Le temps d'un été

3

- Liam ?

Abasourdie, Emma est bouche bée devant moi tandis que, les bras croisés, je m'amuse à la scruter du regard.

Elle a l'air... perdue. J'ai suivi toute la discussion –ou disons monologue- qu'elle a eu avec son frère et son état me dit que ce n'est pas le moment de plaisanter avec elle. Mais mes pensées ne peuvent s'empêcher de la trouver belle.

- Qu'est-ce que tu fais là ?

- Je te l'ai répété dix fois, Emma. Liam passe ses vacances en France, crie mon ami dans la pièce à côté.

Ses yeux s'illuminent, comme si l'information venait d'arriver à son cerveau. Mais le plus fou, c'est qu'elle ne semble même pas penser à ça. Elle se laisse tomber sur le canapé face auquel je suis installé et me fixe comme si je venais d'une autre planète.

- Tu n'as pas changé... murmure-t-elle en fermant les yeux.

Ne sachant comment interpréter sa phrase, je fronce les sourcils et me lève pour rejoindre Samuel dans la cuisine.

- Tu devrais t'occuper de ta sœur. Je me charge du reste.

Je l'incite à me donner la spatule afin de faire cuire les derniers pancakes. Du coin de l'œil, j'aperçois Sam porter sa sœur jusqu'à l'étage, sûrement pour la coucher dans son lit. Et ses mots résonnent comme un écho dans ma tête ; tu n'as pas changé.

- Salut tout le monde !

Dans un sursaut, je me retourne vers cette voix stridente et fronce les sourcils face à ce qui me semble être la meilleure amie d'Emma. Ne pas se souvenir d'elle est difficile puisqu'elle passait des journées entières à traîner dans cette maison. Moi aussi, certes, mais je n'envahissais pas autant l'espace de mon meilleur ami, à l'époque.

- Oh... heu... je me suis trompée de maison ?

Samuel, qui revient à l'instant, ne peut s'empêcher de rigoler en la saluant.

- C'est Liam. Liam, voici Sara, la meilleure amie de ma sœur, nous présente Sam.

- Oh, je sais. Je me souviens bien de toi, dis-je en rangeant la cuisine.

Flattée, Sara me sourit de toutes ses dents et fait bouger ses cheveux dans son dos en marchant jusqu'au réfrigérateur.

- Où est Emma ? demande-t-elle en se servant un verre de jus d'orange.

Je m'appuie contre le plan de travail et croise mes bras en écoutant Samuel expliquer l'état de sa sœur ainsi que le peu de choses qu'il a pu comprendre lors de leur conversation de ce matin.

- Ça ne m'étonne pas vraiment d'Antoine. Il a toujours été très dragueur.

La blonde s'assoit sur une chaise et Samuel fait de même. Je décide de rester où je suis, ne préférant pas me mêler.

- Tu penses qu'il est capable de la tromper ? grimace le brun.

- Non ! Non, bien sûr que non. Je ne pense pas du moins. Mais je me suis toujours demandé ce qui faisait que leur couple tenait aussi bien le coup... Ils n'ont tellement rien en commun, soupire Sara.

Lorsque mes yeux tombent sur mes bagages, je décide de m'éclipser discrètement afin de les monter dans la chambre d'ami.

- Non ! ... t'ai ... non Antoine !

Dans le couloir, la voix d'Emma m'arrête immédiatement dans la foulée. Je m'approche de la porte de sa chambre, d'où provient sa voix, et essaie de décoder ses mots.

- Pas à 3h du matin !

Je n'entends malheureusement pas la voix de ce crétin mais je pourrais parier qu'il la supplie de l'écouter et que ce n'est pas ce qu'elle croit. Cliché lorsqu'on a quelque chose à se reprocher. Je décide de ne pas fouiner plus longtemps et rejoins la chambre qui m'est destinée, en face de celle d'Emma.

Fatigué du vol, j'envoie un message à ma mère, histoire de la rassurer. Le décalage horaire entre la France et l'Angleterre est minime ; nous sommes en avance de seulement une heure. À mes 18 ans, mes parents se sont séparés. Mon père est resté en France, sa famille étant dispersée sur le territoire, tandis que ma mère est partie rejoindre la sienne à Liverpool. Un énorme dilemme reposait alors sur mes épaules : suivre ma mère ou rester avec mon père ? J'ai laissé mon choix se baser sur les réponses professionnelles que je recevais. Lorsqu'un magazine pour vêtements, d'une célèbre marque anglaise, m'a contacté, je ne me suis pas posé plus de questions et je me suis envolé pour ce magnifique pays. Je revenais souvent en France, au début, pour rejoindre Samuel et nos amis mais ça va faire deux ans que le travail m'en a empêché. Alors cette année, pour rattraper le temps perdu, j'ai décidé de tout lâcher et de prendre le temps de revenir pour tout l'été.

- Toc, toc.

Couché sur le lit, mes deux bras derrière ma nuque, je tourne mon visage vers la porte qui s'ouvre pour laisser place à mon ami.

- Tu t'es bien installé ?

J'opine et me redresse contre le cadre du lit. Voyant qu'il n'a pas fini de parler, je le laisse continuer :

- Les filles aimeraient aller au karaoké ce soir, ça te dit ?

- Les filles ?

- Ouais, enfin, Sara... Elle aimerait forcer Emma à sortir et on sait qu'elle adore ça alors...

- Et moi je ne sais pas chanter, rigolé-je en roulant des yeux.

- Je chante très faux aussi, je te rassure.

Je me vois mal refuser cette proposition étant donné que je viens seulement d'arriver.

Le reste de la journée passe assez vite puisqu'à peine mes affaires dépliées, le bruit dans les chambres d'en face semble beaucoup plus mouvementé, signe qu'ils se préparent pour ce soir. Je décide d'enfiler une chemise blanche dont je retrousse les manches au trois quart accompagnée d'un pantalon chino beige. Pour compléter ma tenue, je me chausse de mes Converses blanches et décide de laisser mes cheveux en bataille. Rapidement, je me parfume et sors de ma chambre pour rejoindre Samuel au rez-de-chaussée.

- Est-ce qu'Emma est en état d'y aller ? m'inquiété-je auprès de mon ami.

- Je pense, oui. Sinon elle ne viendrait pas, Antoine travaille là-bas, alors...

Samuel finit de lasser ses baskets tandis que mon corps s'appuie contre la porte d'entrée, mes mains dans les poches.

- Sara est venue m'expliquer qu'ils se sont appelés tout à l'heure et que ça va beaucoup mieux.

Surpris, je hausse mes sourcils tout en passant ma main dans mes cheveux. C'est si facile.

- Let's goooo ! crie Sara en descendant les escaliers, Emma sur ses pas.

Mes yeux ne lâchent pas cette dernière, bien trop jolie. Sa robe noire serre son corps et le met en valeur comme il se doit alors que ses cheveux lisses recourbent parfaitement son visage. D'ailleurs, celui-ci me semblait légèrement plus rond il y a quelques années. Mais Emma a grandi. Un peu trop même.