Une décision radicale

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Trois mois plus tard.

Une étrange routine s'est installée depuis le départ de papa en pleine nuit, il y a trois mois. Il était revenu deux jours après, mais avait refusé de nous dire quoi que ce soit.

Et c'est comme ça ces derniers temps. Il part et revient. Mais il part de plus en plus souvent, et surtout de plus en plus longtemps.

Qu'a-t-il découvert ? Que sait-il ? Est-ce si dangereux pour qu'il refuse de nous en parler ?

Sofia aussi a énormément changé. A chaque retour de papa, elle s'enferme avec lui pendant deux heures dans sa chambre, et je les entends discuter sans parvenir à comprendre ce qu'ils se disent.

Je m'y suis habituée...

Mais aujourd'hui papa m'a dit de faire mes valises et de ne prendre que le plus important.

Je prends mon chat. Cela fait rire papa mais il redevient sérieux quelques secondes après et me dit que Baloo ne fait pas parti du voyage.

"Combien de temps serons-nous partis ?"

"Ce sera seulement ta soeur et toi." soupire-t-il.

"Quoi ? Mais pourquoi ?"

"Ecoute Nasha. Je suis rappelé à mon devoir. Et je dois vous éloigner. J'ai une dette à payer envers certaines personnes loin d'ici, alors vous allez y aller toutes les deux et travailler pour eux, en guise de paiement."

"Euh où allons-nous ?"

"A Washington. Chez la famille Smith."

"Mais papa..."

"Les Smiths sont l'une des plus grandes fortunes des Etats-Unis. Je ne peux pas aller avec vous. La Russie a besoin de moi. Vous partez en début d'après-midi, par bateau. Je n'ai pas assez d'argent pour des billets d'avions. Dès que je pourrais, je viendrai vous rejoindre ou vous ferez revenir ici."

Je cours me réfugier dans la salle de bain en pleurant. Je ne ressors que pour déjeuner, avant d'aller au port. Je dis au revoir à Baloo, mon petit chat d'un an seulement...

Le reverrais-je un jour ?

Papa démarre la voiture qui nous emmène vers le port... Je ne réalise pas vraiment ce qu'il m'arrive, jusqu'à ce que j'aperçoive l'immense paquebot.

Papa part faire contrôler nos billets et nos bagages. Il revient vers nous ensuite.

"Je ne veux pas y aller papa..."

"Tu le dois. C'est ton destin."

Il s'agenouille devant moi et remonte la fermeture de mon manteau.

"Intègre-toi là-bas mais n'oublie jamais d'où tu viens. Tu es Russe. Rends-moi fière mon trésor. Mais si un jour tu oublies qui tu es, regarde-le."

Il pose un médaillon dans ma main. Je l'ouvre et vois son portrait ainsi que celui d'oncle Sergueï et de Sofia. Au centre, se trouve une photo de ma mère me portant à ma naissance.

"Je te connais. Avec ta joie de vivre et ton idéalisme, tu vas croire au rêve américain. Mais les Etats-Unis ne sont pas ce qu'ils montrent. Intègre-toi mais rappelle-toi que nous sommes ta famille, et que la Russie est ton sang."

Papa n'a jamais été aussi sérieux avec moi. Quelque chose de grand est en train de m'arriver, et il essaie de me faire passer un message, que je ne comprends pas.

"Tu comprendras quand le moment sera venu." dit-il comme s'il lisait dans mes pensées.

Il attire Sofia dans ses bras.

"Soyez en paix mes enfants. Et n'oubliez pas que seule la lumière peut apporter la paix, mais qu'il ne peut y avoir de lumière sans passer par l'ombre. Je vous aime."

Papa me donne un doux baiser sur le front.

"Je t'aime mon trésor."

Il lance un regard à ma sœur qui hoche la tête. Je fronce les sourcils.

"Le moment venu." murmure papa à mon oreille.

Papa décide de nous accompagner jusqu'à la sécurité. Il nous embrasse une dernière fois.

"Je t'aime papa."

"Je vous aime tellement toutes les deux."

"Nous t'aimons aussi papa." dit Sofia les larmes aux yeux, comme si elle savait ce qu'il nous attendait.

Nous nous éloignons de lui pour ensuite nous faufiler dans la foule vers la sécurité. Nous présentons nos billets et un membre du personnel de bord nous fait monter à bord. Il nous emmène notre cabine où nous posons nos affaires.

"C'est qui qui va avoir le mal de mer ?" glousse-je en regardant Sofia qui semble déjà très blanche.

"Ne me parle pas de ça."

"Allons dire au revoir à papa."

Je lui attrape le poignet et la tire vers l'avant du bateau pour saluer la foule.

"J'ai l'impression d'être sur Titanic avant son départ."

"Ne dis pas ça Nasha !"

"Oupsi ! Espérons qu'il n'y aura pas d'iceberg cette fois." Dis-je en essayant de détendre l'atmosphère.

Sofia me fusille du regard puis ses yeux se redirigent vers l'endroit où nous avons laissé papa. Les cheminées se mettent à cracher leur fumée au même instant et le paquebot part en direction de New-York. Sofia et moi agitons nos mains, comme si papa pouvait nous distinguer parmi les centaines de passagers faisant la même chose que nous.

"Nous le rendrons fier Sof."

"Et peu importe la manière." grince-t-elle des dents.

"Quoi ?"

"Dis au revoir à papa !"

Je fronce les sourcils mais finis par tourner la tête vers les personnes sur le quai. Dans le crépuscule de mon enfance, je regarde ma Russie natale s'éloigner.

Une fois la terre disparue de l'horizon, nous retournons à notre cabine pour nous reposer. Nous faisons la sieste, jusqu'à ce que le personnel de bord sonne leur du dîner. Cela fait très étrange, car c'est le premier repas sans papa... J'ai envie de pleurer et je vois que Sofia aussi.

Deux adolescentes russes, ne parlant pas un mot d'anglais se retrouvent au milieu de bourgeois américains, sur un paquebot en direction de New-York...

Nous terminons rapidement notre repas, puis décidons d'aller nous coucher. Plus tard dans la nuit, je me réveille et tends le bras en espérant y trouver ma sœur. Mais la place est froide et vide.

Je mets mes baskets et sors à sa recherche. Elle ne peut pas être très loin. Je la cherche pendant une dizaine de minutes, avant de la trouver à la proue face à la mer.

"Et après c'est moi qui joue à Titanic ?" dis-je en m'approchant d'elle.

Elle sursaute avant de se retourner.

"Je n'arrivais pas à dormir."

Nous sommes restées là, à contempler les étoiles se refléter sur l'eau pendant un moment.

"Sof ?"

"Hum ?"

"Je peux te poser une question ?"

"Oui."

"Je sais que tu as trouvé quelque chose dans le bureau d'oncle Sergueï et ce n'est pas le cadre avec le portrait de maman. Tu l'as caché dans ta manche et je sais que tu l'as donné à papa."

"Tu en sais des choses dis donc." dit-elle pour esquiver la réponse tout en continuant d'admirer l'eau étoilée.

"Je sais aussi que c'est ce que tu as trouvé dans ce bureau qui nous a conduit sur ce paquebot."

Elle tourne enfin la tête vers moi.

"Alors ? Qu'est-ce que c'était ?"

"Ton destin."

Échec & MatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant