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Ajaccio – novembre 2020

À peine ai-je enfilé le long sweat que m'a prêté Samuel, qu'il se met à se dandiner sur place tel un enfant en pleine crise. Le froid est bien présent. Je n'avais pas pensé à ça et je suis donc bel et bien sortie de chez moi avec un simple t-shirt. Quelle erreur. Heureusement que mon grand frère est là pour me sauver la vie.

- Putain, tu vas vite me le rendre, il fait grave froid.

- Laisse-moi un peu en profiter, soufflé-je en me frottant rapidement les bras.

Sara et Gabi sortent à peine du manège que cette dernière se réfugie contre le torse de mon frère pour se réchauffer.

- Quelle idée de venir ici en plein mois de novembre aussi, marmonné-je en avançant.

- Tu peux toujours rentrer si tu n'es pas contente. Et me rendre mon pull aussi.

Je fais mine de ne pas entendre en continuant mes pas le long du trottoir sur lequel la fête foraine s'étend. Ce n'est pas que je n'aime pas ce genre d'endroit. Non. Mais l'envie d'être dans mon lit devant un bon film de Noël me tente beaucoup plus.

- Tu m'accompagnes dans la prochaine attraction ? me demande ma meilleure amie en me rejoignant.

- Je ne suis pas très sensation forte...

- C'est nouveau ça ?

- Non. Je ne l'ai jamais vraiment été.

- Tu n'es plus vraiment grand-chose ces temps-ci.

Je m'arrête en fronçant les sourcils, mes bras ayant cessé tout mouvement contre moi-même. Seules les manches de mon sweat dépassent toujours afin de recouvrir mes mains.

- Quoi ? dit-elle en roulant des yeux, mais en continuant de marcher. C'est vrai, tu ne sors plus avec nous, tu parles à peine, tu râles, tu...

Je reprends ma marche tout en soupirant assez fort pour l'interrompre.

- Ok, ça va. J'ai compris. Pas la peine d'énumérer tous mes défauts. C'est juste que... l'hiver arrive. Je n'aime pas ça.

- Menteuse.

- Je ne mens pas.

- Tu as toujours été très heureuse aux périodes de fête. Donc oui, menteuse.

- Et bien, je n'aime plus ça, réctifié-je en tournant vers le premier vendeur de croustillons.

- C'est à cause de lui, c'est ça ?

- Tu peux prononcer son prénom, tu sais.

- Oh, arrête un peu, souffle la blonde.

Elle m'attrape le bras pour m'arrêter et je détourne le regard vers ce fameux stand de beignets sucrés qui n'appelle que moi.

Fichue conversation.

- Emma, je vois que ça ne va pas. Tu peux m'en parler, tu sais...

- Je vais bien. Vraiment.

- Alors pourquoi est-ce que j'ai l'impression que c'est tout le contraire ? Pourquoi est-ce que tu te renfermes de plus en plus sur toi-même ? Je pensais vraiment que tu arriverais à passer au-dessus de son départ, tu gérais plutôt bien les deux premiers mois, mais... je ne te reconnais plus.

- T'as fini ? demandé-je en levant les yeux au ciel.

Silencieuse face à ma question, je sais à quel point je suis compliquée, je sais que leur parler de cette manière et leur rendre la vie impossible ne fera pas revenir Liam mais... je n'y peux rien. Je pensais y arriver, je pensais pouvoir continuer à sourire et à faire comme si de rien n'était alors que ce n'est pas du tout comme ça que mon cœur ressent les choses. Il me manque à en crever. Et ça fait mal.

Je contourne ma meilleure amie, un pincement au cœur, et atteins rapidement la file afin de commander ma sucrerie préférée.

J'entends, de loin, mon frère, Gabi et Sara parler, rigoler et m'attendre, mais la seule chose que j'aimerais leur dire est de ne pas le faire. J'aimerais être seule. Mais je ne peux pas leur faire ça. Alors, après avoir payé mes si bons croustillons, je me retourne avec un sourire sur le visage tout en avançant vers eux, décidée à changer. Ou du moins, à faire semblant pour le moment.



- Salut p'pa !

- Bonsoir mes amours, sourit mon géniteur de toutes ses dents. Vous avez passé une belle soirée ?

Super.

- Très bonne. Qu'est-ce qu'on mange ? demande mon frère, impatient.

Je me dirige vers le salon dans le seul but de me coucher dans le canapé, le sweat de Samuel toujours sur mon dos. Je ferme les yeux un instant jusqu'à ce que mon portable s'allume pour ne faire qu'apparaître une seule et petite notification pour me rappeler que Liam vient de poster une photo sur Instagram.

Le monde est contre moi.

Fichu portable.

Curieuse, je le prends entre mes mains et, hésitante, je reste, un long moment, bloquée sur mon fond d'écran, sans savoir quoi faire.

Il ne m'a jamais envoyé de message. Pas même laissé un like sur une photo ou encore une image avec un message caché.

Rien.

Nada.

Finalement, je déverrouille mon écran, le cœur battant, jusqu'à arriver sur mon application préférée. Sa photo est la première qui défile lorsque le chargement de mon fil d'actualité se finit et ce que je vois me brise totalement le cœur.

Il est là. Souriant. Heureux. Seul sur la photo, mais revoir son visage que je n'ai plus vu depuis plus de deux mois me fait mal. Très mal.

Les larmes aux yeux, je reste bloquée un long moment sur cette photo, ce qui peut paraître bête, je vous l'accorde, mais il est beau. Tellement beau. Et il n'est plus là, près de moi. Il s'en fiche peut-être bien, il est même sûrement passé à autre chose, mais c'est trop pour moi.

- Tout va bien ? me demande mon père, les sourcils froncés.

Je n'avais même pas remarqué sa présence auprès de moi. Ni même la position dans laquelle je me suis mise dans le canapé. Les jambes accrochées au dossier et la tête quasi vers le bas, je me redresse en soupirant et en faisant mine de sourire le plus sincèrement possible à mon père.

- Bien. Et toi ?

- Il te manque, n'est-ce pas ?

Ils se sont passé le mot, ce n'est pas possible autrement.

- Avant que tu ne t'énerves, renchéris l'homme en levant la main, ton frère et tes amis s'inquiètent beaucoup. Et moi aussi.

- Tout va bien, ça passera. Comme d'habitude.

- Emma...

- Arrête papa. Je n'ai pas envie de parler de lui. C'est fini, j'aimerais passer à autre chose. Mais laissez-moi accepter. Laissez-moi en vouloir à la terre entière, laissez-moi m'énerver pour rien, laissez-moi me battre contre moi-même jusqu'à n'en plus finir. Laissez-moi, juste... soufflé-je en laissant couler quelques larmes.

L'homme de ma vie me prend dans ses bras tout en embrassant le haut de mon crâne, frottant délicatement mon dos sous le hoquet de mes pleurs.


Ce n'est pas comme ça que je voulais que les jours suivants passent. Ce n'est pas non plus comme ça que je voulais, une seconde fois, me retrouver. À pleurer pendant des semaines et des semaines le départ de celui qui comptait le plus pour moi.

Et bordel, ce que ça fait encore plus mal que la première fois.

Les jours suivants sont tout aussi douloureux, certains le sont même plus, mais ma famille est là, mes amis sont présents pour moi à n'importe quel moment de la journée et je ne pouvais pas rêver mieux qu'une patronne à qui je peux tout dire et avec qui je peux être moi-même. Réellement.

Ils vont réussir. Ils arriveront à me faire aller mieux. Avec du temps.

Le temps d'un étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant