Chapitre 1 - 🎶 MTV Music Video Awards, New York

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RAINA

Une salve d’applaudissements m’accompagne jusqu’à ce que je pénètre dans l’espace sombre où une multitude de fils s’emmêlent dans des dizaines de nœuds, à la sortie de la scène. Je les évite soigneusement, pour ne pas me tordre la cheville, et passe les portes pour m’enfoncer dans le couloir qui mène aux loges.
Le silence m’enveloppe aussitôt. Une paix bienvenue s’impose alors en moi avec bonheur. Je soupire de ravissement et quitte le couloir en fonçant dans l’espace des loges où toute une équipe m’entoure.
Je saisis la serviette que me tend mon meilleur ami et cousin, Oro, et m’éponge le cou.

— Raina, tu viens de faire une performance plus que parfaite, me félicite-t-il en m’adressant son habituel sourire éclatant. C’était impressionnant ! Les hauts standings ne vont jamais cesser de te manger dans la main.

« Les hauts standings », pensé-je en retenant un gloussement. Oro nomme toutes les stars comme cela. Il maintient qu’il y a plusieurs stades ou niveaux, dans le concept d’une vie artistique. Moi, je les vois tous sur le même échelon. Ils sont des célébrités, point. Que ce soit de la musique, du petit écran ou autre, je les discerne de la même manière sans jamais en placer certains dans des catégories plus élevées que d’autres. Ils ont leur boulot, j’ai le mien. Et ils restent de simples humains.
Je déteste depuis toujours cataloguer les gens selon leur nombre de vues, leur rang social et encore moins leur statut. J’exècre totalement cet état d’esprit. Ils sont des clients potentiels s’intéressant à mon art et c’est tout ce qui me pousse à m’impliquer auprès d’eux sans faire de différences.
Le premier venu est le premier servi. En d’autres termes : je suis la vendeuse et eux mes clients. J’écoute attentivement leurs souhaits, bien que trop souvent excentriques et quasi impossibles à effectuer, et tente par tous les moyens de faire naître leurs envies dans des chorégraphies élaborées à la perfection afin qu’elles deviennent réelles.
Je donne vie à leurs rêves artistiques, et eux font de la mienne la continuité d’un talent auquel je tiens depuis toujours et qui peut, désormais, me faire vivre convenablement.

— Tu dis toujours ça de toutes les performances que je réalise, fais-je en épongeant mon cou tandis qu’il suit des yeux une de mes danseuses.

Oro est mon meilleur ami et le fils de ma défunte tante maternelle. Ce grand jeune homme qui vient de fêter ses vingt-six ans ne me quitte pas d’une semelle. D’ailleurs, c’est ce que nous faisons tous les deux depuis notre enfance. Nous sommes nés et avons grandi à Tahiti. Deux Tahitiens à la conquête du monde.
Mais ce beau brun représente plus que ça et c’est entièrement réciproque. Nous ne pouvons plus nous séparer, liés par un passé familial désastreux qui nous a unis à jamais.
Un troisième comparse ne nous lâche pas d’un pouce également : Raimana. Un ami d’enfance avec lequel nous traînons depuis les premiers bancs des cours de récréation. Nous sommes trois acolytes, et quel que soit l’endroit où nous nous rendons, nous sommes toujours réunis.

