Chapitre 9

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Anae

Je regarde l'espace entre ma porte et l'extérieur fixement, mon sac sur l'épaule, et prête à sortir de cette chambre au plus vite.

Je ne resterais pas ici une seconde de plus. Je ne peux pas prendre le risque de me refaire tomber dessus par la sœur de Tomio. Je sais qu'elle a l'air d'avoir de bonnes intentions. Mais si je m'en réfère à ce que je sais, je ne suis pas sûre de pouvoir lui faire confiance sur la manière qu'elle aura de retrouver Tomio. Et comme je ne sais pas comment elle gèrera le moment de sa fuite, je préfère ne pas me fier à elle.

Sans parler du fait qu'elle a déjà abandonné son frère une fois. Et qu'il ne me semble pas qu'ils étaient en bons termes, avant qu'il s'en aille de chez lui. Alors je ne sais pas trop quoi faire. Mais si elle m'a trouvée une fois, je pense qu'elle pourra recommencer.

Je sors une fois que je suis sûre que personne n'est dans le couloir.

Par mesure de précaution, je fais tomber la brume dans la rue, et m'enroule dans mon écharpe, jusqu'au nez.

Je me souviens que la dernière fois que je l'ai utilisée aussi longtemps et sur une surface aussi grande que presque un quartier entier, c'était lors de notre dernière mission ensemble, à Tomio et moi.

Nous devions livrer un paquet bien plus gros que d'habitude. Et même s'il avait prit l'habitude de me porter avec le paquet pour les longs trajets, il était particulièrement fatigué après ce trajet-ci. Il était essoufflé, mais toujours aussi professionnel à l'arrivée du client.

Sauf qu'au moment de payer, ce dernier avait préféré sortir une arme à la place de l'argent. J'étais terrifiée. C'est peut-être étrange au vu de mon métier à ce moment là, mais c'était la première fois qu'on me menaçait avec une arme à feu, et ça m'avait clouée sur place. Mais Tomio s'était interposé entre l'homme et moi, les ailes déployées. Il semblait immense.

Je pourrais sourire en y repensant. Parce que Tomio est immense. Un type d'un mètre quatre-vingt qui a des ailes avec une envergure mesurant près du double est par défaut quelqu'un de plus grand que moi, avec mon petit mètre soixante.

L'homme avait tiré, et la brume était tombée. Je ne m'étais même pas rendue compte que c'était dû à mon alter, sur le coup. Jusqu'au moment où Tomio avait posé sa main sur mon épaule, pour s'assurer que j'allais bien, avant de nous faire décoller en catastrophe. Il venait de se faire tirer dessus, il saignait, mais il me serrait fermement contre lui.

Je m'arrête au premier bâtiment que je retrouve. L'appartement de Tomio.

Je lève la tête vers la fenêtre, et grimpe à la façade, par les escaliers. Il n'y a pas beaucoup de ce genre de choses au Japon. Il me semble que ça ressemble surtout aux villes américaines. Ce sont les escaliers de secours. Ou plutôt les escaliers de la tranquillité. J'enjambe tout ce qu'il y a à enjamber, et grimpe rapidement, à la manière que j'avais de le faire quand je vivais encore là : en montant les marches quatre à quatre.

J'ouvre ensuite la fenêtre la plus pratique pour moi : la toute petite de la salle de bain, celle où j'ai toujours réussi à me faufiler, avec ou sans les quelques kilos confortables que j'ai pu prendre en commençant mes études.

Je pose les pieds sur le sol et sens tout de suite que Tomio a vidé les lieux depuis longtemps. Et pourtant...

Le parquet grince, et j'entends de l'eau bouillir.

J'hésite. Est-ce que c'est lui ? Ou quelqu'un qui le cherche ?

Un bruissement familier s'approche de la porte de la salle de bain, et je serre mon sac contre ma poitrine. Une main la pousse doucement, et je vois ses plumes blanches avant même de voir son visage.

- Tomio ?

Il me sourit doucement.

- Je me disais, encore, que c'était toi.

Je lâche mon sac pour l'enlacer. Il me serre à son tour et je soupire de soulagement. Il a un œil au beurre noir, et un bandage autour de la main, mais il sent le gel douche et ses vêtements la lessive. Il n'a pas l'air d'avoir perdu trop de poids non-plus. Et il ne m'en faut pas plus pour être rassurée.

- Je suis désolé. Je n'ai plus de téléphone.

- Je m'en suis doutée. Mais j'ai quand même eu peur.

- Désolé.

Ses ailes s'enroulent doucement autour de moi, et je me sens à nouveau chez moi, avec ma famille, en dépit de l'aspect crasseux de l'appartement, ou du fait que ma brume m'a trempée jusqu'à l'os, je me sens bien.

- Viens manger. Je fais chauffer de l'eau.

Il desserre ses bras autour de moi, et me souris.

- Mais change-toi, avant.

Je hoche la tête, et il referme la porte. Je retire rapidement mon écharpe, mon manteau, mon pull, et mon jean, les pose sur le lavabo, et enfile un autre pantalon et maillot à manches longues.

Je prends le reste pour le mettre à sécher près du radiateur, sur la chaise que je prends de la salle de bain, et place dans un angle de la chambre, qui nous sert aussi de pièce à vivre.

Je m'assois sur le lit, et Tomio me tend un pull de son propre sac.

- Tu vas attraper froid.

Je souris.

- Tu prends toujours soin de moi.

Il sourit à son tour, et une pensée me traverse l'esprit :

- J'ai croisé ta sœur. Elle te cherche.

Il se fige un peu, et ses ailes immenses frissonnent.

- Hisa ? Qu'est-ce qu'elle voulait ?

- Elle s'inquiétait pour toi. Elle m'a dit que les héros te cherchaient aussi. Et que l'un d'eux essayait de te tomber dessus.

- Et tu l'as crue ? C'est un héro, elle aussi.

Je digère l'information.

- Une aussi belle fille, objectivement, avec un caractère pareil et un boulot comme ça, ça explique pourquoi le chevalier en armure n'existe pas. C'est une femme, sous le casque, pas un homme.

Il rit doucement.

- Tu es tombée amoureuse d'elle ?

J'hausse les épaules.

- Bien sûr que non. Je ne la connais pas assez pour ça. Ne vas pas croire que je suis une fille facile.

- Ce n'est pas la facilité, le problème avec Hisa. C'est la difficulté, répond-il songeur.

Une Plume d'OignonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant