Chapitre 2

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Inferno

Je sors de ma classe, mon livre de cours sous le bras.

C'est à ce moment là que je tombe sur le plus illuminé de mes collègues, et accessoirement le seul que j'apprécie à peu près, tout comme il semble bien s'entendre avec moi.

- Ma chère Hisa, comment tu vas aujourd'hui ?

Je ne réponds pas. S'il me le demande, c'est qu'il a quelque chose en tête.

- Professeur Inferno !

Je m'arrête, et mon collègue se fait petit. Littéralement.

Bien entendu, je ne m'appelle pas Inferno. C'est le surnom que mes élèves m'ont donné en début d'année, parce qu'ils me trouvaient affreuse. Je les comprends, j'ai tout fait pour qu'ils me détestent. C'était une condition nécessaire à leur développement.

Au début de l'année, ce n'était pas moi, leur professeur principal. En fait, je ne suis arrivée qu'un mois après la rentrée, en mars. Et cette classe de seconde en filière héroïque, la seule seconde de cette filière dans ce petit lycée, était de loin la pire et la moins à même de devenirs de véritables héros.

Ce n'était pas comme si qui que ce soit s'en préoccupait ou les encourageait. Maintenant que je leur ai fait relever la tête, j'espère qu'ils vont se donner à fond.

- Yasuo.

- Est-ce que vous pourriez me donner le nom d'un site que vous connaissez pour des exercices, s'il-vous-plaît ?

- Je ne connais pas de site, désolée. Je regarderais chez moi.

- D'accord. Merci.

Il est bien plus grand que moi, cette asperge. Mais ça ne l'empêche pas de me faire un discret sourire, avant de s'en aller.

- Dis-moi, le double alter, tu n'as pas encore fait ton apparition, ici, pas vrai ?

- Je suis en reconnaissance, rit-il en reprenant la bonne taille. Mais j'ai surtout une mission pour toi. De la part d'un ami, à ce qu'il m'a dit. Je ne savais pas que tu connaissais Hawks.

J'attrape le papier qu'il me tend, avant de jeter un œil dessus, méfiante. Je l'ouvrirais plus tard.

- Je n'ai absolument rien compris, si-ce-nest qu'il te conseille de l'appeler rapidement.

- Hum. Merci.

Je m'éloigne et tente de m'isoler à deux reprises, avant d'être dérangée à chaque fois. Entre les collègues qui s'envoient en l'air sur leur temps de pause, ou ceux qui s'installent dans les coins les plus improbables pour avoir la paix et fumer dans le bâtiment, je me demande si je dois rappeler à ces adultes qu'ils sont dans un putain de lycée.

Je claque la langue, contrariée, et un élève près de moi se fige.

Ah, Daiki, un garçon de ma classe, celui qui a un alter de bête.

- Dis-moi, tu ne connaîtrais pas un endroit où personne ne va, ici ? Genre, un coin où tu sais que même les types louches ne vont pas ?

Ma classe est réputée pour être la racaille du lycée, et même si tout le monde le pense, nous savons tous que c'est loin d'être le cas. Il y a des ados auxquels personne ne veut se frotter, ici, pas même les enseignants.

Il réfléchit, conscient de ce que je lui demande.

Puis il secoue la tête.

- Si vous grimpez sur le muret, et escaladez un peu le chêne, là-bas, dit-il en me montrant du menton, vous pourrez monter sur une partie du toit à laquelle on ne peut pas accéder par l'intérieur. Personne n'y va parce que tout le monde peut nous voir grimper.

J'hoche la tête. Je me fiche pas mal qu'on me voie faire, tant qu'on ne me rejoint pas.

Les manches retroussées jusqu'aux coudes, mon livre toujours sur le bras, et mon mot dans la main, je le remercie avant de m'approcher du muret en question. Je monte rapidement dessus, consciente que quelques élèves m'ont vue faire, et deux minutes plus tard, je suis sur le toit, à l'endroit indiqué.

Je m'assois par terre et observe longuement le mot, avant de le déplier pour le lire :

"J'ai du nouveau sur le bourgeon, le signalement de ses oignons à été donné, appelle vite."

Je pince les lèvres. Alors ça y est ? Pour de vrai ?

Je ferme brièvement les yeux.

Enfin...

Je suis à nouveau dérangée par quelqu'un qui grimpe sur le rebord du toit en hurlant :

- Mais qu'est-ce que vous foutez-là, bon sang !

Ce n'est qu'après que l'homme semble se rendre compte après qui il s'est mis à crier. Il n'a pas le temps de rouvrir la bouche que je claque de la langue, en colère, et qu'un éclair zèbre le ciel.

Je profite du doux courant électrique qui parcoure les cicatrices de foudres sur mes bras et tente de me calmer, avant de faire disjoncter toute l'école. L'homme s'en va en deux temps trois mouvements, et je suis à nouveau tranquille.

Je me remets sur mes jambes, les mains dans les poches, et un air soucieux dirigé vers le ciel. Un sourire sadique reprend rapidement forme sur mes lèvres. On dirait que ma classe va devoir survivre à ce lycée de malheur quelques temps sans moi. On va bien voir ce que ça donne.

- Tomio.

Ce nom reste accroché à mes lèvres, sans vouloir les lâcher une seule seconde. Il faudra que j'appelles Hawks en rentrant chez moi. Je ne peux pas laisser mes cours en plan comme ça. Surtout quand il est question de martyriser des élèves martyrisants.

- Je vais devoir attendre d'avoir mis ma vie entre parenthèses avant de m'occuper de la tienne, Tomio.

Je soupire et décide qu'il est temps de descendre de ce toit, avant qu'on me prenne pour une suicidaire.

Tout en retournant sur la terre ferme, je garde à l'esprit le visage du héro avec lequel je suis amie depuis une bonne dizaine d'années maintenant. Mon premier véritable ami.

Je retourne en classe au moment même où la cloche sonne, mais je ne suis pas vraiment à mes cours.

Keigo... tu l'as vraiment trouvé ? Tu as vraiment retrouvé mon frère ?

Une Plume d'OignonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant