Chapitre 17

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Inferno

Si je disais que je suis en colère, ce serait sûrement le plus gros euphémisme que je puisse donner. Parce que pour le moment, je tente de ne tuer personne avec mon alter, et au vu de l'orage qui gronde lourdement au dessus de ma tête, je suis au bord de l'explosion.

Je retrouve No en costume, adossée à un mur, le long du hangar dans lequel je leur ait donné rendez-vous, à elle et Keigo.

- Je ne pensais pas que tu m'appellerais.

- Je ne pensais pas que tu serais aussi rapide.

- J'aime sauver le monde, je dois avoir le syndrome du héro.

Je ricane.

- C'est ça, ouais.

Nous entrons dans le bâtiment, et le héro nous y attend déjà, lui aussi en costume. Je suis la seule à avoir encore mes vêtements de la veille, ceux dans lesquels j'ai donné cours à mes élèves. Ceux dans lesquels je leur ai dit « Soyez sages sur le trajet. », pendant que je vais casser la gueule à tout ce qui bougera dans l'entrepôt où Ai a été emmenée.

Keigo me donne l'adresse. Je sais qu'il ne peut rien faire d'autre, le pauvre, il a déjà tellement de travail. Mais rien que pour ce morceau salutaire de papier, je serais capable de lui donner l'un de mes poumons.

- Merci.

- Fais attention à toi.

Je hoche la tête. Plus par automatisme que par réelle réponse, car nous savons tous les deux que je ne l'écouterais pas. Ou plutôt que son conseil tombera dans l'oubli dès l'instant où je verrais le bâtiment.

Je fais quelque pas pour m'écarter.

- Tu vas ressortir tes oignons ?

Mes ailes. Oui. Keigo est le seul à le savoir, que derrière ce tatouage, des membres bien physiques se cachent, enfoncés et recroquevillés sous ma peau.

Quand j'étais petite, je ne pouvais pas penser à ce genre de mots, quand je pensais à moi. Parce que rien ne me disait que mon père ne lisait pas mes pensées. Alors le mot « ailes » a été remplacé par « oignons », les plumes « blanches » par « rouge », et mon « frère » en « bourgeon », entre autre.

J'avais demandé à mon ami d'apprendre ce code, et de l'utiliser jusqu'au bout. A cette époque, j'avais choisi entre soutenir mon frère, et protéger ma mère de son premier adultère. C'était la première fois que je laissais tomber Tomio.

Et c'est en serrant les poings que je me promets de ne jamais relaisser tomber qui que ce soit.

Le rire léger de Keigo me sort de mes pensées.

- Tu sais à quoi ça me fait penser ? demande-t-il.

Je secoue la tête.

- Dis toujours.

- A ce que tu m'as dit le jour où tu as prit ta retraite : Je ne suis pas un Héro.

Je ricane. C'est vrai. J'avais dit ça. Je le pense toujours, d'ailleurs.

- Je me souviens surtout de ce que tu as répondu, je dis en retirant mes bottes et ma chemise.

No écarquille les yeux, et me demande ce que je fais. Je l'ignore.

- On n'est pas faits pour regarder.

Il me sourit doucement, et de grandes ailes sortent petit à petit de mon dos.

Ça y est. Je redeviens moi. Je me donne les moyens de tenir mes promesses.

Nous ne sommes qu'en début d'après-midi, mais le ciel est assez noir pour que l'on pense que la journée se termine. Et rapidement, j'écarte les ailes, et donne un grand coup dedans. Je décolle du sol, et Keigo doit faire un pas en arrière pour retrouver son équilibre.

Ses ailes à lui, lui permettent une rapidité sans nom. Les miennes, deux fois plus grandes, et plus lourdes, sont bien plus puissantes, même si relativement lentes.

Quoi que. Il y a cinq ans, j'étais toujours capable de voler à plus de soixante kilomètres heures. Ça commence à faire, lorsqu'on se contente de survoler les rues, immeubles et routes.

Je retrouve la terre ferme et plisse un peu les jambes, avant de les tendre à nouveau.

- Tu as des ailes. Des ailes blanches comme celles de ton frère.

Elle ramasse une plume, pour la faire tourner entre ses doigts gantés.

Je souris, froissant le papier dans mon poing.

- Non, ce ne sont pas des ailes. Ce sont des oignons. Et ce que tu tiens entre tes doigts, c'est une plume d'oignon.

Je devine sous sourire derrière son masque, et elle attrape la main que je lui tends.

- Ne me lâche pas.

- Aucun risque.

J'ouvre à nouveau mes ailes, et nous partons à l'adresse donnée par Keigo. Et tandis que nous nous éloignons de lui, ce dernier nous fait un grand signe de la main.

J'ai l'étrange sentiment que j'ai à la fois baratiné la fille que je tiens pour qu'elle m'aide, que ce n'est pas tout à fait le cas, et que la journée de demain sera particulièrement longue. Mais à part ça, je ne suis pas devin, seulement professeur de mathématiques, et ancien héro à la retraite.

- Pourquoi tu ne m'as pas dit que tu étais Rise ? me demande-t-elle alors que nous approchons de l'endroit.

- Parce que tu n'avais pas à le savoir. Personne n'a à le savoir.

- Pourquoi ?

- A ton avis ?

- J'ai beau réfléchir, je ne vois pas.

- Parce que tu m'aurais dit qui tu étais sans le masque si je ne l'avais pas su ?

- Non. Mais je ne suis pas à le retraite. Et je n'ai pas de petit frère caché.

- Moi non plus.

Elle lève vers moi un regard surpris.

Ben quoi. C'est vrai. Je ne suis pas à la retraite, sinon, je ne serais pas professeur. Et mon petit frère n'est pas caché. On ne m'a seulement jamais demandé si j'en avais un.

- Anae est dans le coin, dit-elle soudain.

Je le sais. L'orage ne serait pas aussi imminent avec seulement mon alter.

Je me pose sur le toit d'un immeuble avec un sourire satisfait.

- On va la prendre au passage, alors. J'aimerais que les vents nous soient favorables.

Une Plume d'OignonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant