit, un livre à la main « Gatsby le magnifique de Fitzgerald ». Elle le posa sur le côté car elle se doutait que ses parents souhaiteraient lui parler.

- Ah Jeanne !

Son père semblait  heureux de la voir. Ce qui l'étonna.

- Votre après-midi a t-elle été agréable ? 

- Très. Nous avons enfin fait la connaissance du fils des Kentwood, James. Il venait lui aussi rendre visite. Il était parti en Italie avec un ami depuis huit mois. Il a hâte de vous rencontrer demain. Mr Dumont affichait un sourire satisfait. 

- Que lui avez-vous raconté ? Je suppose que vous lui avez fait un portrait bien trop flatteur.  

Cette remarque fit disparaître le sourire d'Henri. 

- Nous avons donné notre avis de manière impartiale. Nous avons décrit votre beauté, votre intelligence et votre capacité à être une bonne maîtresse de maison...

Jeanne n'écoutait plus sa mère citer ses qualités. Elle s'était arrêtée à « maîtresse de maison ». Sa colère était montée directement. Elle ne supportait pas qu'on réduise encore les rôles des femmes au fait de savoir tenir une maison. Sans parler des inégalités entre les hommes et les femmes, tel que le droit de vote. Si les femmes étaient soit disant moins intelligentes et du même avis que leurs maris, en quoi étaient-elles une menace ? Le seul tord qu'elle avait c'était d'être née femme dans une société machiste où leur seul but était de trouver un bon mari. Jeanne avait envie de hurler. Elle souffla plusieurs fois afin d'essayer de reprendre son calme. Ses propos risquaient d'être irrespectueux et offensants. Mais elle en avait assez d'avoir l'impression d'être une prisonnière dans une cage dorée. Parfois elle se surprenait à penser qu'elle accepterait la prochaine demande. Cela lui permettrait de changer de vie. Mais après réflexion, elle se ravisait car elle ne pouvait pas vivre avec un homme qu'elle n'aimait pas. Donc elle l'attendrait et celui-ci prenait son temps pour apparaître dans sa vie.

- Je vous remercie. Par ailleurs le choix de mon futur époux me revient. Et contrairement à la ville où j'habite, je ne transigerai pas sur ce sujet. 

- Jeanne !  

Marie cria son prénom en portant la main devant la bouche, choquée. Jeanne la regarda surprise, elle ne se doutait pas que sa mère pouvait atteindre cet octave. Quant à son père, il lui lançait un regard noir. 

- De toute façon, ce sujet n'est pas au goût du jour. Nous pourrons en discuter le moment venu. Ce soir je n'ai pas faim. Ne m'attendez pas pour souper.

Elle leur tourna le dos et gravit l'escalier en bois jusqu'à sa chambre. Elle se jeta sur le lit et se retrouva allongée sur le dos. Avec cette conversation elle avait oublié son livre dans le fauteuil. Finalement, elle était impatiente d'aller à ce bal. Voir des nouvelles personnes lui ferait le plus grand bien. Et pendant une soirée elle pourrait s'enivrer et évacuer ce qu'elle avait sur le cœur en dansant. Soudain elle se leva et s'accroupit près de l'un des cartons gisant sur le sol. Elle enleva avec hâte son contenu jusqu'à tomber sur l'une de ses photographies. Elle était assise sur un banc avec son amie Anne. La photographie avait été prise à une réception. Chaque invité était reparti avec sa photographie. Les deux amies se tenaient « bras dessus, bras dessous » en riant la tête rapprochée l'une de l'autre. À l'époque où cette photographie avait été prise, Jeanne était heureuse. Elle ne se doutait pas que ce sentiment s'envolerait. Cela fut le cas le jour où elle prit le bateau et qu'elle regardait les côtes françaises s'éloigner.  

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