chapitre 20 ◌ cicatrice

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Avait-elle eu froid toute sa vie sans même s'en rendre compte ? C'était bien l'impression qu'elle avait, en tout cas. Peut-être était-ce seulement la joie de découvrir un aspect agréable de l'existence après avoir vécu une vie de solitude et de crainte. Après des années passées à réfléchir, s'inquiéter, calculer. Ici, Ophelia ne trouverait rien de tout cela. Ici, elle n'avait pas à penser à autre chose qu'à cette douce sensation de plénitude qui ne la quittait pas, au corps chaud qui reposait contre le sien et au souffle paisible qui s'échouait contre ses cheveux de temps en temps.

Du moins, jusqu'à ce que la main qui caressait distraitement son dos depuis déjà quelques longues minutes ne se mette à redessiner la cicatrice qui se trouvait là d'un toucher léger. Ophelia se figea à ce contact avant de se détendre peu à peu, étonnée de se sentir apaisée si rapidement et sans avoir besoin de repousser ce geste.

— Comment tu t'es fait ça ?

Peu surprise par la question, la jeune femme ouvrit les yeux et prit le temps de réfléchir aux mots qu'elle voulait employer. Son passé n'était pas un tabou pour elle, mais personne dans son entourage n'avait jamais été ouvert à la conversation pour ce qui concernait cet événement. Ses sourcils se froncèrent dès que le souvenir refit surface, mais elle se savait capable de le raconter, ici, dans les bras d'Eren qui attendait sa réponse avec appréhension. Elle se sentait en sécurité. Alors, tout en commençant à parler, elle passa doucement un doigt contre le torse qui lui faisait face pour combattre sa nervosité.

— Ma grand-mère disait toujours que, peu importe quelle erreur je fais, quelle horreur il m'arrive, je dois en tirer une leçon à retenir pour l'avenir, commença-t-elle. La première fois qu'un garde a levé la main sur moi devant ma sœur, c'est le jour où j'ai compris que je pouvais définitivement pas me permettre d'exposer mes émotions au grand jour si je voulais avancer. J'ai failli perdre la confiance de l'armée à cause de ma colère envers le système, ce jour-là. Pas facile, la crise d'ado, quand tu essaies secrètement de trahir ton pays, ironisa Ophelia.

Elle prit un instant pour apprécier la manière dont il traçait la marque dans son dos avec douceur. C'était étonnant, venant de quelqu'un qui semblait parfois ne connaître que la brutalité et la violence, mais il redessinait la cicatrice comme s'il voulait seulement en laisser une autre à la place. Quelque chose de plus joli, à la hauteur du corps d'Ophelia qui ne méritait pas d'être ainsi abîmé. Elle méritait l'art qu'elle aimait tant, et si sa peau venait à se retrouver envahie, alors ce ne devrait qu'être de caresses légères comme ses coups de pinceau et de marques colorées comme les notes qu'elle jouait. Ces marques-là, celles qu'il laissait, Ophelia les aimait bien.

— Aida est vraiment mon opposé. C'est une fille douce, très calme, presque naïve. Je l'avais jamais vue se disputer avec qui que ce soit, jusqu'au jour où je l'ai surprise en train de hurler sur notre grand-mère. C'était à mon sujet, bien sûr. Elle avait treize ans et elle venait d'apprendre ce que j'avais en tête, expliqua-t-elle avant de marquer une courte pause pour déglutir. Elle était folle de rage qu'on me laisse autant me mettre en danger. Et elle est juste... partie. Elle est sortie et je l'ai vue partir en courant jusqu'à quitter le camp. Les gardes de l'entrée sont pas du genre à courir après les fuyards, c'est d'autres qui s'en chargent, généralement.

En entendant cette dernière information, Eren commença à relier les points entre eux et l'observa avec curiosité. Elle avait déjà mentionné un certain moment où elle était illégalement sortie du camp.

— Je l'ai suivie, évidemment. J'ai mis du temps à la retrouver. Faut dire qu'elle est allée loin, rit-elle piteusement. Je l'ai trouvée pas loin de la falaise. Elle était en larmes mais elle avait l'air plus calme. Quand je suis arrivée, elle m'a seulement dit de regarder à quel point le coucher de soleil était beau. Et il l'était, mais, tu sais, j'étais un peu trop occupée à me demander quelle sensation me procurerait un saut de cette envergure. J'ai beau dire ce que je veux, je crois que j'aime le danger. C'est peut-être ce qui me fait exister, au final, je sais pas.

𝐑𝐈𝐒𝐄 𝐀𝐍𝐃 𝐅𝐀𝐋𝐋.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant