Le début de la fin

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Je me réveille le lendemain à la lumière du soleil traversant le hublot de la cabine. Ma tête est posée sur la poitrine de Clémence et elle passe ses doigts dans mes cheveux. Quand j'ouvre les yeux, la première chose que je vois c'est le regard de Sofia posé sur nous.

Elle me fait un petit sourire qui pourrait paraître innocent mais je connais bien ma sœur.

"Tais-toi." dis-je en faisant glousser Clémence sous moi.

Je veux profiter de cet instant mais mon ventre en décide autrement et se fait entendre.

"Petit-déjeuner ?" répond Clémence en riant.

Je me lève puis enfile mon jean et un sweat. Clémence ne bouge pas de son lit et je sais qu'elle me regarde m'habiller, étant donné qu'elle a oublié le miroir en face d'elle... Sofia ne manque pas la scène et glousse encore une fois. Quand nous sommes toutes les trois prêtes, nous partons pour la salle de déjeuner. Nous passons devant notre ancienne cabine. La porte est entrouverte. Sofia passe rapidement la tête et se fige.

"Sofia ?"

Je n'attends pas la réponse et me glisse à l'intérieur. Notre ancienne cabine est totalement retournée. Les couvertures, et les étagères sont sur le sol. Clémence me rejoint et pose une main sur mon épaule.

"J'ai bien fait de vous faire changer de cabine..." soupire-t-elle à côté de moi.

Je hoche la tête sans répondre et soupire à mon tour. Sofia est de plus en plus inquiète. Elle y voit une sorte de prémonition.

Je secoue la tête et attrape Clémence et Sofia par les poignets pour enfin aller déjeuner.

Au cours de la traversée, je me suis beaucoup rapprochée de Clémence, elle est un peu la mère que je n'ai jamais eu. Mais quelque chose me gêne chez elle. J'ai l'impression qu'elle me cache une partie de sa vie. Non pas parce que je ne la connais que depuis quelques jours, mais plutôt parce que je sens qu'elle est beaucoup plus intéressante qu'elle ne le dit.

Comment une femme aussi belle, intelligente, intuitive avec toutes les qualités du monde, peut-elle n'être qu'une simple secrétaire dans un bureau de police ? C'est louche. Et je finirai par découvrir ce qu'elle me cache. Mais pour l'instant, je me contente de sa présence et de ce qu'elle me donne.

Quoi qu'il en soit, le reste de la traversée se passe à peu près sans encombre. Nous jouons aux échecs tous les jours. Sofia commence à maîtriser quelques coups et mes compétences ont explosé.

"Nous devrions bientôt arriver. Je peux sentir la terre ferme." dit Sofia.

"Je peux sentir que je me rapproche de l'homme de ma vie." plaisante-je en avançant mon pion.

Sofia roule des yeux et me claque l'arrière de la tête.

"Qu'est-ce que je t'ai dit Natalya ? Reste sur tes gardes !"

"Vive les Etats-Unis !"

Cette fois-ci la claque est beaucoup plus forte. Je l'ai méritée. Clémence me lance un regard à la fois inquiet et amusé. Je finis la partie et décide d'aller rassembler mes affaires avant de débarquer à New-York.

"Pourvu qu'elle ne bascule pas dans le mauvais camp." entends-je Sofia murmurer à Clémence.

"Quand elle le fera, il faudra la ramener. Si ce que tu m'as dit est vrai, alors c'est son destin..." répondit Clémence.

Cette conversation me bouleverse de la tête aux pieds. De quoi parlent-elles ? Que veulent-elles dire ? Depuis quand se tutoient-elles ? Elles semblent avoir parler d'un destin dont je ne comprends pas le sens. Mon destin. Toutefois, mon intuition était la bonne : Clémence me cache quelque chose.

Je continue de penser à ce que je viens d'entendre tout en rassemblant mes affaires. L'arrivée est imminente.

Après une demi-heure sur le pont, le paquebot entre enfin dans le port de New-York, en passant devant la Statue de la Liberté. Clémence honore la statue française avec un salut militaire. Etrange mais pas tant que ça pour quelqu'un qui a un père militaire et politicien.

Sofia et moi attendons notre tour de débarquer puis une fois à terre, nous nous dirigeons vers le point de récupération de nos gros bagages.

Dès le pied à terre, je peux sentir une atmosphère très lourde et des regards extrêmement méprisants. Même si j'ai appris quelques rudiments d'anglais avec Clémence, mon fort accent russe attire des moqueries et une grosse russophobie.

"Des petits cons." m'amuse-je en prenant mes bagages.

Sofia ne répond pas mais je peux lire ses pensées. Elle pense qu'ils sont tous comme eux, mais je reste convaincue que non.

Comment un peuple aussi puissant en tout point, peut être aussi noir que Sofia et Clémence le prétendent. Il y a du bon en eux, comme il y a du bon dans la Russie malgré le regard mal avisé du monde entier.

Je me dirige vers le bus qui est censé nous conduire à Washington. Au moment de monter, je suis projetée en arrière par une main puissante. Deux hommes passent devant Sofia et moi pour prendre nos places.

"Excusez-moi, mais nous avons des billets de réservation pour ce bus !" dit Sofia en luttant avec l'anglais tout en montrant nos billets.

"Les salopes de russes n'ont pas la priorité sur des Américains où que ce soit. Et encore moins dans notre propre pays." rétorque l'un d'eux.

Ma sœur se fige sur place. Plusieurs personnes ont assisté à la scène mais n'ont pas bougé.

"Bah ne t'en fait pas. Nous prendrons un autre bus. Il y en a un qui part ce soir pour Washington, cela nous laisse le temps de nous dégourdir les jambes." dis-je en sautillant sur place.

Sofia me lance un regard noir.

"Tu l'apprendras à tes dépends."

Je lève un sourcil mais avant que je ne puisse répondre, Clémence s'approche et prend ma sœur dans ses bras.

"Elle ira bien."

Sofia hoche la tête et essuie ses larmes.

"Je reste avec vous. Je ferai le voyage avec vous, juste au cas où." dit Clémence.

"Juste au cas où ?" plaisante Sofia en regardant Clémence avec les deux sourcils levés.

Clémence rougit violemment en regardant le sol.

"Allons acheter de nouveaux billets au guichet avant qu'il ne soit trop tard." dis-je.

"Allez-y toutes les deux, je vais garder nos affaires." lance Sofia en ignorant le regard un peu rancunier de Clémence.

Cela ne m'enchante pas vraiment de la laisser toute seule mais je ne devrais pas être partie très longtemps. Clémence et moi marchons tranquillement vers le bureau du port, et j'entends les insultes qui pleuvent. Je dois avoir marqué "Russe" sur le front...

Clémence doit réprimander et pratiquement se battre avec une dizaine de personnes avant d'arriver au guichet.

"Les gens sont grincheux ce matin."

"Ils sont Américains, et vous êtes Russe, Natalya."

Je lève un sourcil en soupirant. Quand vont-elles enfin comprendre que les Américains ne sont pas tous aussi mauvais quand ils ont des Russes en face d'eux ?

Nous prenons nos billets, enfin Clémence le fait. Parce qu'ils essaient de m'arnaquer. Je paie ma part et celle de ma sœur puis retournons auprès d'elle.

Nous attendons le reste de l'après-midi que notre bus arrive. Clémence s'énerve de plus en plus au fur et à mesure des insultes que nous recevons. Sofia soupire en regardant autour d'elle.

"C'est le début de l'enfer..." dit ma sœur en regardant Clémence, qui hoche la tête.

Échec & MatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant