Entre deux eaux

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*Avertissement passage sensible et suicide*

Des nuits de cauchemars suivent mon altercation avec Sofia et Andrew. J'essaie de garder un rythme de vie sain et normal : sport, promenades, cuisine...

Quelques anciens agents sont venus me rendre visite et je les ai reçus avec joie mais ma tolérance envers autrui est plus que jamais faible. Des crises d'angoisses me submergent de plus en plus depuis que je me suis rendue chez Sofia en l'absence d'Andrew. J'ai pu enfin discuter avec elle sans que la présence de son mari ne me brouille l'esprit de rancœur.

Pendant de longues heures, nous avons ressassé les souvenirs joyeux de notre enfance. Papa qui nous poussait sur la balançoire improvisée, Baloo ronronnant sur les genoux d'oncle Sergueï ou tout simplement les soirées en famille devant la cheminée.

Sofia tente quelques fois de se justifier ou de se faire pardonner. Je perçois ses efforts mais la douleur que j'ai pu endurer durant toutes ses années après sa trahison m'empêche de lui pardonner totalement.

Toutefois, ma plus grande blessure n'est pas visible et Sofia, plongée dans son bonheur, peine à le voir. Pendant que j'étais à l'armée, j'ai enfoui mes sentiments anéantis au plus profond de moi. J'ai servi la Russie en espérant que cela atténuerait mon chagrin. Mais maintenant je me trouve au milieu de son bonheur conjugal.

"Andrew est vraiment l'homme parfait. Il sait ce que je ressens et je comprends ce qu'il a vécu. C'est un homme doux et affectueux. Même sa demande en mariage l'était. Mais pour tout te dire, quand je suis partie je ne pensais pas qu'il t'abandonnerait pour me rejoindre."

"Moi non plus." pense-je en serrant mes poings.

"Maintenant que la guerre est terminée, nous aimerions fonder notre famille et lui offrir un monde meilleur. Et cela nous te le devons."

Je ne réponds pas et sens mon regard s'assombrir. Sofia tressaille quand je tourne la tête vers elle.

"Ton bonheur parfait insulte la douleur de trois amours perdues ainsi que la mémoire de milliers de morts !" Sofia ne cherche pas à ouvrir la bouche. "Que tu sois heureuse peut se comprendre, mais comment oses-tu l'afficher ainsi devant moi quand tu sais que je vis avec la mort sur la conscience ! Comment oses-tu parler de famille quand tu dois ce monde meilleur à la mort de Clémence, de Maggy, de Camille, d'Alek, de Tom, de Kirill, de Margaux et de tant d'autres !"

"Pardonne-moi Natalya. Je sais ce que tu as perdu et je suis peut-être la seule pouvant réellement le comprendre. Mais peut-être qu'il l'heure pour toi de te tourner vers l'avenir et de laisser le temps faire son œuvre."

Je pose mon verre et me lève. Je me dirige vers la porte d'un pas rapide en empêchant mon cœur de déborder.

"Natalya. Avancer ne veut pas dire oublier."

La voix de ma sœur m'arrive jusqu'aux oreilles avant que je ne franchisse la porte.

"Va te faire foutre !" dis-je en sortant.

Je retourne rapidement chez moi. Le vent fouette mon visage mais la sensation n'est pas aussi glaciale que celle qui règne dans mon cœur depuis la mort de Margaux.

Je me précipite dans ma chambre et m'écroule sur mon lit. Je laisse mon cœur se vider totalement depuis longtemps. Après de longues minutes de sanglots, Baloo ressent ma tristesse et vient se coucher près de moi. Ses petits miaulements et ronronnements apaisent mon corps et mon esprit. Un ronronnement qui me rappelle celui que ma poitrine faisait lorsque j'étais dans les bras de Margaux.

C'était il y a bien longtemps. Une éternité.

Le sommeil me prend après de longues heures à contempler le plafond blanc. Je plonge dans un rêve montrant mes pires peurs. Je suis seule. Seule parmi les corps sans vie de tous ceux qui m'ont soutenue et que j'ai aimé.

Je me réveille en larmes sans rien ressentir d'autre qu'une profonde envie d'en finir et de les rejoindre. Après tout, j'ai causé leur mort. Pourquoi suis-je encore en vie ? Pourquoi ai-je été destinée à donner la victoire au clan Roskov ? La guerre est faite de sacrifices, mais le mien a été plus grand que la victoire elle-même.

Deux semaines s'écoulent avant que je n'arrive à quitter ma chambre pour autre chose que d'aller me chercher de la nourriture dans la cuisine. Mon image s'est ternie sous la dépression et mon visage blanc est tombé.

Je reste cloîtrée dans l'obscurité de ma chambre autant que je peux. Mon corps est décharné et faible sous l'effet de ma torture mentale. Mes crises sont de plus en plus fortes et me clouent quelques fois au lit pendant des jours.

Mon cœur me fait mal. Je ne supporte plus le poids de la vie alors que d'autres sont morts.

Je me lève et marche doucement vers mon placard. Quand je l'ouvre, toutes mes armes de guerre se trouve devant moi. J'attrape une petite fiole derrière une planche de bois. Je garde ce flacon depuis que j'ai quitté la Russie il y a quinze ans.

Lorsque je décapsule le flacon, quelques gouttes du liquide bleu empoisonné coule sur ma main. Je sens la brûlure sur ma peau pendant que je fais tournoyer le poison dans le tube. Mon regard ne reflète rien d'autre que le besoin de mettre fin à ma souffrance dont je n'arrive pas à m'extirper depuis la fin de la guerre.

Je glisse le long des portes en bois et ferme les yeux.

"Clémence... Tom... Margaux..."

Je porte le poison à mes lèvres et le laisse descendre en brûlant chaque millimètre de ma gorge. Le poison coule dans mon corps et se répand dans une souffrance paisible. Je sens mon âme quitter peu à peu son enveloppe charnelle.

Ma tête percute le sol.

"Je viens vous rejoindre, mes amours. Attendez-moi." murmure-je alors que toutes les lumières s'éteignaient autour de moi.

Échec & MatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant