Chapitre 21 - 🏝 De retour à Tahiti

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RAINA

J'approche enfin de mon archipel que j'aperçois en un éclat de bleu turquoise et de touches vertes disséminés en plusieurs îles au milieu de ce bleu sombre du Pacifique. Je les reconnais toutes qui s'étalent derrière la plus imposante que représente Tahiti. Moorea et Tetiaroa sont les plus proches. Un tendre sourire naît sur mes lèvres.
Cela fait quelques temps déjà que je ne suis plus venue. Comme chaque fois, mes sentiments se contredisent dès que je suis de retour. Des souvenirs doux amers et d'autres, en grande majorité, dont personne ne souhaiterait se rappeler. Et pourtant, dès que l'envie de me ressourcer se fait davantage pesante en moi, c'est ici, inévitablement, que je me rends sans prendre le temps de réfléchir.
C'est et cela reste l'endroit que je préfère au monde. C'est chez moi, aussi simple que ça. Je suis rattachée, telles les racines de chaque arbre, chaque plante et chaque fleur, à cette île qui vit en moi. Je fais partie d'elle.
L'avion se prépare à atterrir à Papeete et je boucle à nouveau ma ceinture après l'avertissement de l'hôtesse de l'air. Mon voisin de siège en fait autant et je lui lance un sourire rassurant parce qu'il m'a avoué, plus tôt, avoir une peur bleue en avion. Vu son gabarit presque identique à mon ami Tanetoa, cela paraît déroutant, mais je ne me suis à aucun moment moquée de lui.
Je sais combien les peurs peuvent être paralysantes et au pouvoir démesuré voire même plus lorsque nous tentons de les vaincre. Cet homme immense a peur de se retrouver dans les airs dans un appareil volant, et moi, je suis terrorisée par les hommes dès que cela concerne les relations amoureuses. En y songeant, je me dis qu'il est peut-être préférable d'être aux prises de sa peur que de la mienne.
Cette dernière vient de chambouler mon entourage et ma vie actuelle. Voir Oro coller son poing dans la figure de son nouvel ami, qu'il apprécie, m'a dérangée. J'ai aussitôt culpabilisé malgré la colère qui m'animait à ce moment-là. Mais, je ne parviens pas à ne pas me reprocher les événements de cette dernière soirée passée au Détroit.
Si j'avais su garder ma langue dans ma poche où ne serait-ce que coincer Mendy dans un coin pour la menacer de ne plus avoir recours à la violence sur le personnel de Cameron sous peine de se voir assigner en justice... Mais je ne peux plus revenir en arrière. J'ai réagi de façon excessive parce que la jalousie a pointé le bout de son nez. Sans omettre que ce truc qui me remue sans cesse à la proximité de Cameron m'a poussée à la colère et dans une tourmente de sentiments tout aussi différents les uns que les autres, mais d'une force inouïe, ça, c'est irréfutable.

─Je vous remercie pour votre gentillesse de m'avoir supporté, m'extirpe de mes pensées la voix masculine appartenant à l'homme maintenant debout dans l'allée centrale de l'appareil.
─Oh, pas de quoi, réponds-je en réalisant que nous avons atterri et que l'avion est déjà stationné pour notre sortie.
─Bon voyage, me souhaite-t-il avant de s'éloigner.
─Merci, soufflé-je.

Je me demande encore si j'aurais assez de courage pour me rendre chez mama ru'au. Je n'en ai pas l'impression, car je préfère renseigner au chauffeur de taxi mon adresse et non celle de ma grand-mère, une fois mon bagage récupéré et sortie de l'aéroport.
Je n'aime pas traîner dans Papeete. Elle abrite le quartier où je vivais avec ma mère et Oro : Paraita. En principe, je n'y suis que de passage et ça me va mieux ainsi. Je crois formellement aux blessures qui ne peuvent jamais guérir. Ces blessures nées d'un passé trop dur, trop sombre, pour espérer un jour ne plus souffrir en y repensant.
Papeete fait inévitablement remonter à la surface ces vieux souvenirs dont je veux ne plus sentir en moi. Cependant, je garde le secret espoir qu'un jour prochain je serai enfin en phase avec ce pan de ma vie en parvenant à vivre sans en souffrir et pouvoir traverser cette ville le sourire aux lèvres et non l'âme en souffrance.

J'habite sur la presqu'île de Tahiti, Tahiti 'iti dans le Fenua 'aihere dans la commune de Tautira plus précisément. Cet endroit a des airs de fin du monde et je l'adore. Il est si calme et reposant. C'est pour moi le coin parfait pour se retrouver soi-même et se ressourcer. C'est pourquoi je l'ai choisi pour y avoir ma maison, mon pied à terre pour les fois où, comme aujourd'hui, je suis de retour, mais aussi pour plus tard, lorsque je reviendrai y vivre et y finir mes jours.
Mama ru'au habite Papara. J'ai dû me résoudre à m'éloigner d'elle, à cause de nos désaccords, lors de mon choix d'achat immobilier, bien que seulement quarante-deux kilomètres nous séparent. Je me suis toujours dit que si l'aubaine se présentait un jour à moi de parvenir à acheter une maison - chose qui m'est arrivée en m'offrant justement cette magnifique occasion et où mon premier achat fut celui-ci - ce serait pour me trouver non loin d'elle. Mais les choses ont fait que j'ai choisi, finalement, de ne pas la voisiner.
Je ne parviens toujours pas à me rapprocher d'elle. De cette personne m'étant si précieuse. C'est comme si les mots me manquaient dès que je me dis de passer à l'action les fois où je rentre ici. Finalement, aujourd'hui, le courage semble encore me fuir, parce que rien qu'à l'idée de me rendre chez elle, un frisson incontrôlable prend naissance dans mon corps.
Ce qui m'effraie, en fait, c'est un refus catégorique de sa part. Si je ne craignais pas ça venant d'elle, cela ferait déjà des années que j'aurais fait ce premier pas, en courant même. Seulement, il s'agit de ma mama ru'au et j'y tiens plus que tout, alors un refus serait pour moi un coup de massue auquel je ne serai jamais préparée.
C'est une chose à laquelle je sais ne pas pouvoir faire face, alors je me fige à chacune de mes tentatives de me rapprocher d'elle, et ainsi, je me trouve toujours coincée dans cette même impasse désastreuse et affligeante qui me fait tellement mal et s'aggravant toujours un peu plus de jour en jour.

The sin #half of my soul (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant