Chapitre III: Ya d'la joie.

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Chapitre III : Ya d'la joie.

26 juin. Jour du mariage de Léandre pensa Jeanne dès qu'elle ouvrit les yeux. Elle resta les yeux rivés sur le plafond quelques minutes voire même quelques heures. Elle ne savait plus. La seule pensée qui revenait en boucle était que ce jour n'était pas banal. Il signifiait la fin d'une histoire. Elle se rendit compte qu'au fond d'elle, l'espoir était présent. Jusqu'à aujourd'hui.

Et cela faisait horriblement mal. Elle essaya de penser à un autre sujet mais elle revenait systématiquement à ce mariage. Elle l'imagina attendant sa future épouse devant l'autel. Il était certainement magnifique. Souriait-il ? Elle espérait que non. Jeanne secoua la tête, elle voulait qu'il soit heureux. Pensait-il à elle ? Elle souffla en se disant que penser à elle ne changerait rien au fait qu'il se mariait.

Jeanne s'aperçut qu'elle serrait le bas de l'oreiller de sa main droite. En fait ce jour anéantissait aussi l'espoir de vivre avec l'homme de sa vie. Elle avait eu de la chance de le rencontrer et finalement elle ne pouvait pas vivre avec lui. Parfois elle se disait qu'elle aurait mieux fait de ne pas le percuter ce jour d'hiver. Elle allait devoir vivre avec ce manque constant pour le reste de sa vie. Car malgré sa volonté de l'oublier pour réussir à vivre, à chaque fois qu'elle rencontrerait des événements heureux comme tristes elle s'imaginerait quelques secondes la présence de Léandre à ses côtés.

Avons-nous différents amours dans notre vie ? Jeanne l'espérait même si elle en doutait. Ses expériences passées avaient été incomparables avec ce qu'elle avait vécu avec Léandre. Donc elle avait peu d'espoir quant à son avenir. Jeanne se retourna et enfouit son visage dans l'oreiller. Elle serra la couverture contre elle. En fait, elle avait besoin d'un contact. Plus particulièrement, elle avait besoin de lui. Mais cela était impossible. Donc elle allait devoir s'y faire. Elle poussa les couvertures et se leva rapidement du lit. Elle se regarda dans le miroir dans le coin de la pièce. Son visage avait perdu de son éclat. Elle se pinça les joues dans le but de les faire prendre de la couleur. Elle sourit machinalement. Ce sourire ne pouvait duper personne.

Son regard fut attiré par les trois livres posés sur la commode. Elle prit Tristan et Yseult. Elle chercha le dernier passage qu'avait lu Léandre.

« Si nos deux amours ne font qu'un ou si nous nous aimons sans entraves, sans jamais défaillir, nul ne mourra ».

L'éternité ne leur ouvrait plus les bras. La colère monta en elle et crispa ses muscles. Elle arracha la page. Malgré son respect pour les livres, cette fois elle voulait la déchirer en mille morceaux et les brûler. Pourtant elle n'y arriva pas. Elle serrait la page en tremblant. Elle la posa contre son cœur et s'assit sur le bord du lit. Elle pleura silencieusement.

La musique émanant du phonographe raisonnait dans tout le salon. Maurice Chevalier chantait « Ya d'la joie » [MÉDIA]. Jeanne et Anne dansaient en préparant leurs valises. Le salon se trouvait sous un tas de vêtements. Anne attrapa une robe et dansa avec elle comme si elle était une femme. Ce qui fit rire son amie. Jeanne monta sur le fauteuil et sauta dessus. Il était devenu un trampoline. Elles n'avaient pas énormément avancé dans leur préparation. Heureusement, se connaissant elles avait commencé à préparer leur départ plusieurs heures à l'avance.

Au bout d'une heure, par miracle toutes les affaires étaient dans les valises. Contrairement à Jeanne, Anne réussit à fermer sa valise. Désespérée Jeanne donna des coups de pied dans la sienne. Elle s'assit dans le fauteuil en soufflant. En fait sa valise était une goutte d'eau. Ce voyage la mettait sous pression.

- Asseyez-vous dessus et je la fermerai ! Proposa Anne.

Jeanne suivit son conseil et la valise fut fermé en quelques secondes. Alors qu'elle était encore assise sur celle-ci, Anne la poussa par l'épaule. Jeanne tomba en arrière, les pieds en l'air. Anne ria aux éclats. Jeanne se releva décoiffée en lançant un regard menaçant à son amie. Elles se mirent à courir dans tout l'appartement. Passant sur les lits. Jeanne allait réussir à l'attraper. Soudain la porte d'entrée s'ouvrit. Alexandre rentra et servit de protection à Anne qui se cacha derrière lui. Jeanne tentait de l'attraper en entourant de ses bras Alexandre. Quant à lui, il levait les bras au ciel et restait stoïque.

- Eh bien Mesdemoiselles ! Si vous avez fini de jouer, le chauffeur nous attend !

Les jeunes femmes se calmèrent. Elles embrassèrent Alexandre puis le chauffeur vint chercher leurs affaires. Le trajet sur le bateau fut long malgré l'enthousiasme d'Alexandre et d'Anne. Avec les fumées de cigarette, la musique et les rires, la voiture avait un air de fête. Jeanne participa le plus possible même si l'angoisse dans son ventre était présente et augmentait au fur et à mesure qu'ils avançaient. Elle ne voulait pas revenir en Amérique et seul son amitié pour Judith l'empêchait de faire demi-tour. Lorsque Jeanne avait reçu sa réponse, elle s'imagina parfaitement Judith sautant de joie en écrivant la lettre. Elle avait insisté pour venir les chercher au port.

Et puis revoir Louise et ses parents lui ferait plaisir. Ils allaient loger chez les Dumont pendant trois semaines. Ils avaient de suite accepté lorsque Jeanne leur avait demandé. De plus, ils connaissaient Anne et Alexandre. Jeanne avait commencé à organiser leur séjour. Bien entendu elle souhaitait éviter le Victory et le Paris. Elle allait devoir convaincre ses fêtards d'amis.

Ils arrivèrent devant le paquebot noir et crème. Les amis l'admirèrent un instant.

- En espérant qu'il n'ait pas le destin du Titanic ! S'exclama cyniquement Alexandre.

Jeanne le regarda désespérée.

- Alexandre ! Continuez comme ça et vous ne faites plus parti du voyage ! Plaisanta t-elle.

- Parfaitement ! Nous aurions plus de place dans la cabine ! Ajouta Anne.

- Nous avons une suite ! Ce n'est pas la place qui manquera. Et si c'est le cas je trouverai bien un lit dans une autre cabine. D'une belle demoiselle de préférence.

Les deux amis rirent et tous s'avancèrent vers le paquebot.

Après une traversée houleuse due à des vents intenses, le paquebot amarra enfin. La foule était déjà présente sur le quai saluant les passagers. Le paquebot répondait grâce au gong. Ces bruits intenses firent avoir des frissons à Jeanne. Elle chercha Judith. Elle était la seule à pouvoir la reconnaître. Malgré cela Alexandre s'amusait à saluer la foule d'une manière hautaine tel un roi. Jeanne pensa que ces deux amis apporteraient de la douceur à ce séjour.

Jeanne reconnut enfin Judith. Elle sautillait sur place en faisant signe. Sa petite tête blonde tentant d'apparaître au dessus de cette marée humaine. Jeanne remarqua qu'elle portait un joli chapeau bordeaux. Instinctivement elle regarda qui se trouvait avec elle. George était là et semblait heureux de la revoir. Jeanne les salua et elle avança vers la sortie tout en les fixant. Soudain elle remarqua un homme à côté de George. Léandre. Elle s'arrêta immédiatement se retenant d'une main à la balustrade. Anne lui fonça dedans.

- Que se passe t-il ?

Jeanne fixait Léandre, tétanisée.

- Léandre est là... chuchota t-elle.

Elle remarqua qu'il lui adressait un grand sourire. Sans pointe de cynisme. Il portait aussi un costume noire et une chemise bleue roi. Il n'était pas Léandre mais Louis. Logiquement cela ne pouvait être que lui.

- Comment ose t-il ?

Anne s'approcha afin de l'apercevoir et fixa méchamment la foule. Même si elle ne l'avait jamais vu. Alexandre attrapa la main de Jeanne et l'obligea à avancer. Elle le questinna du regard.

- Je suis votre cavalier autant jouer mon rôle immédiatement.

Jeanne lui sourit, lui lacha la main et lui caressa tendrement la joue.

- Cela n'est pas nécessaire. Je viens de remarquer qu'il n'était pas Léandre mais son frère Louis.

Anne resta bouche bée en fixant Jeanne. Que faisait-il ici ?

IdemOù les histoires vivent. Découvrez maintenant