Oro pousse la porte de la loge sur laquelle mon nom est inscrit et je me dirige aussitôt sous la douche. Comme par magie, une main apparaît au-dessus de la paroi en verre floutée. J’ôte mon vêtement de danse créé uniquement pour cette soirée et le pose sur le membre bronzé en attente.
Une serviette est jetée sur la fine paroi de verre et après avoir lavé mon corps de la sueur que vient de me procurer ma représentation sur la scène des MTV Video Music Awards, je la récupère en m’entourant dans le tissu éponge à l’aspect doux et moelleux que je drape autour de mon corps exténué.
Je ne compte plus le nombre d’heures de manque de sommeil que je détiens au compteur ces derniers jours. Et lorsque je trouve suffisamment de temps pour me reposer et avoir enfin une nuit réparatrice, c’est à mon sommeil de me jouer des tours, en me fuyant.
Ce dernier m’échappe depuis quelque temps et j’ai une petite idée de la source de ce problème qui commence à m’affaiblir sérieusement. Ce n’est pas un de ces maux que l’on peut soigner, mais deux yeux bleu turquoise me donnant l’impression de me suivre partout.
D’ailleurs, ils m’ont encore une fois sondée tout du long de ma représentation. Et essayer de les ignorer était tout bonnement impossible. J’ai pourtant bien tenté et l’échec cuisant qui m’envahit encore m’est tout simplement déroutant et incompréhensible. Et je déteste ça plus que tout. Je fais face à un réel problème dont la solution m’est entièrement étrangère et cela me trouble.
Lors de ces événements, c’est simple, je dois apparaître au moins une fois avec ma troupe qui danse entre deux récompenses. Comme toujours, le Radio City Music Hall de New York est bruyant et plein à craquer. Il y a toujours un monde fou et ça fourmille dans tous les sens.
La première fois que j’ai dû faire ma représentation, j’étais stressée au possible et complètement perdue au milieu de toute cette agitation. Entre le personnel, les différentes équipes présentes pour chaque star, danseur, présentateur… Je ne savais plus où j’étais. D’ailleurs, je me souviens très bien d’avoir pensé être parvenue dans un autre monde. Un monde de fou.
Finalement, j’avais été le clou du spectacle d’un événement aussi important que le sont les Grammys au Staples Center de Los Angeles. J’avais récolté une standing ovation à la fin de ma représentation, constituant le stupéfiant spectacle de danse d’une artiste encore inconnue du public américain.
Je dois cette aubaine à Dennis, un client qui a séjourné à Tahiti. Mes amis et moi l’avions traité comme quiconque et l’avions emmené avec nous sur les plus beaux spots de notre île, inconnus des touristes. Ce dernier faisait preuve d’une réelle envie de connaissances et d’un respect admirable pour l’authenticité des coutumes de notre île, son peuple et sa nature.
Il avait su toucher quelque chose dans notre âme qui nous avait poussés à l’accepter en lui offrant ce qui nous était le plus cher : les trésors cachés de notre île et l’ouverture de nos maisons dans lesquelles il est toujours le bienvenu. Il s’était impliqué dans chaque tâche sans jamais rechigner. Il prenait même plaisir aux corvées exténuantes et, chaque soir, nous aimions plaisanter de son air rêveur qu’il arborait sans cesse même lorsqu’il ramassait le crottin des porcs.
Ça avait été une surprise d’apprendre qu’il faisait partie de l’équipe qui produit et dirige la mise en place d’événements tels que les Grammy Awards, MTV Awards et autres. Son remerciement pour avoir passé un inoubliable moment durant un passage difficile de sa vie avait été une invitation à me représenter sur scène, entourée de mes danseurs. Un cadeau inestimable égal à celui que je lui avais offert inconsciemment et sans arrière-pensée sur mon île.
Depuis, Oro, Raimana et moi traversons constamment les États-Unis, entre Los Angeles ou New-York, les lieux où nous nous sommes établis. Après avoir décroché plusieurs signatures de contrats pour diriger et créer des clips représentant les demandes les plus exigeantes des stars de la musique, je suis devenue LA chorégraphe en vogue. Celle que tout le monde s’arrache depuis trois ans et qui désire une chorégraphie hors du commun et à la fois actuelle.
Dennis m’est infiniment reconnaissant d’avoir su lui rendre son bonheur alors que je continue à lui maintenir que ce n’est rien. Et je le suis réciproquement tandis qu’il balaye toujours de la main mes remerciements pour cette chance qu’il m’a offerte sur un plateau en changeant mon quotidien du tout au tout.

Raimana entre à son tour dans ma loge, l’agitation qui règne dans le couloir extérieur résonne jusqu’à mes oreilles avant d’être remis en sourdine lorsqu’il referme la porte derrière lui. Aussitôt, le calme reprend sa place dans la pièce parsemée de miroirs, d’assises et de bouquets de fleurs.

— C’était spectaculaire, Rai, déclare-t-il en fonçant sur moi alors que je sors de la douche.

Tenant ma serviette, malgré l’avoir coincée au-dessus de ma poitrine, un peu trop opulente à mon goût, je le laisse m’enlacer dans un câlin bienvenu. Immédiatement, l’odeur familière suffit à me détendre.

— Nous sommes attendus à nos places, continue-t-il de m’énoncer en s’écartant de moi.
— Dans quelle rangée sommes-nous ? lui demandé-je en récupérant la housse qui cache la merveille qui va bientôt épouser mon corps.
— Partie Ouest, quatre rangées après la scène.

Je vois tout à fait l’emplacement qui nous attend tous les trois. Dans les nombreuses rangées se trouvent tous les artistes musicaux confondus. Parmi eux, un mélange d’hôtes de marque, tels que des acteurs ou autres stars connues, se mêle parfaitement aux nominés. On y trouve aussi des personnalités de différents domaines tels que la télé-réalité, les hommes d’affaires et bien plus encore.
Étant ni chanteuse ni faisant partie d’un quelconque poste touchant aux enregistrements et compositions, je fais partie de ces hôtes sans pour autant me considérer comme prestigieuse, malgré l’étiquette que l’on me colle automatiquement dès lors qu’on prononce mon nom. Mon statut pour ce soir me convient tout particulièrement. Car je n’ai pas été mise au courant plus tôt d’une quelconque nomination me concernant.
Raimana m’apprend que je ne suis pas entourée d’artistes chanteurs, ce qui me ravit hautement. Dans le cas contraire, cela m’aurait valu d’être ensevelie sous les nombreux désirs sans fin des artistes ne cessant de me quémander de donner vie à leur esprit visionnaire en vue de leur prochain clip.
La rangée et la place que l’on m’a attribuées sont donc plus que satisfaisantes même si cela veut dire que je me trouverai plus proche de cet homme énigmatique dont je ne souhaite qu’une chose : le fuir comme la peste. Je n’arrive pas à me souvenir de la place exacte qu’il occupe, mais j’espère qu’elle sera assez éloignée de la mienne pour garder mon esprit clair. Je n’aime pas du tout l’attention qu’il porte sur moi. Il me rend nerveuse bien qu’il soit pourvu du plus beau regard que je n’ai jamais vu. Et c’est peut-être pour cela que je souhaite si ardemment rester à l’écart de lui.
Cameron Williams est un homme d’affaires connu de tous. Dire qu’il est prisé est un euphémisme. Partout où je peux le croiser, une horde de filles semble constamment le suivre et prête à se battre pour remporter le morceau de viande qu’il est à leurs yeux faussement énamourés. Ou peut-être est-ce réellement le cas pour certaines d’entre elles à la différence des nombreuses croqueuses de diamants qui gravitent autour de lui.
Autant dire qu’il est de cette catégorie d’hommes que je prends soin de fuir tout particulièrement. Monsieur Williams arbore une pancarte imaginaire que je suis la seule à voir et cette dernière clignote sans cesse au-dessus de sa tête. Elle équivaut à un panneau de danger indiquant: « Stop ! À éviter de toute urgence ! »
Pourtant, ce n’est pas mon genre de juger les gens, mais j’ai une opinion toute faite de quelqu’un comme lui malgré tout. Il mène sa vie comme il l’entend et c’est tout à son honneur, mais sa façon de vivre n’est pas la même que la mienne, point. Nous n’avons pas la même façon de voir les choses, c’est un fait indéniable.
Nous sommes différents. Aux antipodes l’un de l’autre. C’est pourquoi je déteste sentir ce que sa présence fait naître en moi. C’est une sorte de chamboulement malvenu que je ne comprends pas et méprise grandement.

Je sors de la loge et un brouhaha inconfortable me saisit tout de suite, me donnant encore plus envie de me jeter dans le premier avion en partance pour mon île. Je lâche un profond soupir de lassitude et mes deux comparses me lancent aussitôt un regard amusé et à la fois compréhensif.
Eux seuls savent combien je déteste tout ce qui a attrait avec le monde du show-biz, malgré la renommée que cela me donne et qui permet aux danseurs de mon groupe de tant briller. Cela leur profite et je suis heureuse de parfaire leur prouesse qui fait leur bonheur et celui de leurs familles restées chez nous et dorénavant plus dans le besoin.
C’est quelque chose que l’on endure tout en pratiquant le métier de nos rêves. Seul le milieu dans lequel cela nous mène inévitablement dès que nous sommes remarqués est parfois détestable et c’est dans celui-ci que nous évoluons dorénavant. Ça l’est pour une fille simple comme moi. Beaucoup de mes danseuses ne comprennent pas mon appréhension à fouler ces lieux bling-bling.
Au contraire de moi, et comme beaucoup de filles et garçons, elles ne visent que ces événements en se languissant d’y retourner. Elles se sentent lumineuses comme des étoiles précieuses et scintillantes, tandis que je ne pense qu’à l’extinction des projecteurs une fois la représentation finie.
Bien sûr, je me galvanise des applaudissements qui suivent toujours mes performances. Attention, je ne crache pas dans la soupe. Loin de moi l’idée d’être ingrate. Je suis profondément reconnaissante d’avoir cette vie et en mettre plein la vue à chaque public. Je le suis pour étinceler parmi mes danseurs sur chaque scène du monde entier. Seulement, les lumières, les paillettes… Tout ça, ce n’est pas ce que j’aime tant, bien que ce soit ce qu’il faut pour réussir et continuer cet apogée fantastique dans la réussite.
Moi, ce que j’aime c’est la danse et la musique, évidemment, mais aussi et surtout le silence, la simplicité, la nature à l’état sauvage. En fait, mon idéal serait de poursuivre ma renommée en continuant de danser à n’en plus finir, mais avec comme toile de fond mon île et ses paysages spectaculaires que je chéris tant depuis toujours et non le monde du show-biz.
Le seul bruit que j’accepte avec joie et adore entendre est celui de Teahupoo. C’est la vague, qu’autrefois, les grands chefs venaient affronter et rivaliser de courage. Il s’agit de la vague la plus dangereuse au monde. Un véritable tube de légende sur lequel Oro, Raimana et moi prenons infiniment plaisir à surfer à chacun de nos retours.
Nous rejoignons la presqu’île de Tahiti dès que nous le pouvons et prenons un petit-déjeuner dans notre snack favori, chez Amata, qui borde le lagon avant de prendre la direction de la Marina. Enfin sur place, nous nous mêlons aux nombreux surfeurs venus de plusieurs régions du monde afin de se confronter aux vagues mythiques de Teahupoo. Le spot y est dangereux parce que fortement exposé à la houle qui s’échoue sans fin en des vagues profondes et puissantes sur le récif corallien.

Je félicite les membres de ma Hope Family, présents dans un immense vestiaire dédié aux danseurs, puis traverse la salle bondée et bruyante dans ma magnifique robe extrêmement découverte. Elle dissimule seulement ma poitrine, mon pubis et mes fesses dans un mélange élégant de dentelle noire et argentée et s’échoue en une longue traîne à l’arrière en laissant mes longues jambes dénudées à l’avant.
Juchée sur des talons de dix centimètres, je ne vise que mon siège seulement à quelques mètres de moi. Cependant, je suis constamment arrêtée à chaque rangée devant lesquelles je passe, interpellée par tel ou tel artiste. De compliments en félicitations en demandes de nouveaux projets, j’ai beaucoup de mal à rejoindre ma place attitrée pour le restant de la soirée.
Oro m’indique son emplacement d’un signe de tête encourageant tandis que, attristée, je refuse poliment un nouveau contrat. Je n’aime pas éconduire un artiste, mais je suis surbookée et n’ai tout simplement pas assez de place pour le caser entre deux répétitions. C’est tout bonnement inimaginable.

— Peut-être plus tard, dis-je avec peu d’espoir de parvenir à le glisser dans mon agenda de malade, même à l’avenir.

Il s’agit d’un jeune chanteur à la mode, moqué des autres artistes, car oui, la méchanceté atteint des records dans ce milieu. Et pas que dans celui-ci. Il se la joue gros dur en affichant un style de gangster de rue alors qu’il a été un privilégié depuis sa naissance. Cependant, il continue à tenter de se composer cette image qu’ont les rappeurs et, auprès d’eux, il ne représente qu’un morveux totalement naze à leurs yeux.
Le truc c’est que le morveux fait partie du top dix et passe devant les trois quarts d’entre eux, et ça, ils n’arrivent pas à l’avaler. C’est la pilule qui ne passe pas et ils n’hésitent pas à le lyncher oralement à travers leurs tubes et chaque fois qu’ils le croisent, comme ce soir. Je déteste ça et me sens encore plus mal de devoir lui répondre non.
Connaissant pertinemment mon certain pouvoir dans ce milieu chaotique, je reviens sur mes pas et lui donne un hug auquel, bien que surpris dans un premier temps et n’en croyant pas ses yeux, il se laisse aller. En se reculant enfin, il me regarde avec admiration de ses grands yeux noisette toujours ébahis.

— Je suis peut-être prise jusqu’au cou professionnellement, mais il se pourrait bien que je m’incruste sur scène lorsque tu devras y faire ton show et que je serai dans la même ville que toi, lui soufflé-je dans ce qui sonne comme une promesse.

Après un clin d’œil complice lancé à son attention, je m’écarte de lui afin de rejoindre les miens qui m’observent un sourire en coin.

— Merci Raina ! s’exclame le jeune chanteur aux nombreux colliers d’or qui menacent de rompre son cou svelte, tandis qu’il semble se rabrouer face à ce qui vient de se produire, soit notre échange et plus particulièrement mon approche, car je suis connue pour être réservée.

Je ne suis pas non plus super tactile avec les personnes étrangères. Mais mon geste a eu le don de clouer le bec à de nombreuses personnes avec lesquelles je travaille et qui viennent de passer pour idiots pour s’en prendre gratuitement à un petit jeune qui, malgré son âge, a un talent incontestable.
J’ai plusieurs de ses hits dans ma playlist et il m’arrive souvent de les écouter. La musique est au même titre que la danse chez moi, c’est vital. Et, comme toujours, ces personnes sont toutes au même rang pour moi. Stars ou pas stars, tous à la même enseigne.

Oro attend patiemment que j’approche en se tenant toujours en retrait afin que je regagne enfin ma place. Tandis que je m’assois, mon regard tombe instantanément dans celui si profond de Monsieur Williams. Effectivement, l’assise que l’on m’a attribuée est juste derrière celle de Cameron Williams et ses plus proches amis, Joshua, célèbre tatoueur, et Savannah, galeriste en vogue.
J’ai un instant d’hésitation en m’installant, mes yeux toujours ancrés dans les siens, tandis qu’il reste tourné face à moi tout comme ses amis. Et mon incertitude, quant à ce que sa présence vient de provoquer en moi, semble lui faire plaisir. Cela suffit à me remettre les idées en place. S’il croit me prendre pour toutes ces filles assoiffées de sa personne, il va être très vite déçu.
Il est beau, vraiment. Incroyablement beau pour tout dire. Au point que ça en est tout simplement déroutant. Il est même l’homme que je trouve le plus beau au monde et pourtant j’ai pas mal voyagé depuis que je suis devenue la chorégraphe prisée des stars, mais il ne représente que cela à mes yeux. Je sais, de sources sûres, que la beauté peut se montrer dangereuse en cachant les plus belles pourritures.
J’ignore mon insupportable palpitation, soudainement accélérée, dans ma cage thoracique face à cet être sublime, et me compose l’expression neutre que j’affectionne depuis toujours face au monde entier, car je ne tolère pas qu’on puisse lire en moi. Cela ouvre beaucoup trop de portes sur un passé que je tente de laisser définitivement aux oubliettes.
Mon visage recomposé, je tourne la tête et adresse un signe poli aux personnes de notre rangée. Ces dernières m’observent déjà avec émerveillement, ce qui me met toujours mal à l’aise. Je ne suis pas la chanteuse numéro un mondial et pourtant c’est tout comme si j’en crois ce que je vois luire dans leurs yeux.
D’ailleurs, la chanteuse numéro un en question ne tarde pas à s’approcher de moi, tandis que je grogne mon mécontentement sans pour autant le cacher et qui la fait rire.

— Je sais, je sais, tu es overbookée, mais je veux être sûre que mon projet avance et…

Oro lui en tape cinq lorsqu’elle passe devant lui en faisant attention à ne pas lui enfoncer ses talons dans les pieds au passage, tandis qu’il l’aide ensuite à parvenir jusqu’à moi.

— C, je t’ai eue encore ce matin, puis ce midi au téléphone…
— Où tu as sciemment coupé la communication, m’interrompt-elle en se marrant loin de s’offusquer de ma conduite peu recommandable en déposant une bise sur la joue de Raimana.

Ce dernier lui sourit malicieusement. Il connaît autant que moi la célèbre chanteuse et son obstination tout aussi réputée que sa personne adulée.

— Pour ma défense, si je dois avancer je suis bien obligée de couper court.
— Pas faux, mais là je te tiens. Si tu crois que je ne t’ai pas vue m’esquiver pas plus tard qu’il y a cinq minutes.
— C’était une bien piètre tentative de feinte, d’ailleurs, renchérit son mari en apparaissant derrière elle. 
— Waouh, à deux contre une, vous n’êtes pas fair-play, les accusé-je en sourcillant.
— Parce que tu l’es ? me retournent-ils à l’unisson, amusés.
— À l’évidence, le nombre fait la force, me navré-je faussement en soupirant.
— Regarde-la nous faire son regard de chien battu. Rai, on te connaît assez pour que ça ne prenne plus avec nous.

Je me penche sur ma droite et dicte à Raimana :

— Note sur mon agenda de me trouver assez de temps pour changer de tactique.
— C’est comme si c’était fait, annonce-t-il en entrant dans mon jeu, tandis que le couple phare à la tête de l’industrie musicale lève les yeux au ciel.
— Bon, qu’est-ce que tu souhaites de plus ? interrogé-je Cya.
— Une chorégraphie du tonnerre.
— Mais tu l’as déjà ! Ça fait deux semaines que je bosse dessus comme une malade au point d’en cauchemarder la nuit. Ne me dis pas que tu as encore une fois changé d’avis, déclaré-je, dans un avertissement.

Elle m’offre sa moue désolée en haussant les épaules, sa lèvre coincée entre des dents blanches superbement alignées.

— Juste deux ou trois choses, commence-t-elle.
— Nooon, râlé-je en fermant les yeux de dépit.
— Mais pas grand-chose, s’empresse-t-elle d’ajouter pour tenter de mieux faire passer son annonce.
— C, ça fait cinq fois en quinze jours. La choré est parfaite et…
— Mais dans le clip de Princess Deedee, ils ont fait un…

Désabusée, j’écarte les bras.

— On se fout de Princess Deedee, t’es Queen C, bon sang ! argué-je parce qu’elle sait que je suis autant maso qu’elle, question performance et boulot, et qu’uniquement pour ça, je vais plonger à nouveau tête baissée en plein dans ses caprices d’artiste qui se morfond pour un rien.
— S’il te plaîîît…

Quelle rusée ! Elle sait parfaitement que c’est déjà gagné.

