Chapitre 53 - 🏝 Jeux traditionnels

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RAINA

Toujours chez mes grands-parents, Billy me rejoint, accompagné d’Amata. Il se rend vite compte que quelque chose cloche. Sans rien lui dire, je lui tends le journal qu’il s’empresse de lire en s’asseyant à côté de papa ru’au. Amata vient se placer derrière eux en appuyant ses mains sur les dossiers des chaises où se trouvent mon grand-père et Billy, en lisant au-dessus de  leur tête.
J’indique à Billy de qui il s’agit en lui montrant également le nom de ma mère et celle d’Oro, tandis qu’Amata garde un visage fermé.

─ Il n’a eu que ce qu’il méritait, tranche-t-il entre ses dents serrées.
─ Oui, mais pas que des innocents se salissent les mains en accomplissant un meurtre. Aussi en colère, haineux et épris de vengeance, aucun des proches des victimes de mon père n’avait à salir son âme en commettant cet acte.
─ Je vais prier pour eux afin que Dieu soit clément pour ce que la désolation a provoqué chez ces personnes. Elles souffraient à tel point qu’elles en sont venues à se faire justice elles-mêmes à l’égard des nombreuses vies que cet horrible homme a volées, dit mama ru’au.

Ma grand-mère est croyante. Tout comme la grande majorité des tahitiens qui se rendent beaucoup à l’église. Le christianisme tient une place importante dans la société polynésienne. C’est en grande partie pourquoi nous jugeons tout le monde égal. Nous reconnaissons la place que tient notre Président, par exemple, mais en le considérant surtout comme notre égal.
J’ai moi-même foi. En quoi ? En qui ? Je ne sais pas trop, mais je crois à une personne nous ayant conçus ou à une autre civilisation lointaine qui l’aurait fait. Je me dis que peut-être un de leurs groupes de chercheurs mènent une expérience et que nous sommes le fruit de cette dernière et donc leur création.
Une création placée ici avec tout ce qu’il nous faut pour vivre en parfaite autonomie et ainsi voir notre évolution tandis qu’ils nous observent progresser au fur et à mesure des années qui passent pour nous, mais qui ne représentent qu’un court terme pour eux… C’est sûrement étrange, mais ça donne matière à réfléchir.   

─ Ça reste tout de même un meurtre, mama ru’au. Peu importe que cet homme qui m’a servi de père ait été le plus infâme des êtres sur cette terre.
─ Je te comprends, Raina, intervient soudainement Billy, tout comme je peux facilement comprendre les personnes qui en sont venues à agir. Tout le monde n’a pas la même force mentale que toi. Tu es assurément une bonne personne, je te l’ai déjà dit. Mais nous ne sommes pas tous dotés d’autant de bonté et de cette prise de recul. L’humain peut paraître facilement impulsif dès qu’il apprend une information choquante ou qui ranime sa peine, sa colère… Et, comme tu peux le voir ici, sur ce bout de papier, certains ne trouvent la paix qu’en agissant de la sorte. Aussi horrible soit-elle. Ils se sentent apaisés, bien que ce qu’ils viennent de commettre reste affreux et qu’ils en garderont de grandes séquelles jusqu’à leur dernier souffle. Dans ces cas de se faire justice soi-même, je ne juge jamais ceux qui ont sauté le pas en suppliciant leur âme. Je sais qu’ils peuvent se foutre d’être damnés parce qu’il y a bien longtemps qu’ils ont perdu toute foi en quoi que ce soit qu’ils ont longuement prié alors que jamais rien n’est venu en leur aide. Il est tellement aisé de baisser les bras et se laisser choir dans les abîmes de la noirceur quand on nous a enlevé quelque chose de bon et de si précieux. C’est tellement facile, Raina.

Je comprends qu’il désigne ses propres tourments qui l’ont longtemps hanté durant toutes ces années où il s’est finalement coupé des siens et de tout ce qui le rattachait à sa vie d’antan.
Nous tous, autour de cette table, saisissons qu’il se désigne en même temps que ces personnes ivres de vengeance. Il a été assailli par ces mêmes démons et a réussi à les combattre.

─ C’est grâce à toi, Raina, poursuit-il. C’est grâce à toi si j’ai surpassé tout ça. Tu as représenté cette lumière si douce et aimante dans mon brouillard perpétuel de noirceur qui maintenait mon esprit depuis trop longtemps prisonnier de mon enfer personnel. Tu as été, depuis ce premier jour où je t’ai aperçue paniquée après avoir vécu une frayeur, ma lumière, mon ange gardien. Je ne saurais réellement expliquer comment ça s’est produit en moi. Je sais seulement que quelque chose de fort m’a attiré, en me guidant à travers la ville, vers toi, telle la lumière d’un phare en pleine nuit pour un matelot égaré en pleine tempête. Alors, si j’ai réussi à surpasser ma terrible peine pour ce que le deuil de mon fils a provoqué en moi, c’est uniquement parce que tu es un ange envoyé des cieux. J’en suis convaincu. Malgré tout ce qui t’a touchée de mauvais, violent et assurément moche, tu es toujours restée maître de toi-même en recevant les coups, les encaissant comme personne pour finalement vaincre ce mal en ne devenant jamais mauvaise. Je n’ai pas foi en un Dieu, mais je suis fier de dire à qui bon je croiserai et qui m’interrogera que j’ai foi en toi. L’être infiniment bienveillant à la beauté séraphique qui m’est apparu tel un ange au milieu de nulle part.

The sin #half of my soul (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant