Chapitre 3

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Anae

Assise sur le lit de l'hôtel dans lequel je suis descendue, je lis le dernier chapitre du livre qui m'a accompagné ces derniers jours. Je ne pense pas m'en encombrer une fois qu'il sera terminé. Je n'ai pas assez de place dans mes bagages pour faire une collection des objets inutiles.

Je tourne la page. Mon téléphone vibre.

Je me jette presque dessus en espérant que ce soit Tomio, qui a répondu aux messages que je lui ai laissé à la suite du sien.

" J'ai besoin d'aide". C'était le message que j'avais avec moi trois jours plus tôt, à mon réveil. J'ai posé toutes les questions possibles, mais il ne m'a jamais répondu.

Je suis allée voir un gars avant-hier, qui a put me dire d'où le sms m'avait été envoyé. C'est là que je me rends. Dans un quartier glauque de Musutafu.

Je connais Tomio depuis six ans, depuis qu'il s'est sauvé de chez lui, en fait. Son père était un salopard sans nom, et il le maltraitait parce que son alter n'était pas le sien. Tomio avait compris en grandissant que ce qui se cachait là-dessous, c'était qu'il n'avait ni l'alter de sa mère, la foudre, ni celui de son père, la lecture des esprits. En réalité, il avait l'alter de l'amant de sa mère, l'ange. Une paire d'ailes blanches et une aura rassurante ou terrifiante à volonté.

Sa sœur aînée était un héro, du peu qu'il m'en avait parlé. Et elle l'a laissé tout seul avec leur mère en partant vivre dans son propre appartement.

Je soupire.

S'il m'a envoyé un message pareil, sachant que ça pourrait m'inquiéter, c'est qu'il a vraiment de gros problèmes. Et de ce que j'ai lu sur mon téléphone dans le train tout à l'heure, il est possible que les forces de l'ordre de toute la ville soient à ses trousses.

A une époque, nous nous sommes retrouvés tous les deux dans la rue. Je rentrais chez moi le soir dormir, mais c'était tout. J'arrivais quand tout le monde dormait, je repartait avant que qui que ce soit ne se lève. C'était ma vie. Passer de rue en rue en espérant retrouver Tomio dans un état à peu près potable, alors qu'il avait de fortes chances de se faire casser la figure au détour de n'importe quelle ruelle.

C'est à ce moment là que les choses avaient mal tourné. Un type était venu nous voir avec une "proposition d'embauche", comme il disait. Ce n'était pas grand chose, seulement de la livraison. Et nous étions le duo parfait. Lui volait, et moi, je manipulais le temps pour lui permettre de se faire porter par les vents les plus favorables. On se faisait pas mal d'argent. Assez pour se louer un studio tous les deux, même si on dormait par terre chacun dans notre coin. On ne pensait pas à mal. Seulement à avoir un chez nous.

Je me souviens m'être dit qu'on pourrait arrêter rapidement, à ce train là, et qu'on aurait même de quoi aller à l'université.

Ils ne voulaient pas que nous partions.

Et comme tous les problèmes, ou les choses qui ne lui plaisent pas, Tomio a balancé que je lui facilitais les choses, mais que ça ne le dérangeait pas de travail tout seul. Qu'il avait besoin de plus d'argent pour se payer un meilleur appartement. Il a toujours fait ça. Depuis que je le connais, du moins. Il prend sur lui pour tout le monde, et ce jour là, il m'a éjectée de cet univers abjecte qui se servait de nous pour faire voyager des colis illégalement.

Je suis partie sans un regard en arrière, faisant ma fâchée. J'ai pris le train. Plusieurs. J'ai changé de vie. Je me suis inscrite à l'université, me suis trouvée un vrai travail et un appartement, et un soir, deux semaines après qu'on se soit quittés, je lui ait simplement envoyé par message : "merci".

Il a sobrement répondu par un sourire, et m'a dit que je devais l'appeler au moindre problème. Je lui ai juré de faire pareil, je n'ai plus eu de ses nouvelles avant le jeudi dernier.

Je referme mon livre, je n'ai plus la tête à ça.

La seule chose que Tomio ne m'ait jamais donné comme bien physique, c'est ce trombone, qui marque toutes les pages de tous les livres que je lis. Et c'est tout. Le reste n'était que des mots. Et pourtant, ces mots m'ont maintenue en vie alors que je tremblais encore de peur devant l'homme qui payait notre loyer, et dormait dans le lit de ma mère.

J'en frissonne.

Je me lève pour poser le livre sur la table de chevet, et aller prendre une douche dans la salle de bain. Je pense qu'il me faudra au moins ça pour dormir ce soir.

Je retire mes affaires et les plie grossièrement sur le lavabo, avant d'entrer dans la cabine en plastique. Je fais couler l'eau brièvement, et lorsqu'elle me semble en bonne voie de chauffement, je passe ma tête en dessous.

La tiédeur me fait sursauter, et je laisse finalement l'eau couler sur tout mon corps. Mes muscles sont encore contractés des mauvaises positions que j'ai prises durant le trajet et pour lire tout à l'heure. Le jet les détend à peine.

Je ne reste pas longtemps sous la pomme de douche. Je l'éteins, me savonne, me shampouine, et me rince rapidement.

Les joints de la cabine sont noirs de moisissure, et à bien y réfléchir, le fond du toilette est aussi jaune que le papier peint commence à rebiquer en haut des murs. L'endroit n'est pas terrible, il faudra que je vérifie que je n'ai pas embarqué avec moi des punaises de lit, ou des poux.

En prenant le serviette rêche, je dois honnêtement concéder que j'ai tout de même vu pire. Et que l'appartement où Tomio et moi habitions était bien pire. Ce qu'il y a, c'est que j'ai goûté au confort réel, et à présent, j'ai un peu de mal à m'en défaire.

Je soupire en me séchant les cheveux, avec la serviette. J'aurais apprécié avoir un sèche-cheveux, mais même le sèche-serviette est en panne.

Je râle en me coinçant quelques mèches entre les parois de la douche.

- Sérieusement ?!

A ce prix là, je n'aurais même pas de petit déjeuné demain matin...

Je soupire encore.

Mon père avait raison, parfois, j'ai vraiment des goûts de luxe.

Une Plume d'OignonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant