Épisode 31

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Le lendemain avant l'aube, de bonne heure, Sohna Khoudia me réveillait par téléphone pour la prière d'Al Fajr. Elle disait que "La prière d'Al Fajr présente une importance particulière car les anges de la nuit et les anges du jour se réunissent à l'aube pour assister à la prière." Elle disait, d'une mine pieuse, avec sa gueule d'ange que l'Envoyé d'Allah (Alayhi salat wa salam) a dit : «Quiconque accomplit la prière qui précède le lever du soleil et la prière qui précède son coucher n'entrera pas en Enfer».

Après les quinze minutes qui suivirent la prière d'Al Fajr, nous causions, Sohna Khoudia et moi, durant environs cinq petites minutes quand elle me fit part de pensées inquiétantes.

Elle disait en hoquetant entre deux sanglots, qu'à la levée du jour, son père devrait se rendre au village avec Sir Amares, pour discuter des éventuels préparatifs du mariage ; que sa mère s'y était rendu depuis deux jours déjà et que si les parents arrivaient tous a trouvé un terrain d'entente, elle n'aurait plus son mot à dire ; que le mariage finirait bien par avoir lieu. Je la rassurais que j'avais en ma possession des éléments qui pourraient empêcher ce mariage d'aboutir et que nous devrions nous voir pour parler de tout ça à tête reposée.

Alors elle m'invita à venir chez elle, puisqu'il n'aurait que la bonne et elle, une fois ses parents au village.

Avant de raccrocher je la convaincs d'essuyer ses larmes :
Je ne te promets pas de contrecarrer tous les plans de Sir Amares, mais tant que je serai là tu n'auras jamais à affronter, ni lui, ni la vie, toute seule.

Le jour levé, elle m'attendit, à midi, dans une rue voisine. Quand je l'appelais des bras et des lèvres, elle se retournait joyeuse, vint me serrer dans ses bras et me guidait.

Main dans la main, nous cheminions serpentant les petites ruelles, nos doigts entrelacés. Elle semblait  transportée d'allégresse. Elle voguait dans des nuages d'un bonheur fou, qui se lisait de par la folie dans son regard ; et cet élan de joie primitif, cette gaieté au summum de l'extasie faisait vibrer mes nerfs d'une jouissance solitaire et furieuse.

Alors je la présentais la chose, la bombardant avec d'irréfutables arguments, l'encombrant la pensée avec d'innombrables raisonnements, la surmenant enfin avec d'irrécupérables preuves qui la tombaient en foule, qui pleuvaient sur sa personne comme une traînée de poudre.

Et elle devenait enragée, folle furieuse. Elle disait d'à propos :
Ce foutu Sir Amares me dégoûte. Comment peut-on être si immonde et si perfide ? Et y'avait de quoi s'interroger, vraiment.

Nous passions une heure de temps à cogiter à l'élaboration d'un plan pour contrecarrer Sir Amares. On eut dire que nos têtes étaient devenues le champ de lutte des idées. Nous gouttions une jouissance prodigieuse à la constatation de la puissance de notre complicité... Car comme dit cette sagesse ancestrale en tête : «L’union fait la force.»

Après avoir planifié nos tactiques ; puisque  j'avais promis à Sohna Khoudia de la régaler d'un plat Joola que j'avais appris en Casamance, nous nous mîmes à la cuisine.

Fière par instinct de sa beauté, elle allait et venait dans la cuisine d'un élan gracieux ; elle circulait d'un œil épanoui dans l'éclosion d'une incompréhensible ardeur ; elle courait le cœur chantonnant dans le bonheur d'une insaisissable caresse, elle gambadait dans la cuisine avec une délicatesse inconsciente et hardie.

Nous préparions tous deux ensembles, des daurades grillées avec de la marinade moutardée, épicée au citron. Pour l'accompagner, du riz. Et nous nous contentions de remplir une casserole d'eau et, de le faire cuire à petit bouillon.

Je la sentis heureuse. J'en étais heureux, rien qu'en y songeant. Je sentis qu'une passion nouvelle vivait en elle. J'en étais vivant, rien qu'en y songeant... Elle palpitait d'allégresse; son œil flambait d'un bonheur singulier, tellement singulier que je ne me l'expliquais pas. Et alors, l'éternel incendie dans son regard, toute cette luxure idyllique dégageait cette flamme d'amour d'où mon affolement était venu.

A chaque fois que je plongeais et me noyais en elle, dans la tendresse infinie de la volupté de son regard, il me venait comme par instinct un désir fou de lui répéter ces paroles que Shakespeare fit dire à Portia au prétendant qui lui est cher, dans le Marchand de Venise: «Oh, ces yeux qui m'ont troublée et partagée en deux, moitiés : l'une qui vous appartient, l'autre qui est à vous... qui est à moi, voulais-je dire. Mais si elle m'appartient, elle est également à vous, et ainsi vous m'avez tout entière.»

Car oui, il faut être honnête et le dire, tout en moi n'était qu'amour pour Sohna Khoudia.

Une heure plus tard, après le repas, elle partit prendre son bain. Ensuite ce fut à mon tour.

Lorsque je sortis de la douche, je l’entr’aperçu au seuil du balcon portant une robe rosâtre sous forme de chemisier. La robe était fendue d’un décolleté sur le dos et parvenait à peine en dessous de ses fesses.
Et jamais femme ne porta dans ses flancs de plus inapaisables désirs. Ses jambes lisses et toniques, ses longues cuisses aux corpulences étirées, ses hanches aux rondeurs aguichantes... tout cela donnait à son corps quelque chose de sublime, faisait d'elle une sorte d'être supérieure et magnifique, de créature destinée à l'amour désordonné, éveillant en moi des idées obscènes et sordides, me faisaient vibrer les jambes comme piqué en dedans.

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