— J’ai vraiment plus de temps alors après la soirée passe à la maison et on voit ça. Mais pas plus d’une heure ! À prendre ou à laisser !
— Yes ! Je prends ! s’exclame-t-elle en en tapant cinq à son mari qui se fout de moi.
— On ne se moque pas, J, le préviens-je avec un regard grave.
— Mais je ne dis rien, déclare-t-il en se retenant de rire.
— Rrr, hors de ma vue, leur ordonné-je avant de refaire face à mes amis.

Leur regard équivoque me tire un soupir.

─ Ils finiront par avoir ma peau, fais-je.
— OMG, c’était vraiment Queen C et J qui se trouvaient juste derrière nous ?! s’extasie Savannah tandis que Joshua acquiesce de plusieurs hochements de tête, lui aussi ébahi devant le couple phare qui vient de m’avoir en beauté.

Monsieur Williams, quant à lui, est d’un calme exemplaire et n’a que faire de telle ou telle célébrité. Après tout, il est à la tête d’une chaîne des plus célèbres, luxueux et prestigieux hôtels implantés à travers le monde et chacun nommé : le Williams’ Palace, et dirige plusieurs restaurants et boîtes de nuits qui accueillent la Haute. Comme moi, il est habitué à côtoyer des stars et ne s’en formalise pas. C’est là, sûrement le seul point commun que je peux nous trouver.

— Tu n’aurais pas dû accepter, se navre Oro. T’es complètement exténuée et tu as irrévocablement besoin d’une pause.
— En même temps, elle ne peut pas se permettre de tout laisser en plan, ajoute Raimana.
— C’est vrai, mais je devrais tout de même lever le pied et mieux m’organiser. Je ne peux plus tout accepter de tout le monde sous prétexte que j’ai un contrat qui me lie à eux. Lorsque les termes sont posés et revus, je ne dois plus leur permettre de revenir en arrière en chamboulant tout mon planning au passage parce qu’ils ne savent pas vraiment ce qu’ils désirent.
— Alors pose des conditions qu’ils devront accepter sans pouvoir revenir sur leurs envies si ça crée une surdose de boulot et un bordel monstre dans ton agenda, me conseille Oro.

J’opine du chef.

— C’est ce que je vais devoir faire pour retrouver un semblant de vie normale, soupiré-je en m’installant plus confortablement dans mon siège.

Quelqu’un toussote et je lève les yeux sur les trois occupants de la rangée devant nous.

— Au fait, moi c’est Savannah, lui Joshua et voici Cameron, se présente la jeune femme au regard pétillant de joie à l’idée d’être proche de nous, en désignant également l’identité de ses amis.
— Enchanté, lui répond aimablement Oro.

Raimana et moi hochons la tête en leur adressant un sourire poli, tandis qu’Oro continue.

— Nous sommes Oro, Raimana et voici notre princesse des îles et de la soirée, Raina, dit-il en nous désignant du doigt à son tour.

Il termine par moi dans un ton élogieux qu’il sait que je déteste. Mon regard de mise en garde le fait rire. Pour quelqu’un comme moi, ce n’est pas toujours évident d’accepter cette célébrité. C’est pourquoi je vis toujours dans le quartier pauvre qui nous a accueillis et abrités lors de notre installation à Los Angeles. Tout comme l’appartement dans le Queens ici à New York. Bien qu’il ne s’agisse pas du quartier dangereux South Jamaica, mais celui du LIC, Long Island City.
Tandis que Savannah et Joshua s’empressent de nous serrer la main, Cameron reste confortablement assis en adressant à mes amis un signe de tête avenant, accompagné d’un large sourire. Lorsqu’il termine par moi, son regard, soudainement devenu intense et saisissant, accroche le mien pour le tenir captif durant un temps qui me semble infini et dans lequel je me laisse tomber malgré moi.

The sin #half of my soul (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant